France Inter. Thomas Legrand rappelle fort à propos « l’antisémitisme culturel » du général De Gaulle
Un extrait d’une conférence de presse du général De Gaulle parlant d’Israël. Cela devrait pouvoir élever le débat qui en a bien besoin.
Ce matin du 22/02/19, Thomas Legrand, éditorialiste, nous fait écouter quelques bribes de la fameuse conférence de presse du général De Gaulle après la victoire israélienne de la guerre des six jours en 1967.
« …Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem… » (63 mots choisis dans une déclaration qui en compte 1286).
Thomas Legrand évoque sans appel "un antisémitisme culturel" du général pour préciser que l’antisionisme de l’époque était différent de ce qu’il est devenu maintenant et qu’il est bien sûr très réducteur d’assimiler antisionisme et antisémitisme. Quelle clarté et quelle précision. Ne serait-il pas plus clair de dire que ceux qui évoquent ce lien font le jeu de ceux qui comme Alain Soral installent méthodiquement la confusion pour entretenir le feu ? Et que peut-être que si chaque responsable politique le disait sans détour, cela priverait le feu au moins de ce combustible. Ce n’est pas rien de convoquer dans le contexte actuel le général De Gaulle et d’en parler ainsi. Thomas Legrand fait référence au sociologue et journaliste Raymond Aron, juif présent à Londres de 1940 à1945 au sein de la France Libre et qui n’a pas manqué de s’interroger, lui, sur le soupçon d’antisémitisme du discours politique tenu dans ces circonstances. Elie Barnavi, historien et ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002 critiqua la politique de la France dans le conflit de 1967 qui visait, disait-il, à éviter que le Moyen-Orient ne fût entraîné dans la logique de guerre froide et qui eut un effet inverse selon lui. Régis Debray insista de son côté sur la pertinence des prises de position de De Gaulle durant cette année décisive et y voyait la seule base possible d’une solution au conflit du Moyen-Orient.
Le général de Gaule n’avait pas l’habitude de parler pour ne rien dire sans peser ses mots. Il est connu pour sa politique internationale de non alignement et ses prises de position souveraines qui ne se dissimulaient pas derrière les voiles du langage diplomatique. Il avait hérité de la politique des gouvernements socialistes de la quatrième république qui soutenaient et aidaient matériellement Israël à accéder à la maîtrise des technologies atomiques. Revenu au pouvoir, il avait fait le point sur la volonté d’Israël d’accéder aussi aux technologies militaires et avait expliqué à ses dirigeants qu’immanquablement cela entraînerait une volonté réciproque des chefs d’états arabes. Qu’il y voyait un grand danger et qu’il mettait fin à cette collaboration tout en menant à bien les installations civiles en cours. Les Anglais prirent le relais. On connaît la suite.
La contribution médiatique de Thomas Legrand sur l’antisémitisme et l’histoire, concernant un de nos plus éminents responsables politiques, confronté aux plus aigues des crises géopolitiques de l’histoire, submergé par un antisémitisme culturel. C’est simple comme une comptine et sa petite morale.
L’antisémitisme est un sujet douloureux qui empoisonne et met en danger au quotidien la vie morale et matérielle, la vie tout court de ceux qui en sont les cibles. Il empoisonne le lien social qui tresse la vie de ceux qui, malgré leurs différences, leurs querelles quelquefois, se sentent citoyens d’un même pays. Il s’aggrave comme tous les problèmes dont on redoute d’être dérangé par l’explicitation des causes et des responsabilités. A celle-ci se substituent des postures morales visant à se placer avantageusement au détriment d’un adversaire si possible. A défaut de bien comprendre, le citoyen est sommé de suivre. L’antisémitisme relève maintenant d’une forme d’horreur banalisée par les postures politiciennes tellement stéréotypées qu’on en vient à douter du véritable objectif poursuivi. Qui déclenchent comme dans un scénario connu d’avance les inévitables mesures circonstancielles. Qui paradoxalement augmentent notre angoisse et notre écœurement de voir une fois de plus les calculs politiciens saturer la vie politique de notre pays, sans répit semble-t-il. Relayés sans fin par le tam-tam médiatique. Un citoyen mis au fait des racines des racismes, en capacité de détecter les jeux de ceux qui les suscitent, les entretiennent et les manipulent à des degrés divers, prospèrent ou se maintiennent finalement sur le dos des victimes et la santé de notre démocratie, naviguent au milieu du flot infernal des indignations surjouées et de l’escalade des provocations qui se répondent, serait en mesure de demander des changements incontournables et d’interroger les responsabilités de ceux qui différent ce moment.
Est-ce approprié sur le service public de relier encore une fois de façon si caricaturale l’état d’Israël et la conduite de ses politiques avec l’antisémitisme en France en ayant l’air de dénoncer ce lien ? Ce sont exactement les jeux auxquels se livrent les idéologues professionnels de tous bords avec le succès que l’on sait.
Alors, à quoi sert un éditorialiste au juste ? Discours médiatiques de circonstance. Avec la même envie, le même courage d’éclairer le débat citoyen tout en en sapant les fondements ? On a envie de chanter "Tout va très bien madame la marquise" et de rire ou de pleurer, ce qui dans certains cas relève de la même attitude.
Régis Debray, À un ami israélien-Avec une réponse d’Elie Barnavi (2010)
Elie Barnavi, Saul Friedländer, La politique étrangère du général De Gaulle (1985)
Conférence de presse du 27 novembre 1967, texte complet sur wikisource.
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