L’indépendance artificielle des médias est-elle souhaitable ?
Depuis que Nicolas Sarkozy est devenu président de la République, se pose la question de l’indépendance des médias au vu des liens qu’il entretient avec d’éminentes personnes fortunées propriétaires de médias privés. La plupart des critiques partent du fait que les gens de pouvoir se serviraient de leurs sociétés de médias pour influencer l’opinion. Alors même que la collusion des intérêts apparaît pour beaucoup comme certaine, inévitable et prégnante, on peut se demander si cela est véritablement dangereux dans une société ouverte telle que la nôtre. Je n’en suis pas persuadé. Le débat fait appel à la notion de médias indépendants, concept sybillin sur lequel je propose un point de vue structurel. Voici quelques brèves réflexions sur le sujet.
1. Comprendre les rouages d’une possible collusion des intérêts
La plupart des personnes adhèrent à l’idée qu’il y a forcément un côté partisan chez les médias privés dans la mesure où les intérêts des détenteurs de leur capital seraient alignés sur ceux de certains partis qui souhaitent leur accorder des avantages. Cela est un argument très fort d’un point de vue logique. Cependant, il faut le décortiquer et le mettre en perspective.
a. Hypothèses
Supposons qu’un magnat de la finance possède 100 % d’une société détenant journaux, télévisions et radios. Admettons qu’il ait passé un pacte avec un homme politique qui a des chances d’accéder à des postes de pouvoir. Les termes du pacte sont : « Tu m’aides à devenir président et, en échange, j’accorde des faveurs à ton groupe de médias pour que tu fasses plus de profit et je t’abaisse les impôts pour que tu puisses gagner plus en travaillant moins ».
Prenons pour hypothèse que le grand capitaine de médias a des objectifs financiers dans la manœuvre.
Un tel pacte est-il possible et sous quelles conditions ?
b. Objections sur la probabilité que le pacte soit conclu
La fait que le pacte soit conclu me semble peu probable pour deux raisons principales. La première tient à une situation en termes de théorie des jeux. En effet, il y a incertitude sur l’élection du candidat soutenu alors même qu’il y a certitude sur les coûts engagés pour le soutenir. Ces coûts peuvent être de natures diverses : perte d’audience, recettes publicitaires, risque de réputation... Par ailleurs, il existe un coût de la défaite, par vengeance du candidat opposé, qui a de bonnes chances d’être d’autant plus élevé que l’engagement pour le candidat est important. Dès lors, les coûts et le risque augmentent avec un effet ciseaux sur la profitabilité attendue.
De plus, la prise qu’ont aujourd’hui les grands médias privés sur la société n’a jamais été aussi faible, notamment en raison du développement de sources alternatives. Avec la fin du monopole des médias, il devient bien plus difficile de viser un public de façon certaine, d’autant plus que les médias étrangers ne peuvent que difficilement être influençables vu la faiblesse du public français dans leur audience.
c. Objections sur la probabilité de la réalisation des promesses
Le premier risque pour le magnat des médias qui soutient le candidat est qu’une fois élu, le candidat refuse de le soutenir et d’honorer ses promesses en lui jetant à la figure la célèbre phrase de Charles Pasqua.
Cependant, même si le président souhaite mettre en œuvre une politique visant à soutenir l’entreprise de son sponsor, le nombre de contre-pouvoirs qui se mettent en travers de son chemin sont considérables et la lenteur avec laquelle il va mettre en œuvre ses promesses est extrême.
En effet, comment un dirigeant, même s’il dispose de tous les pouvoirs essentiels (Assemblée alliée et présidence), peut-il concrètement aider celui avec qui il a passé un pacte ? Je ne vois pas beaucoup de moyens, à moins que ce dernier ne dispose d’entreprises dans des secteurs où l’Etat dispense des marchés publics (principalement défense et aménagement du territoire).
2. L’indépendance des médias est-elle souhaitable ?
a. Qu’est-ce qu’un média non partisan ?
Beaucoup de médias se disent non partisans et indépendants. Il semble possible de définir le terme « non partisan » de façon plutôt claire, sans toutefois mettre tout le monde d’accord.
En effet, un média « non partisan » serait celui qui évite, autant que cela est possible, d’argumenter en faveur d’un camp ou d’un autre, supposés opposés autour d’une question. C’est donc essentiellement une question de présenter un point de vue équilibré sur un sujet. La définition est cependant particulièrement délicate car son application rigoureuse à des exemples concrets pose problème. En effet, un média qui évoque la situation tragique au Darfour dans une journal télévisé omet nécessairement de faire la lumière sur d’autres sujets tout aussi préoccupants tels que la séparation de François Hollande et de Ségolène Royal et le jogging de Nicolas Sarkozy avec François Fillon. Vous ne trouvez pas que les deux derniers thèmes sont plus importants ? Etonnant, mais cela montre que la difficulté est du côté de l’audience, dont il est difficile de connaître les préférences, aussi bien en termes de choix de thèmes que d’arguments. Mais disons que sur un débat comme la TVA sociale, Le Monde a publié deux articles conjointement, un contre et un pour. Ceci est un exemple de démarche non partisane.
b. Qu’est-ce qu’un média indépendant ?
