Le Haut-Karabagh, un pays non-reconnu aux enjeux majeurs
Des élections présidentielles ont eu lieu dans la République du Haut-Karabagh, Artsakh depuis 2017, dans le Caucase du sud. Né des conflits post-soviétiques, ce petit pays peuplé par 150.000 Arméniens n’est reconnu par aucun pays au monde. Et pourtant, les enjeux politique, économiques et géopolitiques sont de taille.
« Nous sommes nos montagnes »
Le Haut-Karabagh, Artsakh depuis 2017, est un pays non reconnu au niveau international totalement enclavé dans les montagnes du Caucase du sud. Sa devise nationale est « Nous sommes nos montagnes », qui résume très bien l’histoire de ce peuple guerrier qui s’est constitué en état indépendant en 1994 après une longue et ravageuse guerre contre l’Azerbaïdjan.
Des élections présidentielles à deux tours y ont eu lieu entre mars et avril 2020, gagnées au 88% par Arayik Haroutiounyan, premier ministre de 2007 à 2017. Avant d’expliquer pourquoi ces élections sont importantes, il faudra tout d’abord raconter brièvement ce qu’est le Haut-Karabagh, d’où il vient et de quoi il s’agit.
La résistance dans le sang
L’idée que le peuple du Haut-Karabagh se fait de lui et du monde est en bonne partie façonnée par leur histoire et leur situation géographique. Le pays, tout comme les autres peuples du Caucase, se trouve au croisement entre l’Europe et l’Asie, en une région où se sont entrechoqués certains parmi les plus grands empires de l’Histoire : des Perses aux Romains, des Mongols aux Turcs, des Byzantins aux Russes.
Actuellement le petit pays (sa taille est celle d’un département français), se trouve à la frontière entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et l’Iran. Les multiples invasions ont créé chez ces farouches montagnards la certitude d’être un peuple de résistants épris de liberté, profondément enraciné dans son territoire et dans sa culture.
Le territoire, qui fait partie du royaume d’Arménie depuis le IIème siècle av. J-C, est christianisé assez rapidement, au même temps que le royaume d’Arménie, en 301.
Le Haut-Karabagh passe sous la souveraineté de plusieurs états pour des périodes plus ou moins longues. Les incessantes révoltes armées des Arméniens du Haut-Karabagh et l’objective impossibilité de les assimiler (ils ne se sont jamais convertis à l’Islam) contraignent tous les empires qui ont tenté d’administrer ces montagnes à octroyer de fortes autonomies aux populations locales, voir de leur laisser l’indépendance. Tel fut le cas de la principauté médiévale du Khatchen, qui conquit l’indépendance par les armes contre le Califat arabe et la garda même lorsque les tribus Seldjoukides ravageaient l’Asie centrale, l’Anatolie et le reste du Caucase. Cette principauté ne disparaîtra qu’au XVIIème siècle avec l’arrivée des Perses de l’Empire séfévide, qui installent un protectorat, encore une fois avec une certaine autonomie – les Mélikats.
Le Haut-Karabagh passe sous le contrôle de l’Empire russe en 1813, lorsque les Russes envahissent tout le Caucase et l’arrachent des mains des Perses. Les territoires arméniens de Perse passent alors aux Russes, et l’Azerbaïdjan, peuplé de tatares turcophones, est divisé en deux : le nord, caucasien, aux Russes, le sud, aux Perses.
La révolution russe de 1905 déclenche des pogroms anti-arméniens au Haut-Karabagh, et la première guerre mondiale passer par là aussi lorsque l’Empire tsariste s’étant décomposé suite à la révolution bolchevique. L’Empire ottoman, allié de l’Autriche-Hongrie, de l’Allemagne et de la Bulgarie, profitent du chaos postrévolutionnaire pour avancer au Caucase et y massacrer au passage encore un peu d’Arméniens. Leur rêve est de créer un empire turc s’étendant de la Trace orientale au Xinjiang chinois en passant par les territoires azerbaidjanais du Caucase russe.
Des brigades arméniennes d’auto-défense et des troupes régulières résistent à l’avancée turque et évitent un nouveau génocide, comme celui de 1915. L’Empire ottoman s’effondre peu de mois après l’avancée dans le Caucase, et c’est au tour des Anglais de s’installer brièvement, notamment en raison de la présence des puits de pétrole d’Azerbaïdjan.
