Vers un humanisme nouveau...
Le professeur Chater se propose d’investir l’humanisme - ce mouvement d’idées et cette conception du monde, liés historiquement à la Renaissance, d’une signification universelle, qui prolongerait son usage, par une extension/réactualisation opératoire et l’érigerait en idéal-type des temps nouveaux, en vue de contribuer à l’institution d’un ordre global, au service de l’homme. Intégrant les idéaux désormais occultés du tiers-mondisme, de l’universalisme et de la solidarité de l’espèce humaine, ces propos risquent d’entacher sa réflexion d’un anachronisme qu’il assume, dans cette conjoncture de choc de civilisations, où l’homme est invité à être un loup pour l’homme.
Notre propos a pour objectif d’investir l’humanisme - ce mouvement d’idées et cette conception du monde, liés historiquement à la Renaissance et inscrits dans son contexte spécifique - d’une signification universelle, qui prolongerait son usage, par une extension/réactualisation opératoire et l’érigerait en paradigme de solidarité et de bien-être et en idéal-type des temps nouveaux, en vue de contribuer à l’institution d’un ordre global, au service de l’homme. Nous remarquerons, bien entendu, que l’humanisme n’est pas propre à une culture. Une lecture de l’histoire plurielle de l’humanité permet d’identifier une praxis humaniste, fût-elle non nommée et non conceptualisée, à l’instar de l’œuvre des humanistes de la Renaissance.
Le vocable humaniste a été, certes, utilisé par différentes idéologies et de nombreux courants de pensées intégrant dans leurs grilles de lectures un ensemble de valeurs, de normes, et des modèles en relation avec leur vision du monde, sinon avec leur philosophie. Dans ce contexte de mondialisation, qui induit des transformations d’envergure, progrès, bouleversements, tensions et rupture, un humanisme nouveau permettra de soumettre à son éthique l’ordre international politico-économique dominant, favorisé par cette mutation globale, de replacer l’homme au centre du monde et d’instituer comme postulats les valeurs humaines de solidarité, d’équité et de justice, dans le cadre d’un universalisme transgressant les frontières et les rapports de forces.
Le nouveau contexte
Un humanisme nouveau nous permettra de faire face aux défis de cette conjoncture de rupture, favorisé par l’émergence de facteurs similaires mais de plus grande envergure par rapport à la Renaissance : une extension de l’espace, une plus large ouverture de l’horizon, l’émergence d’un nouvel outil de communication (l’imprimerie au XVIe siècle et Internet aujourd’hui), une mise à l’ordre du jour de la dialectique identité/altérité. Fin des idéologies, remise en cause du tiers-mondisme, les rapports de forces se ressaisissent et font valoir une éthique de soumission, de résignation, dans le cadre d’un monde- jungle. Comment concilier le nouvel ordre hégémonique et les impératifs de justice internationale, de développement, de solidarité, ou tout simplement de tolérance ? Jadis, on a tenté de justifier et de légitimer l’expansion coloniale par une volonté civilisationnelle. Détruire et exploiter pour « civiliser », le discours humaniste au service d’une déshumanisation ! De nos jours, la « guerre préventive » et la « montée des périls » qui s’ensuivit ont ouvert « la boîte de Pandore » et favorisé l’extension d’un terrorisme sauvage et de grande envergure. La conjoncture de guerre a sous-dimensionné les graves menaces qui mettent en péril l’espèce humaine, les effets de serre et du réchauffement de la planète, les préoccupations environnementales, les défis de la découverte sinon du « secret de la vie », du moins du « secret de la reproduction » et du clonage.
Dépasser les formules d’un « prêt-à-porter » politique sinon intellectuel :
Ne commettons pas les erreurs de ceux qui ont cru pouvoir et devoir rédiger des vulgates définissant des programmes, des modèles et des valeurs. Voulant servir l’humanisme, ils ont créé des terrains de discorde, par les schémas d’interprétation exclusifs qu’ils ont établis d’autorité. L’ère des idéologies meurtrières a marqué de son empreinte notre passé immédiat. Sachons dépasser les formules d’un « prêt-à-porter » politique sinon intellectuel, qui nécessairement divise. Ne créons pas « un politiquement correct » alternatif.
