La Chine progresse-t-elle au plan des droits humains ?
À la 65ème session de l’Assemblée générale de l’ONU, qui s’est ouverte le 23 septembre, les gesticulations de Mahmoud Ahmadinejad ont éclipsé dans l’actualité les interventions d’un peu plus de 30 chefs d’État ou de gouvernement dont le Premier ministre du Conseil des Affaires d’État de Chine, Wen Jiabao qui a, le 21 septembre dernier, fait une intervention intitulée « Connaître une vraie Chine ». Le Premier Ministre Wen en était à son deuxième déplacement aux Nations Unies, après celui de 2008.
Diplomatie oblige, monsieur Wen a, selon un communiqué officiel émanant de son gouvernement, rencontré le président américain Barack Obama, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et d’autres dirigeants étrangers, ainsi que des célébrités des communautés économiques et financières américaines, des groupes pour l’amitié sino-américaine, et des médias chinois et étrangers. Le premier ministre chinois a participé à un sommet des pays membres du conseil de sécurité de l’ONU et à un débat de haut niveau sur le sida. Il a rencontré l’ancien président américain, Bill Clinton, pour lui transmettre le message habituel selon lequel la confiance politique et stratégique mutuelle était cruciale pour développer plus avant les relations sino-américaines. Pour monsieur Wen, les relations sino-américaines se trouvaient actuellement à un moment crucial, mais que dans l’ensemble, les intérêts communs surpassaient les différends et les désaccords. Le Premier ministre chinois a dit souhaiter que M. Clinton puisse jouer un rôle actif pour promouvoir les relations sino-américaines.
Au-delà de ce calendrier diplomatique chargé, que faut-il retenir de la prestation de Wen Jiabao devant l’Assemblée générale de l’ONU ? Dans son exposé, monsieur Wen a affirmé que la Chine, qui célèbre son nouveau statut de deuxième économie mondiale, est toujours un pays en développement dont le produit intérieur brut par habitant n’est qu’un dixième de celui des pays développés. Toutefois, avertit monsieur Wen, la croissance économique devait s’accompagner d’une réforme du système politique du pays qui doit impérativement résoudre ses problèmes de « concentration excessive du pouvoir » et « créer de nouvelles conditions qui permettent au peuple de critiquer et de superviser le gouvernement » afin d’aller vers plus « d’équité et de justice ». « Le développement est notre première priorité. Nous allons principalement nous reposer sur nos propres efforts pour continuer à nous développer », a rappelé Wen Jiabao.
« La nation chinoise qui a créé un miracle économique, va aussi créer une splendeur culturelle », déclarait également Wen Jiabao. Et dans cet élan de réforme, pour un pays aussi peuplé que la Chine, rappelle Wen Jiabao, l’éducation doit jouer un rôle encore plus important. « La construction d’un pays de première classe demande une éducation de première classe et des talents de premier ordre ». Dans le cadre de l’objectif millénaire du développement de l’ONU, la Chine, selon Wen Jiabao, s’efforce de protéger la santé des femmes et des enfants en assumant toutes les responsabilités en la matière. En tant que pays le plus peuplé du monde, la Chine a obtenu des progrès dans ce domaine, déclarait Wen Jiabao lors de la cérémonie de démarrage de la stratégie sur la santé des femmes et des enfants de l’ONU.
Au plan intérieur, la Chine vient de publier le livre blanc « Les progrès réalisés par la Chine en matière de droits de l’homme en 2009 ». Neuf de ces livres blancs ont été, par le passé, publiés. L’objectif de leur publication est de permettre à la communauté internationale de mieux connaître la situation des droits de l’homme en Chine. En 2009, le gouvernement chinois a promulgué et mis en application le Plan d’action national sur les droits de l’Homme (2009-2010). Selon Liu Huawen, chercheur adjoint de l’Institut de recherche juridique à l’Académie des sciences sociales de Chine, cité par Radio Chine Internationale, « le livre blanc démontre de manière objective et globale que le gouvernement et le peuple chinois ont effectivement promu la réalisation des droits de l’homme au fur et à mesure du développement économique et social, du progrès politique et juridique et de la prospérité de la vie matérielle et culturelle. Grâce à ce livre blanc, on peut constater les succès remportés par la Chine pour protéger les droits de l’homme, de même que les perspectives de développement en la matière ».
