Panique à Washington
Il souffle un vent de panique dans l’ "establishment" aux États-Unis.
Oui, après plus d’un siècle de système électoral vert chou et chou vert, voilà qu’un indésirable vient perturber le scénario trop bien écrit pour que rien ne change.
Donald Trump.
Donald Trump [1], l’entrepreneur qui a réussi, le populiste, le personnage au langage fruste, celui qu’on prenait pour un clown fait la course en tête pour l’investiture républicaine.
Il est assez fortuné pour ne pas devoir compter sur de riches contributeurs pour financer sa campagne électorale et il ne devra donc pas leur renvoyer l’ascenseur. Un président qui ne serait pas soumis aux pressions des lobbies, cela, ce serait quelque chose de nouveau depuis longtemps aux États-Unis.
Ce qui en Europe serait un handicap, la réussite, le populisme et le langage vert sont des atouts aux États-Unis.
Là-bas, celui qui a réussi est respecté.
Le populisme, c’est bien prendre en compte les intérêts du peuple par opposition aux élites ? Il me semble que c’est la définition première de la démocratie, non ?
Le discours qui dénonce les élites du système avec des mots crus est bien reçu par le peuple qui voit Washington occupée par une aristocratie déconnectée de la réalité quotidienne des Américains.
La croissance aux États-Unis l’a été au bénéfice des 1 % les plus riches [2]. Les autres 99 % rament. Plus de 46 millions d’Américains reçoivent des coupons alimentaires. De plus en plus de citoyens appartenant aux classes moyennes n’arrivent pas à s’en sortir à cause de leurs dettes. L’Obamacare couvre 20 millions de personnes mais c’est nettement insuffisant quand on connait la détresse dans laquelle se trouvent les plus démunis.
Nous ne sommes pas au paradis pour tout le monde et de moins en moins d’Américains réalisent leur rêve.
Hillary Clinton.
En face, Hillary Clinton fait la course en tête. Son seul concurrent est Bernie Sanders dont les chances de l’emporter sont minces. Il serait de toute façon aussi un candidat antisystème… et socialiste de surcroit.
Imaginons Hillary Clinton et toutes ses casseroles face au rouleau compresseur Donald Trump. N’importe quel Européen dira que c’est course gagnée d’avance pour Clinton mais nous sommes en Amérique et les casseroles, là-bas, c’est du sérieux. On n’est même pas certain qu’il n’y aura pas une inculpation émanant du FBI d’ici peu. De plus, on prédit que beaucoup d’Américains qui auraient voté pour Sanders reporteront leurs voix sur Trump.
Un vrai cauchemar pour l’establishment, surtout qu’ils ont montré une extrême hostilité à la candidature de Trump et qu’ils peuvent s’attendre à un retour de flamme.
Les républicains complotent.
Les républicains mais pas seulement ! Les patrons des grands groupes, les ténors du parti, les intellectuels, les artistes se réunissent en petits comités pour trouver une alternative à Trump.
La solution serait évidemment que Trump n’obtienne pas les 1237 voix nécessaires pour être assuré d’avoir la majorité des délégués. On procèderait alors à une convention négociée [3]. Cela ferait très magouille et ouvrirait une voie royale au candidat démocrate.
John Kasich.
Les républicains devraient pour cela maintenir les trois autres candidats en lice en espérant qu’ils enlèvent le plus de délégués possibles à Trump et qu’ensemble ce soit eux qui obtiennent la majorité absolue. Une convention négociée permettrait alors de choisir le candidat du parti. Ce pourrait même être un candidat qui n’a pas participé au caucus.
Ce ne serait pas la première fois que cela se passerait mais ces candidats désignés ont toujours été battus par leur adversaire. Ce fut notamment le cas en 1948 (le candidat républicain battu par Harry Truman) et en 1952 (le candidat démocrate battu par Dwight Eisenhower).
Si Trump ne change pas de style et de programme, à mon avis, il finira par fatiguer les Américains et les caciques du parti républicain.
Y a-t-il un autre moyen d’écarter Trump ? À première vue, non. On peut chercher une faille dans sa vie privée ou de la fraude fiscale ou de la corruption mais ce sera difficile et sans doute peu convaincant. J’écarte à priori une élimination physique.
Un duel démocrate.
À première vue, la situation est plus claire chez les démocrates. La candidate du système est en tête mais elle est plutôt menacée par la justice. S’il n’y avait qu’un risque d’inculpation, ce serait gérable mais il y en a de multiples dont voici les plus importants.
- Le plus grave d’un point de vue américain est l’histoire de l’utilisation de sa boîte personnelle non sécurisée pendant son mandat de Secrétaire d’État. Les « hackers » auraient pu avoir accès à 22 messages classés « top secret » et à 1200 messages confidentiels.