Dans ce même ordre d’idées, nous remettons en cause et le discours de « la fin de l’histoire » et celui du « choc des civilisations », qui l’a relayé. La fin du communisme et la victoire du libéralisme économique, et non de l’esprit libéral, définissent historiquement la conjoncture que nous vivons. Mais n’anticipons pas, étant donné « les incertitudes » que l’analyse prospective ne peut encore déceler. Processus d’évolution, dynamique de mutations, et bien entendu production d’événements, l’histoire ne saurait avoir une fin. Elle atteste la liberté de l’homme, ses capacités à intervenir sur les scènes de l’actualité. Par contre, le « choc des civilisations », une réactualisation de la loi de la jungle consacreraient, bel et bien, la fin de l’humanisme, par l’entremise de l’institution d’une nouvelle guerre froide et par le choix de nouveaux adversaires.
Quel humanisme nouveau ?
L’humanisme nouveau, que nous appellerons de nos vœux, doit remettre à l’ordre du jour le débat, la libre réflexion, pour dégager des compromis, au service d’une meilleure connaissance du monde, d’une réactualisation des principes de sa construction en tant qu’espace de coopération et de « prospérité partagée ». Il devrait nécessairement conjuguer les différents acquis : ideal-typus onusien, tiers-mondisme réactualisé, humanisme environnemental, alter-mondialisme, etc., pour construire un humanisme global, corrigeant les dérives, définissant les priorités et ouvrant les horizons de promotion. Cette « conscience du monde » mettrait à l’épreuve les discours et les faux prêches, jugerait par les actes, la prise en compte des règles de la bonne gouvernance internationale, et favoriserait l’émergence d’un observatoire d’« éveil éthique », dont l’humanité a grandement besoin. Ceci permettrait de consolider les efforts de tous les hommes de bonne volonté, les institutions, des Etats et de tous ceux qui veulent redresser la barre, au profit du progrès de la civilisation, de la culture de la paix et de la justice sociale.
Conclusion
Je voudrais, rappeler, en conclusion, ce qui, me semble-t-il, relève de l’évidence :
1) L’humanisme devrait être fondé sur une nouvelle connaissance du monde. A cette fin, il faudrait prendre acte, par le « réveil des substrats », de ce retour à l’exclusion, dans l’aire monde. Aussi faudrait-il démasquer, dans l’underground des discours, les enjeux réels.
2) Tentative de réponse à son temps, l’humanisme doit participer à l’édification d’un monde meilleur et plus juste. Les relations asymétriques et les démonstrations des rapports de forces créent, par les frustrations qu’elles développent, des conjonctures de conflits, de rivalités, et confortent les attitudes de rejets réciproques, au sein d’une humanité pourtant riche par sa diversité et cohérente, par sa solidarité.
3) Marginalisés, ou réduits à être des mercenaires des pouvoirs hégémoniques, les intellectuels n’exercent plus les responsabilités qui définissent leurs attributs. Dans cette ère de la communication et des apparences, ils sont, en fait, relayés par les stars, les fameux « people », les hommes en vue. La défense d’un humanisme nouveau impliquerait la réhabilitation des intellectuels comme humanistes de notre temps.
En fait, le discours humaniste n’est-il pas à contretemps, dans un monde où « le poids de l’acteur » dépend de la puissance qu’il représente, des réserves énergétiques de son pays, de son appartenance ou non au club des pays nucléaires ? En dépit de ces évidences, le rôle des humanistes n’implique-t- il pas le renversement de l’échelle des rapports de forces, au profit d’une grille des valeurs de la solidarité humaine ?
Khalifa Chater
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON