Les bonnes raisons de l’Iran
L’Iran occupe moins l’actualité. D’autres marronniers fleurissent. L’émotion est partie ailleurs. Au moment où le bruit des bottes américaines se faisait entendre aux frontières iraniennes et que le Pentagone s’interrogeait sur une guerre préventive, je trouvais que les bonnes raisons de l’Iran étaient oubliées avec hypocrisie, dans un consensus international qui devait tout à la mauvaise foi et rien à la logique et au bon sens. Orientée vers le politiquement incorrect ma réflexion m’avait conduit à cet article. La hausse du pétrole a calmé les ardeurs américaines mais, sur le fond, la position des uns et des autres n’a pas changé. Le problème reste entier et, pour moi, les raisons de l’Iran sont légitimes, même si je le regrette. Essayons donc de comprendre sa position.
Le débat sur la défense faite à l’Iran de poursuivre son effort sur le nucléaire mérite de sortir du manichéisme dans lequel il s’enlise.
Essayer de comprendre les raisons de la détermination iranienne et son refus de se plier à l’injonction devrait être un simple exercice de logique politique et permettre un vrai dialogue en plaçant les interlocuteurs sur un pied d’égalité.
Sa détermination s’explique facilement et ne devrait choquer aucun de ceux qui cherchent à le convaincre d’y renoncer, la France en particulier.
Quand, en 1970, l’Iran a signé le Traité de non-prolifération (TNP), la situation était très différente. Le Shah régnait. Les États-Unis étaient des amis empressés. Le Shah voulait préserver le pétrole, produit trop noble pour lui pour être brûlé en développant une industrie nucléaire civile. Cette volonté anime toujours les dirigeants iraniens. Un monde cohérent, soucieux de l’avenir devrait applaudir à cette marque de sagesse. C’est le contraire car le nucléaire civil permet la bombe atomique et le contexte géopolitique a changé. Ce qui en 1970 n’était pas nécessaire l’est devenu avec l’hostilité affichée des américains. Elle est exacerbée par leur présence dans l’enfer irakien et leurs recherches désespérées pour en imputer la responsabilité à d’autres qu’eux-mêmes.
Les iraniens sont idéalement positionnés. A ces soupçons de connivence avec l’opposition chiite se surajoute opportunément la volonté probable iranienne de se doter de l’arme atomique.
La crainte qu’un pays, considéré comme terroriste, puisse se doter d’une telle arme explique que les États-unis se sentent menacés par un régime qui n’accepte pas de reconnaître leur droit à disposer des autres.
Cette politique ne peut que produire l’effet inverse.
L’attitude américaine et celle de ceux qui veulent par la diplomatie parvenir à la même renonciation stimulent les iraniens et les renforcent dans leur volonté de poursuivre leur effort nucléaire militaire car la planification d’un envahissement du pays ou de son bombardement ont des effets passionnels sur le nationalisme d’un peuple fier de son passé et de sa culture.
La menace américaine d’intervention ne peut également que faire regretter aux iraniens de ne pas s’être déjà procurés la bombe. Ils auraient alors acquis le statut de pays intouchable car doté d’un pouvoir de nuisance capable de faire reculer même le pays le plus puissant du monde. Ils envient peut-être aussi la Corée du Nord en se demandant si la prudence et les atermoiements américains ne tenaient pas à la conviction que les coréens disposaient de l’arme nucléaire et n’hésiteraient pas à s’en servir s’ils étaient attaqués.
La certitude que seule la possession d’une arme de type atomique est de nature à les mettre à l’abri d’une agression potentielle est, par là, confortée.
La réaction de la société internationale est intéressante.
Il y a peu de voix dissidentes : la société internationale partage dans sa majorité la position des dirigeants américains à propos de l’armement nucléaire iranien. La France elle-même s’aligne, en contradiction avec sa diplomatie sur l’Irak. On peut s’interroger sur les raisons de cette unanimité à un moment où la diplomatie américaine paraît malade : peur de l’Iran ou peur des États-Unis ?
D’un point de vue juridique, une telle unanimité est en parfaite contradiction avec un des principes fondateurs des Nations Unies : le principe de l’égalité des États. L’article 2 paragraphe 1er de la Charte des Nations Unies énonce en effet que « l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres. ».
Ce principe exclut, tant qu’une des menaces énoncées à l’article 1er – et qui justifierait une action collective – n’a pas été constatée, toute forme de pression sur n’importe lequel des Membres des Nations Unies
L’alignement de la société internationale sur les États-Unis lorsqu’ils déterminent leur propre conception de l’illicéité est un coup de plus porté à l’ONU.
D’un point de vue de logique politique, il est surprenant – paradoxale même – que des pays qui ont estimé nécessaire de se doter d’armes de dissuasion du même type que celles dont veut peut-être se doter l’Iran s’indignent aujourd’hui de sa volonté de le faire.
Rappelons que la volonté des puissances nucléaires d’aujourd’hui – tels la France ou Royaume-Uni – remonte à la guerre froide. Le contexte – du « containment » justifiait que l’on se prémunît d’une menace qui venait de l’Est.
Il est difficile d’affirmer que la situation actuelle de l’Iran soit très différente de celle qui prévalait à cette époque-là. Personne ne peut nier qu’une menace réelle d’envahissement ou de bombardement pèse sur lui. La similitude des situations devrait rappeler à la France sa propre histoire.
Le refus américain de s’interroger sur la légitimité de la position de l’adversaire est traditionnel de tout pouvoir hégémonique.
Plus contestable est leur prétention à s’ériger en exemple vertueux et digne de garantir la paix du monde. Il y a des souvenirs qui font douter de l’aptitude des États-Unis à discerner le bien du mal. Les récents anniversaires de Nagasaki et d’Hiroshima auraient dû permettre de rappeler que ce sont les américains qui, pour la première fois, ont utilisé des armes de destruction massive sur des civils, sans pitié ni remords.
Aucun de leurs dirigeants n’a exclu l’utilisation de l’arme atomique contre un pays qui ne la possédait pas et leur panoplie est suffisamment riche pour leur permettre d’utiliser des armes atomiques tactiques contre un État qui saurait leur résister en enterrant ses centres de décision politiques ou militaires.
Il est donc impossible de reconnaître aujourd’hui aux États-Unis une quelconque autorité morale pour interdire à un autre État de vouloir se défendre avec les mêmes armes, ou plus précisément de se prémunir d’une attaque en jouant le jeu de la dissuasion.
Le problème de la course à l’armement atomique n’est pas moins dramatique pour l’avenir du monde et exige que l’on s’y intéresse autrement qu’en développant une argumentation qui sous-tend des connotations que l’on croyait révolues : celles de peuples intellectuellement et moralement supérieurs face à d’autres inférieurs, irresponsables, dangereux par nature. Son emploi, même implicite ne peut être que source de haine et de colère.
Le seul moyen qui permettrait d’enrayer la prolifération des armes atomiques consisterait à supprimer le problème à son origine. Les puissances nucléaires d’aujourd’hui retrouveraient l’autorité morale qui leur fait défaut si elles consentaient à renoncer à cet armement et détruisaient leur stock. Alors, et seulement alors, elles seraient dans la posture d’exiger des autres pays de cesser de rêver à l’arme atomique.
On en est loin car le TNP, s’il restreignait le développement des armes atomiques, obligeait aussi les Cinq puissances nucléaires reconnues au désarmement nucléaire. Il n’en a rien été et ceux-là même qui veulent imposer à l’Iran le respect du TNP ne le respectent pas.
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