Stages en stock, jeunes en colère
Chaque année, près de 800 000 stagiaires doivent, dans le cadre de leurs études, effectuer un stage en entreprise. Une disposition placée sous surveillance.
La plupart de ces stages sont rendus quasi-obligatoires pour le lycéen ou l’étudiant (en CAP, BEP, bac pro, master et même en école d’ingénieurs) et constituent, de facto, un passage obligé pour accéder à certaines professions, tout comme un moment important dans leur parcours, permettant de se frotter aux réalités d’un futur métier.
Le renforcement de la relation école-entreprise est d’ailleurs au cœur de la nouvelle réforme des universités défendue par Valérie Pécresse, ce qui signifie que cette pratique des stages en entreprise ne peut que s’intensifier demain.
Pour les employeurs, cette disposition est perçue soit comme un devoir de l’entreprise vis-à-vis d’un professionnel en devenir, soit comme une charge qu’il est préférable de ne pas endosser.
Il est vrai que l’accueil d’un stagiaire est, pour l’entreprise qui s’en acquitte dans les règles de l’art (par le tutorat notamment), plutôt une charge qu’un véritable apport, sauf à pratiquer le stage café photocopie, bien connu dans certains milieux.
Pourtant, trop nombreuses sont les entreprises qui abusent du système au mépris des usages et d’une loi facile à contourner, ne voyant dans cette véritable armée de réserve que des proies faciles, malléables et corvéables de surcroît. Ces employeurs peu scrupuleux ont bien vite compris tout l’avantage à profiter au maximum d’un système qui, en l’absence de statut véritable du stagiaire, ouvre la voie aux abus de toute sorte. A l’extrême, des escrocs vont même jusqu’à recruter des bataillons de stagiaires non rémunérés par voie de presse en lieu et place d’authentiques salariés.
Lorsqu’une entreprise décide d’accueillir un stagiaire pour une période déterminée, elle peut décider de lui verser une gratification, restant libre d’en déterminer le montant.
Le versement peut alors être mensuel ou en fin de stage. Aucune cotisation retraite ni assurance chômage n’est à verser. En revanche, le jeune ou ses parents devront déclarer les sommes perçues aux impôts.
Or, il n’est pas rare que certains de ces stagiaires ne connaissent en retour que la poignée de main, quand ce n’est pas le coup de pied au cul.
L’association Génération précaire, qui est une des plus actives à dénoncer les abus, tente depuis deux ans d’alerter les pouvoirs publics, afin d’inciter à légiférer sur cette question.
Pourtant, et comme souvent, c’est dans la rue que Génération précaire a choisi de se faire entendre, afin d’obtenir la reconnaissance d’un statut du stagiaire inscrit dans le Code du travail.
La loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006, qui doit beaucoup à ce coup de projecteur médiatique, prévoyait en effet que les stages étudiants en entreprise de trois mois et plus soient obligatoirement gratifiés.
Un an plus tôt, frileux à légiférer, le gouvernement par l’intermédiaire de Gérard Larcher se contentait, il est vrai, de proposer une charte de bonnes pratiques, non contraignante pour les entreprises.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Un Comité de suivi, composé de représentants des syndicats d’étudiants, d’associations, de DRH d’entreprises et de représentants des ministères concernés, a finalement été dépêché pour formuler une série de propositions sur cette question à remettre au ministère qui devrait présenter son projet de décret très prochainement.
Les propositions de ce comité de suivi sont néanmoins dévoilées et il est probable que la rémunération mensuelle minimum et obligatoire du stagiaire devrait avoisiner les 30 % du Smic, soit 400 € environ.
Complémentairement, la gratification perçue pourrait ouvrir des droits à la retraite. Le Comité s’est en effet prononcé en faveur d’une cotisation retraite employeur forfaitaire pour les stagiaires, optionnelle pour l’entreprise.
Actuellement, un point de blocage semble persister, celui de la durée des stages donnant droit à une gratification. A priori, on peut s’attendre à ce que les stages courts d’observation ou de découverte restent exempts de gratification.
Connaissant la propension de certaines entreprises à tourner la loi à leur profit, il est donc trop tôt pour en prévoir les répercussions. Il faudra donc patienter jusqu’à la promulgation du décret, si décret il y a.
L’arbitrage du gouvernement est délicat, car s’il convient de mettre bon ordre à toutes ces pratiques injustes et douteuses, il convient de veiller conjointement à un bon équilibre qui n’évince ni le salarié au profit du stagiaire, ni ne mette le stagiaire hors jeu, pour de bon.
De ce point de vue, ce n’est pas non plus qu’une question de gros sous.
En effet, tout aussi importants sont les contenus des devoirs et des tâches assignées à chaque partie qui devraient s’inscrire dans le marbre des conventions de stage signées par les parties prenantes. Sur la question du suivi de ces stages en entreprise, il est constant de relever le désintéressement coupable des écoles et des centres de formation, une fois la convention signée.
D’autre part, il est facile de deviner qu’à partir du moment où ces stages seront encadrés par un système de compensation financière obligatoire et par des règles plus contraignantes, les entreprises pourraient être tentées de mettre le pied sur la pédale de frein.
Néanmoins, cela semble être pour l’heure le seul moyen et le juste prix à payer pour lutter contre des pratiques abusives, génératrices de concurrence déloyale avec les salariés et redonner au stagiaire la juste compensation pour ce qu’il apporte à l’entreprise et, surtout, pour tout ce qu’il lui apportera demain.
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