L’indépendance est, me semble-t-il, très délicate à définir. En effet, l’indépendance nécessite de pointer un ensemble de personnes/organisations vis-à-vis desquelles un média ne doit pas dépendre, et donc de pointer du doigt, par définition, ceux pour lesquels cela ne pose pas de problème. Prenons deux situations similaires où une organisation contrôle effectivement (direction générale ET éditoriale) d’un média, avec pour exemples hypothétiques d’actionnaires majoritaires le Medef et la CGT. Lequel serait le plus gênant pour l’expression du pluralisme d’idées ? En prenant d’autres exemples, avec par exemple l’Eglise catholique, le MRAP, le fonds de pensions Vanguard, Medecins sans Frontières ou encore le Front national, il est probable que beaucoup y trouvent à redire, ce qui aboutirait à une situation où il faudrait interdire à toutes les organisations, quelles qu’elles soient, de détenir des parts majoritaires dans des sociétés de médias.
Plutôt que d’interdire à des organisations de contrôler des médias, il faudrait trouver des modes de gouvernance qui empêchent les actionnaires d’avoir une influence sur la direction éditoriale. Ceci est déjà le cas. Ainsi, les dirigeants des chaînes publiques (France télévisions) sont nommés par des administrateurs qui représentent l’Etat, le Parlement, le CSA et les employés. Elément intéressant, Patrick de Carolis est aussi bien administrateur (du CSA) que dirigeant du groupe, ce qui est plutôt bizarre. En principe indépendantes, les chaînes sont dirigées par des directeurs généraux différents, mais dont le processus de nomination et de révocation semble assuré par le groupe (le site Internet de France télévisions n’est pas assez précis).
Ce mode de gouvernance n’est pas sans poser problème pour des médias privés. En effet, lorsque la ligné éditoriale est prise en otage par des rédacteurs qui ne se soucient pas des lecteurs, un financement par les ventes et par la publicité des médias est impossible vu que les citoyens ne sont pas désireux de payer pour lire la prose des rédacteurs. Il faut alors trouver d’autres moyens de financement, telles que les subventions, mais là encore, il pourrait y avoir des gaspillages.
c. Et si on faisait une loi autorisant la diffusion de tous les médias ?
Situation hypothétique s’il en est. Supposons que demain, l’Etat libère cent canaux hertziens et permette à toutes les chaînes qui le souhaitent d’obtenir une diffusion libre aux côtés de TF1 ; France télévisions... Ne serait-ce pas extraordinaire ? C’en serait fini de la mainmise des grands groupes de médias sur l’attention de citoyens. Les Français auraient accès à des chaînes aussi dépendantes et partisanes que CNN, BBC World, Al-Jazeera, RTBF et autres facéties. Quelle liberté de comparer, d’apprendre une langue étrangère, de s’ouvrir sur d’autres cultures, d’avoir accès à l’opinion de journalistes qui sont tellement éloignés de nos préoccupations parisiennes qu’ils ne peuvent être qu’indépendants des candidats en lice.
Mais cela supposerait de remettre à plat, comme dirait Ségolène Royal, un certain nombre de concepts sous-jacents à la politique publique depuis des décennies. Il faudrait annuler toutes les subventions aux journaux et aux télévisions, supprimer l’objectif de pluralité des médias affiché par l’Etat, autoriser la diffusion de chaînes étrangères sur le territoire en leur accordant les mêmes droits d’accès à la population que celui des chaînes historiques, instaurer la concurrence des imprimeurs et du réseau de distribution (suppression de de NMPP).
Quelles en seraient les conséquences immédiates ?
d. Conséquences
Premièrement, le débat se déplacerait des polémiques sur l’indépendance et le côté non partisan des médias, vers l’objectivité des informations, les sources et la réputation.
En effet, aujourd’hui, les Français se reposent dans leur quête d’information sur des télévisions installées, soi-disant indépendantes et non partisanes car publiques, alors même que le débat sur leur partialité n’a jamais été aussi vif. La démarche de la plupart des Français est de regarder sans se méfier. Or, l’audience de demain, issue de la génération Internet, ne sera plus passive, se reposant sur une source unique. Consciente de la nécessité de vérifier les informations, les auditeurs-spectateurs-lecteurs iront vérifier les sources et n’accorderont leur confiance qu’à des médias, privés cette fois-ci, dont ils auront eux-mêmes constaté l’irréprochabilité.
Ceci se fera avec un coût de l’information plus élevé (en termes de temps), car il faudra aller chercher l’information soi-même, être proactif. Cependant, il y aura aussi des médias qui noteront l’objectivité de leurs confrères, ce qui permettra aux plus pressés de choisir les quelques sources les plus fiables.
Mais imaginez alors quelle pression tombera sur les médias privés et leur actionnaires ! Il ne leur viendra plus à l’idée d’influencer le débat public par des arguments fallacieux, un temps de parole restreint ou des manœuvres éditoriales. Imaginez seulement que les entreprises de médias reposent largement sur des recettes publicitaires qui elles-mêmes sont fonction de l’audience : la perte d’audience en raison de jeux politiciens coûterait trop cher, élevant ainsi le risque de s’associer aux politiques, et assurant ainsi, de fait, l’indépendance des médias, jugés sur leurs résultats et non sur leur statut et une prétendue objectivité découlant de schémas complexes de gouvernance.
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