Mai 2008 : sous les pavés, la droite
On a bien du mal à définir la doctrine économique du président. Les zigzags sont tels qu’on finit par parler de pragmatisme, pour être positif. On pourrait tout aussi bien parler d’incohérence, tant il est difficile de trouver un sens à ce patchwork.
Ayant promis tout et son contraire, la réduction de la dette en même temps que des baisses d’impôt et l’augmentation du pouvoir d’achat, ayant cité Jaurès et Blum tout en ayant fustigé la gauche et caressé l’extrême droite, ayant parlé d’abolition des droits de succession comme des parachutes dorés, ayant loué à la fois les modèles britanniques et scandinaves, Sarkozy l’illusionniste a envoûté la plupart des analystes qui n’osent plus le qualifier de libéral. Pourtant, derrière le désordre des mots, une vraie politique de droite est en marche.
Depuis un an, en y regardant de près, on constate que toutes les mesures libérales ont été lancées manu militari avec les moyens qu’il fallait, et la grande majorité des velléités sociales sont restées à quai.
Bouclier fiscal, suppression des droits de succession, poursuite des baisses d’impôt sur le revenu, exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires pour les entreprises, déduction des intérêts d’emprunt sans condition de ressources pour les propriétaires, franchise médicale, suppression de postes dans l’éducation, suppression de la carte scolaire, baisse des dotations aux associations de solidarité urbaine, rétention de sûreté, limitation de la responsabilité pénale des dirigeants et du délai de prescription des abus de biens sociaux, carte judiciaire, tests ADN pour le regroupement familial, quotas d’expulsés par région, contrôle des chômeurs.
Tout y est passé avec un minimum de débat, financé inconsidérément, tamponné au Parlement par une majorité soumise, sans évaluation et parfois sans préparation.
De l’autre côté, malgré de belles paroles distillées çà et là pour amadouer sans frais l’opinion dès que la pression augmentait ou que les sondages baissaient, on attend encore la suppression des parachutes dorés, la contribution aux cotisations des stock-options, la dotation et la généralisation du RSA (qui lui a dû subir une évaluation contrairement aux 14 milliards du paquet fiscal), le conditionnement des exonérations à des augmentations de salaire des embauches ou du réinvestissement, la suppression des niches fiscales (après un an, on vient d’apprendre cette semaine que 5 sur 359 seraient peut-être plafonnées !), la sécurisation des emplois contrepartie de la flexibilité des salariés et des sanctions aux chômeurs, l’augmentation des retraites modestes et du minimum contributif, les 25 % d’augmentation du minimum vieillesse, les contraintes au patronat pour l’emploi des seniors, l’augmentation du budget de la justice, des prisons, du logement.
La vérité est que cette droite-là, qui n’applique et ne budgète que les réformes libérales, a rarement été aussi dure et aussi dogmatique. Les croyances classiques et conservatrices sont là, tenaces, et elles sont bien le fil conducteur des réformes, qui servent les intérêts des mêmes, les plus riches (au sens des grilles de revenu et de patrimoine de l’Insee) et les entreprises. A tel point qu’une partie des députés de la majorité, après le désaveu logique des élections municipales, a réclamé plus de justice. Car les réformes, pour être acceptées par des Français qui y sont prêts, doivent être justes, faire partager l’effort, et s’attaquer aux conservatismes du bas comme du haut.
Au lieu de cela, la réforme, argument de vente principal de ce gouvernement et terme passe-partout enrobant n’importe quel plan de rigueur, est devenu un nom de code pour un programme idéologique à sens unique, vieux comme les recettes éculées de la droite : moins d’Etat et de fonctionnaires, moins d’impôt progressif, moins de charges, moins d’immigrés, plus de flexibilité, plus de travail, plus de sanctions.
Dernier exemple, la question des retraites donne l’occasion au gouvernement de resservir son couplet bien huilé : il parle de « la » réforme comme s’il n’y en avait qu’une possible, il vend une solution unique, l’allongement de la durée de cotisations, et ne supporte aucune contradiction, traitant les contestataires d’immobilistes ou d’ignorants. Si la réforme était contestée, c’est qu’elle aurait été mal expliquée, sans assez de « pédagogie ». Une vraie propagande. L’équation des retraites, mathématique, a pourtant d’autres leviers, avec des marges de manœuvre sur chacun d’entre eux : le taux de cotisations, le niveau des pensions (abaissement du plafond ou dégressivité pour les grosses retraites par exemple), le taux d’emploi (des seniors et des jeunes en particulier), l’assiette des cotisations. Un exemple parmi d’autres sur l’assiette : on peut l’élargir aux revenus du capital, mais déjà limiter les exonérations sur les revenus du travail. La Cour des comptes a recensé tous les revenus du travail qui échappent aux cotisations ou à la CSG (rapport annuel sept. 2007) : stock-options, épargne entreprise, participation, intéressement, indemnités de retraite et de licenciement, heures sup… Au total, environ 40 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la collectivité, profitant à une minorité de salariés qui plus est. Les exonérations diverses (lois Fillon notamment sur les salaires jusqu’à 1,6 Smic) accordées sans contrepartie, coûtent à peu près le même montant. A côté, le déficit des retraites est estimé par le Conseil d’orientation des retraites à 5 milliards en 2008, 15 milliards en 2015, 25 milliards en 2020.
Des économistes proposent également d’autres solutions qui simplifient, répartissent l’effort et équilibrent le système : étude Bozio-Piketty, par exemple, réforme selon le modèle suédois.
Contrairement au discours martelé, d’autres réformes, alliant efficacité et justice, sont possibles.
Contrairement aux apparences, Sarkozy est bien plus dogmatique que pragmatique.
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