La nanotechnologie sauvera-t-elle la planète ?
La compagnie Nanosolar, appuyée financièrement par les fondateurs de Google, prévoit de construire dans la Silicon Valley la plus grande usine de fabrication de cellules solaires au monde. Ces cellules ne seront pas au silicium mais exploiteront la technologie cuivre-indium-sélénium (CIS) qui n’utilise qu’une couche active extrêmement fine, une caractéristique qui rend ces cellules peu gourmandes en matériaux de fabrication et facilement adaptables aux supports flexibles. C’est un procédé novateur (1) issu de la nanotechnologie qui a permis de fortement rentabiliser la production, une rentabilité qui aura pour conséquence de faire baisser le prix du kWh solaire. Cette percée est un signe révélateur du potentiel industriel des nanotechnologies dans le domaine énergétique, il préfigure probablement une nouvelle ère pour notre gestion de l’énergie.
Il ne fait plus guère de doutes aujourd’hui que l’utilisation outrancière de l’énergie fossile est devenue une menace imminente pour l’équilibre de notre biosphère. Pas de doute non plus sur la nature de la « délivrance » qui viendra d’une avancée technologique déterminante capable de produire une énergie propre et sûre à moindre coût. Mais de quelle nature sera cette innovation ?
On a beaucoup parlé ces derniers temps de la fusion nucléaire (programme Iter), mais les difficultés techniques à surmonter pour maîtriser cette énergie sont colossales, si bien que de telles centrales ne verront probablement pas le jour avant la seconde moitié du siècle. On a également parlé d’améliorer puis de multiplier les centrales nucléaires classiques, mais leurs coûts en terme de maintenance, de gestion des déchets, de démantèlement et de risques limite fortement leur prolifération. Plus accessibles sont les petites unités de productions d’énergie renouvelable comme les parcs éoliens ou les fours solaires, mais le nombre considérable de ces petites unités qu’il serait nécessaire de construire est exorbitant (sans doute plus de dix mille, rien qu’en France), ce qui est difficilement gérable et fort coûteux en espace et en matériaux de fabrication.
En fait, la révolution technologique la plus prometteuse dans un futur proche n’appartient pas au domaine des grosses ou moyennes structures mais plus probablement à celui des nanostructures. La nanotechnologie (associée à la chimie, voire à la biologie) connaît en effet une telle progression qu’elle pourrait bien dépasser celle de la physique lourde et aboutir prochainement à des microcomposants (utilisables en quantités astronomiques) capables de produire et de stocker l’énergie solaire aussi efficacement que des cellules biologiques spécialisées. L’utilisation des nanostructures permettrait ainsi une grande flexibilité et une grande économie de matériaux car une simple couche d’un micromètre d’éléments actifs est théoriquement suffisante. Avec son projet d’usine, la compagnie Nanosolar vient de montrer qu’il est désormais tout à fait possible de trouver, dans ce domaine, des solutions technologiques associant performance et coût de production, dès lors le marché des cellules photovoltaïques pourrait bien connaître prochainement une explosion semblable à celle qui secoua en son temps la microinformatique.
Vers quoi pourrait nous mener cette révolution ? Si le nombre d’unités individuelles de production d’électricité solaire parvient un jour à égaler ou à dépasser celui des micro-ordinateurs, et si nous trouvons des solutions viables pour le stockage de cette énergie, on pourrait s’acheminer vers une transformation complète de notre gestion énergétique : d’une part notre consommation sera à 100% électrique, et d’autre part notre réseau passera d’un système centralisé vers un système décentralisé, c’est-à-dire qu’à l’instar de l’information aujourd’hui, l’électricité pourra s’échanger et se réguler via un réseau électrique de type Internet.
Notons que la nature, qui a la réputation d’être parfaitement optimisée, gère son énergie de façon similaire : l’énergie du soleil est en effet convertie en énergie chimique par photosynthèse dans une infinité de petits générateurs individuels (les plantes, dont les feuilles sont des sortes de panneaux solaires), cette énergie chimique est ensuite stockée en partie dans la plante, sous forme de glucides, et en partie dans l’atmosphère sous forme de molécules d’oxygène afin de la rendre accessible à tous les êtres vivants (réseau aérien).
