La souveraineté européenne de Macron
La souveraineté européenne de Macron
E. Macron vient (au cours d’une conférence de presse du 9/12/2021) d’appeler de ses voeux la mise en place de la « souveraineté européenne ». Après, notons-le, qu’il a plaidé antérieurement pour des « listes transnationales » (v. ci-dessous).
Ce qui laisse penser que la présidence de l’Union européenne qui passe à la France, sera une occasion à ne pas rater par E. Macron, pour faire progresser (1) la mécanique mise sur pied dans les traités de Maastricht, Lisbonne, …
Ce qui n’intéresse guère les commentateurs qui invitent l’opinion publique à disserter sur des questions sans lien avec l’essentiel (voire sans importance), comme celle de savoir si c’est bien ou mal que Macron soit candidat aux élections présidentielles tout en assurant la présidence du conseil de l’Union européenne. Pourtant les enjeux sont importants.
La vision de l’Europe qui se dégage des textes précités, ce n’est pas un ensemble territorial sur lequel on ferait en sorte que les peuples auraient le droit d’améliorer ( directement ou par leurs représentants), leurs niveaux de vie. Par exemple, les plus pauvres étant aidés à rattraper leur retard.
« L’Europe » c’est au contraire une aire géographique sur laquelle on met en œuvre tout un système dont la vocation (si on lit les textes), est bien différente (2).
La « souveraineté européenne » annonce le franchissement (sans retour) d’une étape constitutionnelle.
Dans l’Etat actuel des choses, les normes européennes (celles figurant dans les textes des traités, plus celles décidées par l’appareil décisionnel et juridictionnel extra national) sont déjà « supérieures » aux lois nationales et aux constitutions nationales.
La souveraineté (3) qui, en 1958 (art. 3 de la constitution), est « nationale » - et non européenne- et qui appartenait pleinement au peuple, lequel pouvait l’exprimer par ses représentants et par la voie de référendum, a été amputée en 1992. Astucieusement par l’insertion dans la constitution d’une disposition prévoyant que les Etats choisissaient librement « d’exercer en commun » certaines de leurs compétences (art 88-1) ; et d’une autre ( art. 88-2) qui organisait l’exercice en commun sous la forme (ce qui n’était déjà pas tout à fait la même chose) de « transferts de compétences » sous réserve de réciprocité.
Les compétences qui échappèrent aux peuples et à leur représentants, ne furent pas déterminées ni mentionnées dans la constitution ( l’article 34 sur la compétence du législateur n’est pas modifié, alors qu’il est vidé de sa substance). Mais ces compétences furent inscrites dans un autre texte, celui des traités. Traités - et non la constitution- , qui déterminent qui plus est si, et le cas échéant comment, un Etat (notamment la France) peut mettre un terme aux « délégations » (4).
Avec la « souveraineté européenne » la compétence résiduelle qui appartenait au peuple français ne lui appartient plus par définition. Peuple qui perd alors la possibilité d’exercer ce qui lui restait de souveraineté, par exemple reprendre encore le contrôle de tout ou partie de son destin.
Et ce n’est pas tout …
On rappellera en complément, les déclarations d’E. Macron (mai 2019 -avant le scrutin européen- ; 2 décembre 2021 au parlement européen lors de l’hommage à VGE) par lesquelles ce dernier appelait de ses vœux la constitution de listes « transnationales » pour les élections européennes. Projets qui s’inscrivent parfaitement dans la logique de la souveraineté européenne.
Faire dorénavant des listes transnationales constituerait en réalité l’autre instrument de la gestion des individus sans leur concours. Car plus on éloigne le candidat de l’électeur, moins l’élu « représente » le citoyen (5).
On a donc, avec le projet de listes transnationales dans un contexte de souveraineté « européenne » un système de gouvernement complètement déconnecté du concept de démocratie. L’élection ne servant alors que d’argument pour justifier que les citoyens devenus simples individus, doivent seulement obéir. A ce qui est décidé par des gens ayant un poste grâce et dans une mécanique qui échappe à ceux qui avaient été précédemment des citoyens..
Et il faut ajouter à ce qui précède, que les personnes qui deviennent comme il a été dit, députés européens, vont siéger à Strasbourg ou à Bruxelles pour mettre en œuvre le programme économico-financier des traités européens. Ou, soit dit autrement, sans aucun lien, même théorique, avec la notion de « représentation ».
On pouvait se douter que le peuple ou les représentants de ce dernier avaient peu de chances, avec les gouvernants actuels ( et la plupart de ceux qui se présentent aux élections présidentielles de 2022) de remettre la main sur la définition de la politique qui leur est imposée. En particulier pour choisir une politique ayant éventuellement une autre finalité et un autre contenu.
Avec E. Macron, sa souveraineté européenne et ses listes transnationales, on en est certain (6).
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités.
(1) Le candidat E. Zemmour a livré son analyse (un peu critiquée sur la forme, guère sur le fond) de la personnalité d’E. Macron, qu’il a synthétisée autour du concept de « vide ».
Certes, l’analyse des dissertations, faites qui plus est sur le même modèle, du président sortant peut faire penser à ce concept. Surtout quand on rapproche le contenu des déclarations faites devant des auditoires différents à différents moments. Ou quand on met en relation la parole et l’action. Mais en réalité, E. Macron nous parait au contraire faire la démonstration d’une certaine habileté : il prépare à des réformes en s’arrangeant pour donner à leur annonce un habillage séduisant (en pointant du doigt une évidence, doigt qu’on regarde comme d’autres le suivent et ne voient pas la lune) . Et les gens « marchent ». Et, quand ils ont laissé faire, et qu’ils se rendent compte plus tard que ce qui a été réalisé ou qui est en passe de l’être n’est pas tout à fait ce à quoi ils s’attendaient, c’est trop tard.