S’il y avait autant de progrès en matière des droits de l’homme en Chine, pourquoi l’Union européenne sent-elle le besoin de soulever, lors de son prochain sommet avec Pékin le 6 octobre, cette question ? Si l’Union européenne reconnaît que la Chine a progressé en matière de droits économiques et sociaux, et qu’elle a beaucoup fait pour améliorer la situation économique de millions de citoyens chinois, le commissaire au Commerce, Karel De Gucht, rappelle qu’il y a de fortes attentes à l’échelle internationale pour que la Chine se conforme à des normes internationalement reconnues en matière de droits de l’homme. Ce que souhaitait Liu Xiaobo qui lançait en 2008 la « Charte 08 » qui réaffirmait que la « déclaration universelle des droits de l’Homme » et les « pactes sur les droits civils et politiques » devaient constituer des normes d’action pour le gouvernement et le peuple chinois. Ce qui lui a valu onze ans de prison pour subversion. Il sera à nouveau question de la situation au Tibet. L’Union européenne appelle la Chine à permettre au peuple tibétain d’exercer pleinement ses droits politiques, religieux, économiques et sociaux. Cette démarche suscite toutefois des divergences entre pays de l’UE.
Les États-Unis ont dressé une liste d’entreprises chinoises dont les produits sont interdits à l’importation parce que ces sociétés sont soupçonnées d’être des paravents cachant des « laogai » (camps de rééducation par le travail). L’Union européenne, en revanche, ne dispose pas d’un tel instrument mais elle se montre prête à étudier l’efficacité de la législation américaine visant à empêcher de telles importations. « Nous devons reconnaître qu’il y a des limites à cette approche, qui n’a pas entraîné pour l’instant de changement notable dans la politique chinoise en matière de laogai », a déclaré le commissaire Stefan Füle.
Cela n’empêche pas le pays du Milieu de publier un livre blanc sur « Les progrès réalisés par la Chine en matière de droits de l’homme en 2009 ». Et d’évoquer le fait que, en raison de son développement insuffisant et déséquilibré, il y demeure encore des problèmes liés aux droits de l’Homme. Le gouvernement chinois est en train de prendre des mesures énergiques visant à promouvoir le développement scientifique et l’harmonie sociale tout en s’efforçant de rendre la société plus équitable et harmonieuse, et la vie de la population, plus respectable et plus heureuse.
Lors de cette rencontre du 6 octobre, sera-t-il question de Chen Guangcheng, juriste autodidacte et aveugle, qui a aidé des villageois à engager des poursuites contre les autorités de la ville de Linyi, lesquelles auraient forcé des milliers de femmes à avorter afin que les quotas fixés par le gouvernement central soient respectés ? Chen Guangcheng a été libéré de prison jeudi après avoir purgé sa peine de plus de quatre ans de réclusion. Comme l’indique Libération, selon des documents et témoignages, des avortements forcés étaient pratiqués - et le sont peut-être toujours - jusqu’au huitième mois de grossesse. Les cadres ne reculaient devant rien pour remplir les quotas dont dépendent leur promotion et leur salaire. Afin de contraindre une femme attendant un enfant « hors-quota » à sortir de sa cachette, ils prenaient en otage des membres de sa famille. C’est pour avoir dénoncé ces méthodes mafieuses que Chen Guangcheng a été condamné.
Lors de cette rencontre du 6 octobre, sera-t-il également question de Gao Zhisheng, célèbre avocat chinois des droits de l’Homme, qui a été récompensé par l’Association du Barreau américain pour son travail en faveur des droits Humains ? Lors d’une cérémonie à San Francisco, sa fille, âgée de 17 ans, a accepté le prix au nom de son père. Gao est l’un des avocats les plus respectés. Il a souvent accepté de défendre les propriétaires d’immeubles, les églises chrétiennes et les pratiquants du Falun Gong. Gao est porté disparu depuis l’an dernier. Il a brièvement réapparu en avril de cette année avant de disparaître à nouveau. Personne ne sait s’il se cache, s’il est détenu ou mort.
Le philosophe et académicien chinois, Xu Youyu, a suggéré au Comité Nobel de Stockholm que Liu Xiaobo soit le nouveau lauréat du prix Nobel de la paix en cette année 2010. Le mouvement prend de l’ampleur, comme en témoigne cette lettre signée de Vaclav Havel dans le New-York Times. Jeffrey N Wasserstrom est professeur d’histoire à l’University of California à Irvine et éditeur du Journal of Asian Studies. Il explique que les dirigeants chinois ont une personnalité double et leur facette confiante inquiète leurs voisins et les Etats-Unis. Le fait que la Chine s’empresse de trouver des arrangements avec certains manifestants, plutôt que de traiter toute forme d’action collective comme subversive, peut être vu comme un sentiment de sécurité croissant. A l’inverse, les actions les plus dérangeantes de la Chine peuvent être attribuées à un sentiment d’insécurité exacerbé. Pensez à la manière rude dont l’empêcheur de tourner en rond Liu Xiaobo a été traité. Accusé de « subversion » sur de fausses accusations, ce critique a été condamné à onze ans de prison pour avoir lancé une pétition sur Internet mettant au défi les libertés civiles. Comment un activiste pourrait-il troubler une élite sûre d’elle-même ?
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