- Les évènements de Benghazi qui ont coûté la vie à l’ambassadeur Christopher Stevens et à trois autres Américains. Elle est responsable parce que son administration avait refusé les requêtes de l'ambassade pour le renforcement de la sécurité et elle est coupable d’avoir voulu faire attribuer l'attaque à une réaction populaire contre une vidéo islamophobe américaine.
- Toujours en Libye, c’est elle qui a persuadé Obama d’intervenir en 2011 avec pour conséquence le chaos actuel et l’apparition d’Al-Qaïda en Afrique. C’est aussi elle qui menait la diplomatie des États-Unis lors des printemps arabes qui ont finalement débouché sur un affaiblissement de l’influence américaine et sur le retour de la Russie dans la Région.
- Un autre point faible qui est surtout soulevé par Sanders pour le moment est ses liens avec Wall Street et avec la haute finance. Elle a reçu des honoraires faramineux pour des conférences et cela pourraient être assimilés à de la corruption.
Il est clair que le ministère de la justice fait tout pour freiner l’enquête du FBI pour le moment mais c’est sans doute trop tard.
Il y a aussi les rumeurs de bisexualité de l’ex « first lady » que Trump ne manquera pas d’exploiter avec l’une ou l’autre allusion déplacée.
Sa chance est sans doute passé en 2008, elle était plus jeune, moins liée à Wall Street et l’idée de voir une femme arriver à la présidence était nouvelle. Certes, elle est intelligente mais son mandat de chef de la diplomatie américaine et les erreurs qu’elle y a commises pèsent maintenant en sa défaveur.
Barack Obama n’a jamais été en odeur de sainteté avec Hillary Clinton. Jusqu’où est-il prêt à aller pour la sauver ? Mystère.
Bernie Sanders.
Il a rencontré Bernie Sanders à la Maison blanche et rien n’a filtré de leur discussion. Une fois élu, est-ce que Sanders serait prêt à se rapprocher de l’establishment ? Deuxième mystère.
Sanders a une grande chance de battre Trump dans la dernière ligne droite, surtout s’il parvenait à rassurer les grands groupes financiers, industriels et militaires qu’il maintiendra la ligne politique actuelle.
En revanche, il risque d’être balayé par un candidat républicain modéré qui serait désigné par le parti : John Kasich par exemple et voire même un candidat très conservateur comme le président de la Chambre, Paul Ryan. Le profil socialiste de Sanders et son appartenance à la communauté juive joueraient contre lui.
Paul Ryan.
Pour Obama, ce serait une catastrophe. L’Obamacare et les accords avec l’Iran seraient remis en question et ce sont justement les deux points positifs de son bilan qu’il voudrait laisser en héritage.
On cherche sans doute aussi un plan B du côté démocrate. Une convention négociée serait aussi possible et ce serait alors une première de voir deux candidats désignés s’affronter pour la présidence avec peut-être Trump en outsider indépendant.
Y a-t-il un candidat charismatique qui pourrait émerger du côté démocrate ? Personnellement, je ne vois pas qui.
John Kerry ferait sans doute un bon candidat mais sa présence au Département d’État est pour le moment indispensable. Dans la crise actuelle avec la Russie, on ne le voit pas se faire remplacer rapidement. En a-t-il d’ailleurs envie ?
Joe Biden est bien terne comme vice-président. Je doute qu’il ait une chance contre un rival républicain dans l’état actuel des choses Il représente la vieille génération et tous ses rivaux républicains potentiels excepté Trump sont jeunes et représentent un renouveau de la classe politique américaine.
Alors tant qu’on est dans les suppositions hardies, pourquoi ne pas considérer celle-ci.
On sait que Barack Obama ne peut plus rien apporter à son pays. Sur le plan intérieur, il est coincé par les majorités républicaines à la Chambre et au Sénat. En politique extérieure, il est hors course. Netanyahou ne veut pas le rencontrer. Poutine mène le jeu au Moyen-Orient, Erdogan et Mohammed ben Salmane sont hors de contrôle, l’Ukraine va à vau l’eau, les TTIP et TPP ne seront pas ratifiés sous sa présidence, il y a des tensions entre les Départements d’État et de la Défense au point qu’il n’a même pas participé à la dernière réunion des deux ministres et de leurs conseillers alors, au moment opportun, pourquoi ne se retirerait-il pas pour laisser la place à Joe Biden.
Si ce dernier engrangeait quelques beaux succès diplomatiques comme président, là, il deviendrait un candidat sérieux.
C’est peut-être une idée saugrenue mais nous vivons une époque où beaucoup de choses inattendues surviennent.
Joe Biden.
Un signe d’une candidature de Biden est venu de son récent voyage en Israël dont il semble avoir obtenu l’appui en cas de défection d’Hillary Clinton [4]. L’appui d’Israël signifie évidemment l’appui des principaux lobbies juifs aux États-Unis.
Panique en Europe.
Les Européens devraient voir les élections américaines avec un certain détachement mais il n’en est rien.