Par ex. ici, la souveraineté européenne … permettrait de mieux surveiller les frontières, de mieux assurer notre approvisionnement en médicaments … Mais, comme il est dit, la souveraineté devenue européenne, est appelée à avoir des effets secondaire sérieux. Ce qui fait penser aux précédentes annonces de réformes … depuis réalisées ou en cours de réalisation. On va toiletter le droit du travail ! - Mais on ne dit pas que la réforme allait supprimer les garde fous qui existaient au profit des salariés ! On va réformer le système des retraites et l’assurance maladie ! - Mais on ne dit pas que l’enjeu est de permettre aux banques et aux compagnies d’assurances de gérer ces masses énormes de capitaux, etc… etc…
(2) Avec le système, ce sont les banquiers privés qui sont devenus les fabricants de la masse monétaire par la voie de prêts qu’ils acceptent ( à leurs conditions) de consentir aux Etats. Les Etats laissent les entrepreneurs délocaliser leurs productions et les rapatrier sans payer de droits de douane. Les Etats suppriment tout ce qui pèse sur le volume des bénéfices (impôts et taxes, mais aussi les règles protectrices du droit du travail). Les Etats transfèrent aux entrepreneurs privés - le plus grand nombre possible de services publics ( transport, PTT, santé, enseignement, …) - ainsi que la gestion de masses financières pouvant dégager également un chiffre d’affaires intéressant ( retraites, assurance maladie, etc…)
Système que l’on pourrait résumer un peu crûment comme suit : L’Europe dont on parle, c’’est un ensemble de règles et de mécanismes qui permettent aux financiers et aux industriels de pouvoir librement gérer et faire prospérer leurs avoirs. Avec l’habillage d’une théorie dite du « ruissellement » selon laquelle c’est la richesse de la minorité qui empêche les plus nombreux d’être pauvres. Système qui implique que les Etats, précédemment (un peu) contrôlés par les citoyens selon la formule de Lincoln, doivent dépérir, sauf pour aider à l’accomplissent du projet …
(3) on ne parle pas ici de ce que les spécialistes de droit international appellent la « souveraineté externe » et qui traite des relations entre les Etats. On pourrait il est vrai ouvrir un chapitre sur ce thème et se demander si E. Macron, suivant l’exemple des Américains, ne voudrait pas « moderniser » également ce concept. Le souveraineté dont s'agit va de pair avec la « non ingérence dans les affaires intérieures des Etats ». Or, il devient à la mode de faire la leçon aux gouvernements étrangers, de susciter des troubles ou de les faire disparaître, ou encore de menacer les Etats de sanctions ou leur en infliger, s’ils ne modifient pas leur politique interne ou s’ils ne donnent pas satisfaction à ceux qu’on leur désigne.
(4). C’est l’’article 50 du TFUE qui traite du cas dans lequel un Etat « sort » de l’Union européenne. Cet article commence par rappeler que chaque Etat peut se retirer de l’union conformément à ses règles constitutionnelles. ( NB. la constitution française ne contient aucune disposition sur le retrait de l’Union européenne). L’article 50 du TFUE organise ensuite la procédure que l’Etat s’engage à suivre. De notre point de vue, seulement dans l’hypothèse dans laquelle l’Etat accepte de conserver des relations avec l’Union européenne pendant un certain temps. Mais, toujours selon notre point de vue, rien n’empêche un Etat de sortir de l’Union du seul fait qu’il le veuille, et en préférant régler les conséquences de sa sortie par des traités bilatéraux s’il y a lieu. Le texte de l’article 50 ne s’y oppose formellement pas. Le bon sens encore moins : soit on est souverain, soit on ne l’est pas (on ne le serait le cas si la souveraineté était transférée de l’échelon national à l’échelon européen). Et lorsqu’on est souverain, soit on sort, soit on ne sort pas.
(5) Illustration. Dans les petites communes, les électeurs savent à quoi s’attendre, quand ils votent pour un maire qu’ils connaissent personnellement. De leur côté, les maires des petites communes ne cessent de se mettre au service de leur concitoyens. Certains allant jusqu’à mettre la main à des travaux de voirie, à une réparation, à recevoir chez eux les coups de téléphone de leurs administrés, quand quelque chose survient et qu’il faut agir sans délai et quel que soit le jour ou l’heure.
Pour les élections européennes avec listes nationales, c’est tout le contraire. Il arrive plus que souvent que les électeurs n’aient jamais entendu parler d’e bon nombre de « députés » européens. Parmi lesquels tel ou tel dispose de ce statut parce qu’il a été un militant que ses chefs de parti ont voulu récompenser. Ou parce qu’ ancien parlementaire en mal d’électorat, il a été inscrit en bonne position sur la liste par ses amis de l’appareil de son parti. Pour lui permettre de ne pas pointer à l’ANPE en attendant de retrouver un poste plus en vue. Comme député, sénateur, ministre, voire comme président de la République. Il arrive tout aussi souvent que les citoyens n’aient pas la moindre idée de ce que les personnes qui figuraient sur la liste nationale des candidats, peuvent bien faire quand ils vont siéger. Députés « européens » qui, lorsqu’ils sont interviewés, sont plus que rarement invités à commenter l’activité législative du parlement européen.
(6) Sauf secousse ( genre « gilets jaunes », mais en plus forte) ou sauf rencontre avec une personnalité d’exception. Qui ait lu les traités et qui se montre capable de faire ressentir que la mise en œuvre de ces derniers est aussi inadmissible et insupportable dans ses conséquences, que celles qui résultent du fait que des « quartiers » soient tombés entre certaines mains.
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