Les enjeux du nucléaire militaire en Iran
Boulette d’un sage président :
Dans une interview au Herald Tribune, Jacques Chirac exprimait tout haut ce que nombre d’experts pensent tout bas, en affirmant que ce n’est pas parce que l’Iran possède une ou deux bombes nucléaires qu’il devient un pays véritablement dangereux ; il commettait ce qu’on appelle un impair diplomatique. Manifestement, d’un point de vue stratégique, l’Iran n’aurait pas envoyé sa première bombe sur Israël que Téhéran serait déjà rasée. Cela dit, en ces matières essentiellement spéculatives puisque l’histoire ne fournit heureusement pas beaucoup d’exemples pour étayer les différentes théories, la contradiction est aussi facile que gratuite. Le président expliquait que le risque était surtout de voir cette région du monde prise d’une fièvre nucléaire. Cette fois encore, on constatera la divergence entre le radicalisme américain (on devrait dire l’impérialisme) et l’expérience de la vieille Europe, car de Bush, on ne peut attendre ce commentaire aussi sage - fût-il hors micro. Un peu plus tard, Chirac corrigeait le tir, affirmant qu’il croyait que le micro était off, et les propos rapportés par le journal pourraient être mal interprétés, ce faisant il se remettait dans la ligne des États-Unis ; au demeurant, cet article du Herald Tribune en réjouit de nombreux qui soupiraient de n’entendre repris en politique ce qu’ils disaient tout bas. Certains accuseront le président de s’oublier, mais ce pourrait être aussi une manoeuvre diplomatique très habile, un signe indiquant à l’Iran, et par extension à l’ensemble des pays du monde arabe, que les joutes verbales de Mahmoud Ahmadinejad n’impressionnent que ceux qui en sont dupes.
Dans l’affaire irannienne, c’est, encore, la catastrophique politique de Bush qui est à l’oeuvre, celle d’un pays un peu trop arrogant commandé avec une maladresse inouïe. Qu’on en juge seulement d’après les faits : il y a seulement quelques années, l’Iran était un interlocuteur important et stable de la paix au Proche-Orient avec un islam modéré et une démocratie assez bien installée. L’Iran était un pays en voie de modernisation, mais comme tous les pays qui l’entourent, il restait attaché à ses traditions islamistes. L’intervention des États-Unis en Irak est parvenue à détruire cette lente construction en peu de temps. On peut blâmer le défaut de jugement des États-Unis qui pratiquent leur politique étrangère au Moyen-Orient comme ils la pratiquent dans le reste du monde, c’est-à-dire en considérant que les frontières sont étanches. Ce n’est pas le cas, cette fois. En effet, s’en prendre aux musulmans, c’est s’en prendre à tous les pays arabes, parce que les frontières musulmanes des différentes congrégations vont bien au-delà des frontières politiques des pays. Qu’ils le veuillent ou non, les États-Unis ont réussi à se faire l’ennemi numéro un de l’islam, et ce faisant, non seulement ils creusent le lit du terrorisme qu’ils combattent, mais en plus ils provoquent les replis identitaires, tels ceux que l’on observe en Iran.
Très probablement, la plupart des déclarations hautes en couleur de Mahmoud Ahmadinejad n’ont-elles pas d’autre objectif que de faire la une des journaux internationaux, afin de s’accaparer la légitimité d’un Etat important du monde arabe (autrement que comme une pompe à pétrole). À bien y réfléchir, il y a certainement du Chavez chez Ahmadinejad, et vice versa, on les verra sûrement sur une photo ensemble un jour ou l’autre. Alors, qu’on ne s’y trompe pas, ce qui est en train de se jouer n’est pas une affaire strictement militaire au sens stratégique, car le risque reste mineur (comme le pense tout bas notre président). Par contre, le danger réel est de crisper les identités en accentuant les antagonismes entre Occident et Moyen-Orient. Pour Téhéran, la bombe atomique est en effet un signe fort qui permettra au pays d’être reconnu comme une puissance à traiter avec respect. Au fond, je pense que ces pays n’attendent pas autre chose que d’être traités avec respect, surtout que l’on respecte la non-laïcité de leurs Etats.
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