Barack Obama est leur gourou depuis sept ans et ils risquent de se trouver seul sans guide.
L’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis laisserait l’Europe devant ses responsabilités. Sans les États-Unis, il n’y a pas de défense européenne. L’industrie informatique européenne dépend de ce qu’on invente dans la Silicone Valley. Les produits manufacturés de consommation courante viennent d’Asie. Le commerce international continue à se faire en dollars malgré le déficit abyssal du budget étasunien. Pour l’Union européenne, ce serait le moment de constater la vérité.
Le roi est nu !
Qui va en profiter ? Sans doute d’abord ceux qui l’ont toujours dit. Nigel Farage en Grande Bretagne, Marine Lepen en France, les antieuropéens de tous bords dans le sud du continent, les nationalistes en Europe centrale etc.
Il y a de quoi avoir des sueurs froides à Bruxelles et dans les capitales de l’Union mais malheureusement l’opinion des Européens n’a jamais eu la moindre influence sur le vote des Américains.
C’est pourtant une des élections américaines les plus importantes de l’histoire pour l’Union européenne. Elle n’a jamais été aussi inféodée aux États-Unis et elle a à surmonter des défis énormes qui mettent en péril la démocratie et la stabilité du continent.
Le reste du monde est plus serein.
La Chine attend depuis quatre ans le pivot stratégique américain vers l’Asie. Elle a eu le temps de s’y préparer. La Chine a assuré ses arrières avec ses partenariats avec la Russie et avec les républiques d’Asie centrale. Elle a eu le temps de commencer la réorientation de sa production vers son marché intérieur. Elle a fait de grands progrès militaires et ne craint pas vraiment les États-Unis, ni sur le plan économique ni sur la plan militaire. Un nouveau président ne changera sans doute rien pour la Chine.
Barack Obama n’a pas réussi à détruire l’économie russe. Elle se restructure pour le moment. Il y a encore un grand effort à faire mais le plus dur est passé. Les remontées des cours du pétrole vont rapidement aider les Russes à sortir de la récession. La Russie est réaliste. Elles s’adaptera au président que les États-Unis se seront choisis mais elle ne baissera pas sa garde.
Israël attend avec impatience le remplaçant d’Obama qui ne peut qu’être plus favorable à ses intérêts.
Pour l’Amérique du Sud, il n’y aura pas de changement quel que soit le nouveau président.
Conclusion.
C’est le 15 mars qu’on verra plus clair dans la course à la candidature. Ce jour-là, cinq gros États voteront et 60 % des délégués auront alors été alloués. Dans deux de ces gros États, la Floride et l’Ohio, le vainqueur empochera tous les délégués. Si Trump gagne ces deux caucus, il aura une chance d’atteindre les 1237 délégués nécessaires pour être le candidat du parti. Dans le cas contraire ses chances seraient compromises.
La direction du parti républicain pourrait alors envisager une alternative à Donald Trump et essayer de le convaincre de renoncer à la présidence.
Le problème des démocrates est l’incertitude. Ils ne sauront sans doute pas avant juillet qui sera le candidat républicain et si Clinton renonce, comme il serait raisonnable de le faire, ils devront désigner leur candidat sans connaître l’adversaire républicain.
Il est toujours mathématiquement possible que Sanders obtienne une majorité de délégués, elle est de 2241 chez les démocrates, mais c’est douteux.
Les démocrates peuvent-ils prendre le risque de désigner Sanders comme candidat ou vont-ils désigner un candidat plus expérimenté comme Biden par exemple ?
Pour le moment, il ne peut y avoir de réponse à ces questions. Les deux partis vont sans doute entamer une partie de poker menteur sous le regard éberlué du reste du monde.
La démocratie en ressortira-t-elle grandie ? Sans doute pas et ceux qui y croyaient encore devront une fois de plus ravaler leurs convictions.
Peut-on risquer un pronostic ? Chacun fera le sien mais moi je vois Joe Biden et John Kasich concourir pour la magistrature suprême aux États-Unis. C’est subjectif, je le reconnais.
Il y a aussi un point délicat à soulever. Si les deux candidats antisystèmes sont éliminés et remplacés par des candidats liés à l’ "establishment" grâce à des magouilles particratiques, on peut s’attendre à des réactions imprévisibles des Américains qui manifestent de plus en plus leur hostilité au système tel qu'il existe.
[1] http://www.linternaute.com/biographie/donald-trump/
[2] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/01/18/20002-20140118ARTFIG00280-aux-etats-unis-les-inegalites-se-sont-creusees.php
[3] http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/elections-americaines/20160225.OBS5270/primaire-republicaine-une-convention-negociee-pour-faire-barrage-a-trump.html
[4] http://lphinfo.com/2016/03/07/elections-us-joe-biden-se-prepare-t-il-a-remplacer-hillary-clinton/
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