Pour mieux asseoir leur pouvoir, les Anglais soutiennent les revendications de la république d’Azerbaïdjan, née en 1918, contre celles du Haut-Karabagh, qui veut s’unir à la République démocratique d’Arménie, elle aussi née en 1918. Des troubles entre les deux ethnies naissent, ce qui déclenchera les pogroms anti arméniens de mars 1920, dans la ville de Shushi. La même année le Caucase est soviétisé à la suite de l’arrivée des troupes Bolcheviques, et les Anglais s’en vont. Staline, alors secrétaire du bureau caucasien du Comité centrale du parti bolchevik, découpe le Caucase afin de positionner Moscou en arbitre suprême. Il punit particulièrement les Arméniens, qui ont résistés à l’arrivée des Bolcheviques, notamment dans le sud de l’Arménie, et cèdent des territoires à la Turquie, qui est en passe de devenir une république sous Atatürk, et à leurs frères Azerbaidjanais. Le Haut-Karabagh demande d’être rattaché à la République Socialiste Soviétique d’Arménie mais reçoit le niet de Moscou, qui crée l’oblast autonome du Haut-Karabagh et le place en territoire de la RSS d’Azerbaïdjan.
Le petit oblast donne naissance à un grand nombre de figures centrales de l’Armée rouge, par exemple l’as de l’aviation soviétique Nelson Stepanian, et le maréchal Hovhannes Baghramyan, commandant du front balte pendant la seconde guerre mondiale, ou encore le maréchal de l’aviation Sergueï Khudyakov.
La question du rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie se représente à l’occasion des tentatives de réformes de Mikhaïl Gorbatchev, notamment en 1988. Les manifestations sont réprimées par la police et des pogroms anti-arméniens ont lieu à Baku et Sumgaït, en RSS d’Azerbaïdjan, et qui provoquent des dizaines de morts. Des déplacements de populations ont lieu, des Arméniens fuyant la RSS d’Azerbaïdjan et des Azerbaidjanais fuyant la RSS d’Arménie.
Les Arméniens de l’oblast s’organisent alors en milices d’auto-défense, sur le modèle des unités d’autodéfense sous l’empire ottoman, les fameux fédayins. La situation étant de plus en plus hors de contrôle, Moscou décide de déclarer l’état d’urgence au Haut-Karabagh et, au printemps 1991, de désarmer les milices Arméniennes avec les OMON de la RSS d’Azerbaïdjan (Opération Anneau), polarisant davantage des esprits.
Vue l’impossibilité de se rattacher à l’Arménie, l’oblast du Haut-Karabagh proclame son indépendance le 2 septembre 1991. L’Azerbaïdjan riposte alors avec l’annulation du statut d’autonomie de l’oblast, qui n’aboutit à rien de concret. L’Union soviétique est en pleine décomposition et s’écroule le 25 décembre 1991. Peu de jours après, l’Azerbaïdjan, devenu indépendant, lance des opérations militaires pour reprendre le contrôle du Haut-Karabagh et bombarde Stepanakert, la capitale. La guerre vient alors de commencer. Elle durera de janvier 1991 à mai 1994, fera 30.000 morts, un million deux-cent mille déplacés, ravagera le territoire et déterminera la fermeture de deux des quatre frontières arméniennes, celles avec l’Azerbaïdjan et celle avec la Turquie, qui soutient Baku.
Les premières milices arméniennes sont indisciplinées, mal équipées et mal organisée, mais ont la motivation, car le souvenir du génocide et des pogroms n’est pas loin.
Des officiers militaires encadrent les milices arméniennes du Haut-Karabagh et en font une armée redoutable. Les troupes arméniennes non seulement avancent dans le territoire de l’oblast du Haut-Karabagh mais arrivent même à envahir les territoires azerbaidjanais adjacents, créant ainsi une continuité territoriale avec l’Arménie, qui leur passe des aides et des munitions.
Le cessez-le-feu est signé en 1994 alors que le conflit risquait de s’internationaliser, la Turquie soutenant politiquement et militairement l’Azerbaïdjan, mais aucun traité de paix n’est conclu. Encore aujourd’hui, la frontière est militarisée. Plusieurs accrochages y ont lieu, provoquant plusieurs morts chaque année, civils inclus.
Situation actuelle
Aujourd’hui le Haut-Karabagh est une république présidentielle qui compte 150.000 habitants, dotée d’une université, d’hôpitaux, services publics et plusieurs centres culturaux, y compris francophones. Le pays n’est reconnue par aucune nation au monde. L’ONU considère le territoire comme faisant de jure partie intégrante de l’Azerbaïdjan, qui est aujourd’hui un important exportateur de gaz et de pétrole.
