Une croissance zéro durable pour la France après 2010
Si Marx était vivant, il parlerait encore du caractère fétiche de la marchandise mais il introduirait une notion nouvelle, celle du fétichisme accordé à la croissance. Les deux notions se recouvrent mais ne coïncident pas. Celui qui voue une adoration envers la valeur monétaire de la marchandise est un acteur du marché, un commercial, un banquier ou tout simplement un bourgeois qui face à une collection d’objets accumulés, se ravit du prix qu’il peut en obtenir, surfant régulièrement sur les sites d’enchères pour constater à quel point il se sent riche. Parlez de la croissance à ce même bourgeois que vous susciterez une légère préoccupation mais aucune dévotion. Par contre, un gouvernant d’un pays industrialisé accordera à ce chiffre économique une valeur fétiche car elle est censée traduire quantitativement le dynamisme économique. Si les gouvernants sont si préoccupés de la croissance, c’est parce qu’ils croient qu’elle est la solution à beaucoup de problèmes. Résorber le chômage et pauvreté, résorber la dette, dégager des rentrées fiscales pour financer les politiques publiques, élever le niveau de vie des populations. L’absence de croissance est jugée par quelques analystes sortis des grandes écoles comme un cauchemar. Ainsi, Christian Blanc se fendit d’un livre au titre explicite, la croissance ou le chaos.
Pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps, la croissance ne fera le bonheur d’un pays. Tout au plus, ceux qui bénéficient d’un bon niveau matériel et savent apprécier la vie, sauront jouir d’un bonheur temporel. Voilà pourquoi quelques économistes soucieux de donner du sens à leur discipline se sont proposés d’évaluer en plus de la croissance un indice du bonheur. Est-ce bien utile et fiable ? En fait, la croissance, si elle est calculée correctement, livre un chiffre utile pour un gouvernement souhaitant anticiper et prévoir les dépenses publiques. Mais pour l’instant, les gouvernements occidentaux ne font que subir la croissance et n’ont pas de marge de manœuvre pour la réguler. Aux Etats-Unis et maintenant en Europe, les banques centrales tentent d’influer en jouant sur les taux d’intérêt mais cette politique monétaire crée plus de problème qu’elle n’en solutionne. La crise des subprimes aux Etats-Unis est due pour une part aux mesures décidée par la FED sous les mandats de GW Bush. Il fut un temps où la croissance pouvait être plus ou moins planifiée, notamment dans les années 1960, quand l’économie était loin de la globalisation, alors que les Etats contrôlaient les échanges commerciaux et financiers et que des populations entières étaient en attente d’acquisition des biens produits. Le Japon avait alors une croissance à deux chiffres, comme celle de la Chine actuelle, et en 1970, ce petit archipel près du soleil levant était devenu la seconde puissance économique, place qu’il vient seulement de perdre au second trimestre de 2010.
La croissance ne se décide pas. Tout au plus, peut-on miser sur quelques dispositions favorables et notamment la recherche, l’innovation, sans oublier les leviers monétaires. La croissance durable est-elle possible ? L’histoire récente de l’économie a répondu de manière contrastée. Les pays de l’OCDE ont connu depuis 1945 un développement permanent, avec des périodes de forte, moyenne ou faible croissance et de rares périodes de récession, la plus importante étant celle de 2008-2009. La croissance va-t-elle se poursuivre comme auparavant ? A cette question, il faut répondre par la négative. Il se peut bien qu’une nouvelle période commence avec comme signe précurseur le cas très particulier du Japon. Ce pays a connu deux décennies de faible croissance, voire même de stagnation. Le fantastique développement économique ayant fait de ce pays le premier producteur d’automobiles et le premier dans la finance à l’aube des années 1990 a subit un choc. En cause, un dollar surévalué et un excédent commercial déraisonnable. Le tir fut corrigé par les pays de l’OCDE. Le Japon est resté la seconde puissance économique en poursuivant sa course à l’innovation, en développant des services, mais en se désindustrialisant, tout en subissant les effets de la dette, de la bulle spéculative, avec en plus le choc de la crise monétaire asiatique précédant l’an 2000. Cette faiblesse économique a été accentuée par la concurrence des dragons asiatiques et lors de la dernière décennie, par la montée des industries chinoises. Quand le Japon avait 10 points de croissance, dans les années 1960, le club de Rome rêvait d’une croissance zéro. Trente ans plus tard, ce rêve est devenu réalité, tout en se transformant en cauchemar pour les dirigeants. Le Japon vit depuis presque 20 ans sous le régime d’une croissance tendant vers zéro. Et c’est ce modèle qui pourrait gagner les pays les plus développés de la zone occidentale ; autrement dit les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest.
Il faut donc s’attendre à une croissance presque nulle et durable en France et dans d’autres pays européens. D’ailleurs, la France était déjà, avant 2008, dans une situation de croissance molle entretenue artificiellement avec la bulle de l’immobilier. En 2010, la bulle ne s’est pas résorbée et la dette est gigantesque, ce qui nous place dans la configuration du Japon pendant la décennie perdue. Autres signes permettant une comparaison avec ce même Japon, l’euro fort, ainsi que la concurrence, bien plus rude en 2010 que lors des deux décennies précédentes. L’entrée en scène des nouveaux pays industrialisés rend la concurrence bien plus intense qu’à l’époque des dragons asiatiques. L’abréviation BRIC désigne les quatre grandes puissances émergées, Brésil, Chine, Inde et Russie. S’y ajoute d’autres pays émergents amenés à peser dans la concurrence industrielle, Viêt-Nam, Indonésie, Afrique du Sud, Colombie, Chili… Il reste peut-être le salut par l’innovation, cette arlésienne nommée économie de la connaissance, mais si on observe la Chine et bientôt d’autres nations, on ne peut que constater le dynamisme de leurs centres de recherche. En Chine, plusieurs villes ont une population étudiante comparable à celle de l’Ile de France. Quant à l’Europe, inutile de fermer l’œil, les pays de l’Est exercent une concurrence substantielle, même si c’est dans la zone euro. Lorsqu’une monnaie est commune et ne permet pas la politique de baisse paritaire, ce sont les salaires qui forment le levier de la compétitivité. S’il existe des parts de marché dans un système globalisé et ouvert aux flux, alors il existe des parts de croissance que se partagent les nations. Il n’y a pas de miracle. Certains pays dont la France vont devoir s’accommoder avec une croissance zéro durable. Cela ne signifie pas que ces pays vont s’appauvrir. Il faudra juste qu’ils se réinventent. Car les situations sociales seront prochainement intenables. Même si la croissance est de un point. Ce qui est envisageable, notamment avec les artifices financiers. Les gouvernants pourrons bien claironner la reprise, cela ne supprimera pas pour autant la pauvreté durable, conséquence inéluctable d’une croissance faible si rien ne change dans la conception de la société.
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