Mais avant d’en arriver là, de nombreux progrès restent encore à faire. Pour y parvenir, rien de tel qu’une recherche dynamique et inventive comme celle qui anime actuellement le petit monde de la nanotechnologie. Un peu partout, des chercheurs parviennent en effet à trouver des solutions de stockage et de production d’énergie toujours plus efficaces et originales. Sur le stockage on peut citer par exemple l’utilisation étonnante de bactéries comme catalyseur dans les piles à hydrogène (2), ou cette innovation encore plus prometteuse qui consiste à utiliser des nanotubes pour créer des supercondensateurs (3). Pour la production d’électricité solaire, citons le cas remarquable de cette « peinture photovoltaïque » contenant des polymères (4) ou encore ces cellules solaires fonctionnant grâce à des protéines d’épinard (5). Ne doutons pas que l’émergence de solutions économiquement viables ne soit plus qu’une question de temps...
Voyons maintenant la pertinence quantitative d’une telle décentralisation de l’énergie. Prenons les chiffres de la consommation énergétique totale d’un pays développé comme la France (6) :
Energie primaire totale utilisée (secteur énergétique compris) : 135 kWh/jour par habitant
consommation finale énergétique (hors secteur énergétique) : 80 kWh/jour par habitant
La différence vient essentiellement du très faible rendement des centrales électriques. Avec une énergie renouvelable comme le soleil, des véhicules électriques et une meilleure isolation des bâtiments, il serait théoriquement possible de diviser par deux l’énergie totale consommée en France, passant de 80 kWh/jour par habitant à seulement 40 kWh/jour par habitant.
L’ensoleillement moyen en France est de 4 kWh/m2 par jour (de 2 à 7 kWh/m2 dans le monde), il suffit donc, toujours en théorie, que chaque être humain réserve une surface d’au moins 10 m2 pour collecter l’énergie solaire. Dans la pratique la rentabilité des futurs panneaux solaires n’excédera probablement pas les 50% (il est actuellement de 36% dans les laboratoires), ce qui implique une surface d’au moins 20m2 par personne. Il se trouve que cette surface est du même ordre de grandeur que la surface de toiture par habitant (l’inverse de la densité d’une ville comme Paris donne 50m2 par habitant, soit environ 20m2 de toiture en tenant compte de la voirie). Quantitativement parlant, cette perspective n’est donc pas une utopie.
Reste que pour qu’une telle entreprise réussisse, il sera nécessaire de moderniser profondément l’industrie du bâtiment : elle devra notamment s’adapter pour intégrer complètement les nouveaux matériaux dans ses structures, que ce soit dans le domaine de la production d’électricité photovoltaïque (tuiles, vitrage, peinture...) ou dans celui du stockage (pile à combustible ou supercondensateurs intégrés dans les murs et les planchers des bâtiments).
Si la quantité d’énergie ainsi collectée n’est toujours pas suffisante, et dans l’hypothèse qu’on aboutisse effectivement un jour à des matériaux photovoltaïques aussi malléables qu’une peinture, il faudrait étendre cette initiative à toutes les infrastructures de la voirie et, à la limite, pourquoi ne pas imaginer l’asphalte photovoltaïque ? Les routes de France représentent une surface de l’ordre de 4 milliards de m2, en termes d’énergie solaire cela représente en pratique plus de 150kWh/jour et par habitant, soit plus de trois fois nos besoins énergétiques... De plus un tel système ferait d’une pierre deux coups puisque le réseau électrique et le réseau routier se confondraient (sans parler du fait que la surface d’un réseau routier est proportionnelle aux besoins énergétiques d’un pays).
Pour conclure, tournons-nous vers la planète Mars : actuellement il y a sur cette planète deux véhicules robotisés qui explorent sa surface depuis plus de trois ans, alors que leur espérance de vie initiale était estimée à seulement trois mois. La raison de ce succès réside dans deux innovations issues de la nanotechnologie : la première est la grande efficacité des panneaux solaires, la seconde est un matériau isolant aérogel qui permet aux robots de ne rien gaspiller de cette énergie. Il était prévu pour le robot de la seconde génération d’embarquer un petit réacteur nucléaire, mais devant le succès phénoménal de la solution solaire, les décideurs de la Nasa hésitent (7)...Ces robots martiens seraient-ils en train de nous dicter la marche à suivre pour la gestion énergétique de notre planète ?
Notes
1. Nanoquebec
3. Sciencentral
4. Courrier international du 7 avr. 2005 (n° 753)
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