Droit de grève, service minimum et service public
Le cocktail du mois d’août se présente sous la forme d’un faux débat, non, en fait sous la forme d’un débat en bikini, débat extra light, débat régime.
Certes, l’une des mesures phares du programme de Sarkozy et de l’UMP réside dans la mise en place de ce service minimum indispensable pour que deux principes clés de la démocratie soient respectés : le droit de grève et la liberté de travailler.
Presque inutile de le dire, la valeur travail était en danger, nous l’avons compris, Sarkozy, la droite et ses alliés de gauche vont rétablir cette valeur clé de la société. Pour ma part, aucun inconvénient à ce que le travail soir mieux valorisé - je suis comme monsieur Tout-le-monde -, toute peine mérite salaire. Mais le débat est en fait biaisé. Par qui ? Chacun verra la paille dans l’œil de l’autre, et c’est donc des pailles que je vais mettre en évidence.
"Service
minimum, pour quoi faire ?" pourrait-on dire tant les gouvernements
successifs ont mis en place des solutions alternatives beaucoup plus
logiques. Ainsi, l’alarme sociale a permis de réduire le nombre de jour de
grèves dans la fonction publique et plus précisément dans les deux
sociétés qui posent problème, la RATP et la SNCF, puisque ce sont elles qui
sont visées.
Les Franciliens et les "usagers" des transports ferroviaires sont, dans
l’ensemble, agacés par la vétusté des trains et des lignes hors TGV,
comme si le TGV avait pompé tout le fric et toute la réduction de
distance pour laisser se qui se trouve à moins de 100 km de Paris
à plus d’une heure de train (hors retards s’entend). Le débat se
situerait donc plutôt là, ce serait bien d’avoir un service minimum (c’est
à dire un standard acceptable) plutôt que le minimum de service (on se
fout du client). Pour les pouvoirs publics, ce débat est moins
intéressant puisqu’il implique l’État et les Régions dans
l’investissement des moyens de locomotion et dans le fonctionnement.
Service minimum, évidemment, puisque deux "droits fondamentaux" de la
société française entrent en collision : le droit de grève et le droit,
la liberté, de travail. Deux actions individuelles, puisque la grève est
un acte individuel piloté par une assemblée collective qui met en avant
l’intérêt des employés (le terme "ouvrier" ne représente plus
suffisamment la réalité de l’emploi en France pour cantonner la grève à
la catégorie ouvrière), contre l’intérêt particulier de se rendre à son
travail sans en être entravé par un mouvement qui ne nous concerne
pas, même s’il peut nous toucher.
Or, la dialectique des opposants au service minimum, en tout cas celle qui s’est exprimée à la radio dans les "auditeurs ont la parole", a vite montré que les principaux défenseurs du droit de grève à l’ancienne sont des "fonctionnaires", ardents défenseurs de leurs droits, derniers remparts du droits des salariés du privé (je n’exagère même pas).
À l’écoute d’une telle dialectique, j’aurais envie, par ma plume clavistique,
de pourfendre ces malheureux défenseurs d’une autre époque. Je les
aurais bien attaqués bille en tête défendant cette idée géniale de
s’annoncer comme gréviste ou non-gréviste 48 heures avant la grève,
en particulier dans la fonction publique qui n’est pas menacée de
licenciement vengeur. D’ailleurs, c’est bien de dire qui va faire grève
ou pas 48 heures avant, pour ceux qui sont fonctionnaires, pour les
enseignants et pour les cheminots en particulier. En effet,
l’époque où l’on habitait dans le même village que ses parents et
beaux-parents, frères et sœurs, est révolue, et faire garder les enfants à
l’improviste est un exercice fort inconfortable. Il est vrai que ce n’est
pas notre confort qu’ils défendent, mais leurs intérêts et les nôtres,
nos intérêts fondamentaux, comme si parfois notre confort d’aller
travailler n’était pas un intérêt fondamental.
Donc conflit ! Personnellement, j’hésite, grève pas grève, j’attends de
voir le dernier moment (dès fois qu’il fasse beau ; à moins qu’une
déclaration de dernière minute ne mette le feu aux poudres ; un bon conflit
ça laisse des souvenirs ça soude, tout comme 6 semaines passées dans un loft).
Concrètement donc, je valide la déclaration 48 heures à l’avance, chacun
de toute façon doit savoir ce qu’il va faire, et puis tiens, si je change d’avis je me mets en
grève. Ah non, plus le droit ? Bon restons calme, le sujet ne touche que les transports de voyageurs terrestres (mince même pas les profs !).
J’allais oublié le vote à bulletin secret (celui-là même qui fut
organisé dans les universités et qui - oh surprise ! - montra que tout le
gratin estudiantin n’était pas si favorable que cela au blocage des
universités), voilà une très bonne idée. Avant, quand il fallait lever
le piquet de grève, les camarades se tenaient bien les coudes et, comme
dans toute bonne assemblée, le leader syndical pouvait - dans un silence
religieux où chacun palpe la tension de l’autre, par des coups d’œil
appuyés - intimer l’ordre moral de suivre la consigne des chefs. Il
fallait donc à la question "qui est pour la levée du piquet ?" il fallait, j’y arrive,
lever le bras, et, comme on se serre les coudes, ce n’était pas évident
(même pour l’abstention qui constitue la deuxième question), les risques
de se retrouver au placard comme traître à la cause pour desserrage de coudes étaient élevés. Finalement,
donc, le camarade en chef concluait qu’à l’unanimité la grève se
poursuivait, les coudes demeurant toujours serrés (et pour certains les dents aussi).
S’il fallait aujourd’hui faire un choix et négocier ce projet de
loi (d’ailleurs pourquoi encore un projet de loi ?), je retiendrais la
dernière mesure (le vote à bulletin secret), qui est une mesure
démocratique dans les rapports entre les employés, syndiqués
ou non. Pour le reste, il me semble plus essentiel de responsabiliser
tout le monde par des règles négociées entre syndicats et patronat. Le
succès d’une grève repose aussi en grande partie sur le soutien de
l’opinion publique et du poids que l’on a dans cette grève.
Par contre, syndicats et organisations patronales pourraient lister des
thèmes de grève avec des droits concordants, la grève à la japonaise
avec affichage des revendications en interne, et visible à l’extérieur
pour certains types de conflits, et, pour des conflits dits vitaux,
l’arrêt de travail classique.
De nombreux progrès ont été réalisés dans la gestion des conflits au
sein des services de transports de voyageurs, pourquoi donc aller au
casse-pipe aujourd’hui ?
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