Un groupe de travail, le Groupe de Minsk, a été créé afin de trouver une solution à la guerre, et en font partie la Russie, la France et les Etats-Unis.
La question du Haut-Karabagh est donc loin d’être un fait secondaire, car les implications sont mondiales. L’Azerbaïdjan est en effet le point de départ de l’oléoduc BTC, qui part de Baku, passe par la Géorgie et termine dans la ville portuaire de Ceyhan, en Turquie, d’où les navires transportent le pétrole en Europe.
Mais le BTC passe non seulement pas le Kurdistan turc, mais également à seulement quelques kilomètres de la frontière nord avec le Haut-Karabagh et à seulement quelques centaines de mètres de la frontière avec une autre région séparatiste, l’Ossétie du Sud, en Géorgie. Une reprise en grand style de la guerre mettrait donc en danger le BTC, comme lors de la guerre russo-géorgienne de 2008. Et ça alors que le projet est détenu au 30,01% par BP, anciennement British Petroleum, au 20% par SOCAR, la compagnie pétrolière azerbaidjanaise, au 5% par Total, au 5% par Eni/Agip, la compagnie pétrolière italienne. Trois compagnie états-uniennes, Unocal, ConocoPhilips et Amerada Hess, détiennent de grosses parts elles aussi.
En outre, l’Arménie, grande protectrice du Haut-Karabagh et garante de sa défense et de son économie, est le principal allié de la Russie au Caucase, et est frontalière avec un autre allié de Moscou, l’Iran. Elle fait partie de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, sorte d’OTAN version russe qui comprend la Russie, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, et de l’Union Economique Eurasiatique, elle aussi à guide russe, et sorte de réactualisation politico-économique des idées eurasistes, revenues sur le devant de la scène européenne grâce notamment aux travaux du théoricien russe Alexandre Douguine. Les alliances qui gravitent autour de la question du Haut-Karabagh sont éminemment importantes dans l’échiquier eurasiatique et atlantique. Israël est un important soutient de Baku en fonction anti-iranienne, les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran étant assez mauvaises en raison des mouvements indépendantistes présents dans l’Azerbaïdjan iranien. La Turquie demeure un soutient fondamentale de l’Azerbaïdjan et est en concurrence avec la Russie, qui est la principale alliée de l’Arménie.
Les élections : résultats et enjeux
Les enjeux politiques et économiques du conflit du Haut-Karabagh sont donc immenses car touchent de près ou de loin un grand nombre d’acteurs politiques et d’intérêts économiques.
Les élections à deux tours de 2020 reventent donc une certaine importance car devaient montrer la direction que le petit état aurait donné à sa politique interne et internationale. L’une des grandes questions sur la table était l’attitude à tenir face à l’Azerbaïdjan. Ligne dure ou tentatives de dialogue ?
Depuis la révolution de velours en Arménie qui a porté au pouvoir le premier ministre Nikol Pashinyan, des tentatives ont été faites pour tenter de trouver des solutions au conflit. Des échanges de territoires sont envisagés depuis des années, mais cela n’a aboutit à rien de concret car l’Azerbaïdjan réclame l’intégralité du territoire du Haut-Karabagh/Artsakh.
Quatorze candidats s’étaient présentés, dont six avec des listes indépendantes. Trois les favoris. Areyik Haroutiounyan, ancien premier ministre, apparatchik du Haut-Karabagh est prônant l’intégrité territoriale. Masis Mayilyan, ancien ministre des affaires étrangers et considéré comme plus progressiste, propice à une forme de dialogue. Et Vitaly Balasanyan, partisan d’une ligne dure avec l’Azerbaïdjan.
A la fin c’est l’ancien premier ministre Arayik Haroutunyan qui a gagné les élections, et avec lui le parti de l’intégrité territoriale du Haut-Karabagh et la continuité avec la politique de son prédécesseur Bako Sahakyan, président de 2007 à 2020.
Les élections ont eu lieu malgré la pandémie du COVID-19, ce qui a provoqué les critiques des opposants et poussé le candidat Masis Mayilyan à demander à ses électeurs de ne pas se rendre aux urnes, d’où les scores très importants d’Arayik Haroutounyan.
Maintenant il faudra comprendre quelle politique le Haut-Karabagh appliquera en relation avec les institutions arméniennes, où les liens sont extrêmement étroits, et, donc, avec la Russie, qui est encore aujourd’hui l’arbitre ultime du Caucase (elle soutient les régions séparatistes géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud) et du conflit du Haut-Karabagh.
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