La relance du nucléaire est-elle possible ?
La situation climatique en France, et en Europe plus généralement, commence à inquiéter l’opinion publique. Ne rejetant pas de gaz à effet de serre, l’énergie nucléaire refait surface dans les stratégies énergétiques de nombreux pays. Opportunisme, vraie solution de recours, lobbying, quelle que que soit la réalité de ce retour en grâce auprès des politiques, de nombreuses questions restent posées sur son bien-fondé.
Pour mieux comprendre les conséquences des choix qu’ont à faire nos dirigeants, il convient de répondre à certaines questions fondamentales.
- Centrale nucléaire
- Chaque réacteur produit 200 kg de plutonium par an.
Quelles sont et seront à l’avenir les besoins énergétiques de l’humanité ?
La puissance mondiale utilisée aujourd’hui est d’environ 12 000 GW. Elle devrait doubler d’ici 2050, et vraisemblablement se stabiliser à ce niveau, soit, 24 000 GW. A titre indicatif, rappelons qu’un réacteur nucléaire fournit en moyenne 1 GW. Notre consommation d’énergie est répartie de la façon suivante : environ 74% d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), 20% de renouvelables et seulement 6% de nucléaire. (1).
Si la part du nucléaire passait à 50%, cela supposerait de disposer de 6000 réacteurs pour la consommation actuelle d’énergie, et du double d’ici cinquante ans. Il y en a environ cinq cents en fonctionnement dans le monde à ce jour.
Quelles sont et seraient, dans la perspective du tout nucléaire, les quantités de déchets hautement radioactifs produites ?
Le plus dangereux et le plus longuement actif d’entre eux est le plutonium. Un millionnième de gramme de cet élément tue un homme, sa demi-vie, c’est-à-dire la durée au terme de laquelle la moitié de son activité a disparu, est de 100 000 ans, sa masse critique, c’est-à-dire la quantité de plutonium confinée qui déclenche un processus de réactions en chaîne, est inférieure à 500 grammes. Chaque réacteur produit chaque année 200 kg de plutonium. Le parc mondial produit donc 100 tonnes de plutonium par an. 12 000 réacteurs en produiraient près de 2400 tonnes pour satisfaire 50% de nos besoins énergétiques dans cinquante ans. La question de la gestion d’une telle quantité devient extrêmement critique, surtout à l’échelle d’une période dépassant 100 000 ans.
Quelles sont les ressources mondiales, et qu’en est-il de la notion d’indépendance énergétique ?
Il est établi que les réserves d’Uranium 235, celui qui est utilisé dans les centrales actuelles, ne nous permettront pas de dépasser la fin de ce siècle, au rythme de la consommation actuelle. L’autre source, l’Uranium 238, est bien plus abondante. Mais son utilisation suppose des réacteurs fonctionnant à plus 500 °C et refroidis au sodium liquide. Cette technologie a fonctionné dans le surgénérateur Superphénix, mais les obstacles techniques à lever pour en faire une technologie fiable et peu risquée sont très nombreux. Cependant, nous disposerions alors de 4000 ans de ressources si nous passions à une politique énergétique incluant cette technologie nucléaire à hauteur de 50% de notre consommation. D’autre part, l’Union européenne ne détient que 2% des réserves mondiales d’uranium. Quelle sera la situation géopolitique dans deux siècles, mille ans, trois mille ans ? Personne ne peut le dire ni garantir que les surgénérateurs que nous pourrons peut-être fiabiliser seront alimentés en Uranium 238 pendant quatre millénaires.
Quel coût représente réellement le nucléaire ?
Un réacteur nucléaire doit être démantelé au bout de soixante ans de fonctionnement, et seulement lorsque le niveau de radiations a suffisamment baissé. Les matériaux doivent être retraités et stockés. EDF indique que le surcoût du démantèlement a été provisionné, sans pour autant préciser à quelle hauteur. En réalité, il semble que personne n’ait la moindre idée du coût que représentera, au bout du compte, l’utilisation de cette énergie. Ce qui est sûr, c’est que ce sont les générations futures qui le prendront financièrement en charge.
En attendant, la comparaison des budgets alloués aux différentes énergies révèle que les orientations politiques en France n’ont guère changé depuis le choc pétrolier de 1973. En 2001, 423 millions d’euros de subventions étaient alloués au nucléaire, contre seulement 40 millions pour le développement des énergies renouvelables. La situation n’a pas changé depuis.
Coûts exorbitants, perspectives à court terme, pari fait sur notre capacité future à gérer des déchets extrêmement dangereux comme sur l’évolution géopolitique de la planète, le nucléaire ne peut gommer de tels inconvénients pour son seul mérite de ne rejeter que peu de CO2. La relance du nucléaire n’est peut-être qu’une illusion, les géants de cette industrie profitant de la crise déclenchée par le réchauffement climatique pour signer quelques contrats et construire quelques réacteurs. Car cette énergie ne pourra pas répondre à la demande croissante de façon durable. Le problème réside en fait dans les retards qu’accumule, faute de crédits, la recherche sur les énergies renouvelables, des énergies qui seules pourront garantir indéfiniment à l’humanité son approvisionnement énergétique.
(1) Nature, 1er novembre 2002
Mal de Terre, Hubert Reeves, Editions du Seuil
39 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON