Exercice démocrate : lettre ouverte à ces Messieurs qui légifèrent
Cet exercice démocrate en forme de lettre ouverte s’adresse aux vingt députés du Nouveau Centre, ainsi qu’au député « apparenté » - au sens de l’article 19 du règlement de l’Assemblée. Il offre quelques clés de compréhension de la machine législative française et, surtout, de la façon dont un député peu scrupuleux peut facilement en faire usage.
Cette lettre, donc, s’adresse aux députés du Nouveau Centre, qui ont eu l’heureuse idée de déposer une proposition de loi relative « au pluralisme et à l’indépendance des partis politiques ».
Afin que nul n’en ignore, voici en préambule la liste exhaustive de ces députés du Nouveau Centre et, pour l’édification de leurs électeurs, leur circonscription d’élection :
nom |
prénom |
département |
circonscription |
ABELIN |
Jean-Pierre |
VIENNE |
4ème |
BLANC |
Christian |
YVELINES |
3ème |
DE
COURSON |
Charles |
MARNE |
5ème |
DEMILLY |
Stéphane |
SOMME |
5ème |
DIONIS DU
SEJOUR |
Jean |
LOT ET
GARONNE |
1ère |
FOLLIOT |
Philippe |
TARN |
3ème |
HILLMEYER |
Francis |
HAUT RHIN |
6ème |
HUNAULT |
Michel |
LOIRE
ATLANTIQUE |
6ème |
JARDE |
Olivier |
SOMME |
2ème |
LACHAUD |
Yvan |
GARD |
1ère |
LAGARDE |
Jean-Christophe |
SEINE
SAINT DENIS |
5ème |
LEROY |
Maurice |
LOIR ET
CHER |
3ème |
LETEURTRE |
Claude |
CALVADOS |
3ème |
PERRUCHOT |
Nicolas |
LOIR ET
CHER |
1ère |
PREEL |
Jean-Luc |
VENDEE |
1ère |
ROCHEBLOINE |
François |
LOIRE
ATLANTIQUE |
3ème |
SALLES |
Rudy |
ALPES
MARITIMES |
3ème |
SAUVADET |
François |
COTE D’OR |
4ème |
VAMPA |
Marc |
EURE |
3ème |
VERCAMER |
Francis |
NORD |
7ème |
VIGIER |
Philippe |
EURE ET
LOIR |
4ème |
Messieurs du Nouveau Centre, qui légiférez ...
Depuis le 9 juillet 1789, date de l’Assemblée nationale constituante, la France a connu, au gré des fluctuations de son Assemblée nationale, des fortunes législatives diverses. En cette matière, je me garderai de rappeler combien certains de vos prédécesseurs ont su à merveille mettre la machine législative au service de leurs propres intérêts, ou bien des intérêts de la minorité influente du moment.
Cependant, il est une chose qui a profondément changé ces dernières années, et dont vous ne semblez pas avoir suffisamment tenu compte avant de vous engager dans cette pitoyable aventure que vous nous donnez à voir :
Cette chose, qui n’est pas la démocratie mais qui lui est un instrument indispensable, c’est la mise à disposition dans l’instant, auprès du citoyen, par l’Assemblée qui vous héberge et vous nourrit, de toutes les informations sur ce qui s’y passe.
Ainsi, grâce au travail de bénédictin de ces employés dont vous ignorez peut-être jusqu’à l’existence et qui, du fond de leurs bureaux obscurs, enregistrent, tamponnent, analysent, synthétisent et communiquent, l’Assemblée nationale est devenue une maison de verre.
Ainsi apparaissez-vous désormais à nos yeux, Messieurs qui légiférez, comme un cristal absolument transparent. Et c’est presque dans la minute que nous, citoyens qui avons décidé de regarder de plus près ce que les députés que nous avons élus font de nos votes, sommes informés de vos initiatives.
Le 17 octobre 2007, vous déposez une proposition de loi relative au pluralisme et à l’indépendance des partis politiques. Cette proposition porte le n° 296. Que vise cette proposition ? C’est très simple : à octroyer un financement aux partis politiques ayant obtenu au moins quinze députés. En vertu de quoi ? En vertu de ce que vous avez appelé un "nouveau critère de représentativité des formations politiques".
Votre proposition est renvoyée à la commission des lois, laquelle "saisie au fond", nomme Jean-Christophe LAGARDE rapporteur le 23 octobre 2007.
Un amendement est présenté par Gilles BOURDOULEIX, député UMP de la 5ème circonscription du Maine-et-Loire qui, constatant que "le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours rend difficile pour les petits partis politiques l’accession au mandat parlementaire", dit en substance, s’agissant de représentativité, que "l’élection ne serait-ce que d’un député marque la représentativité d’un parti".
Mais cet amendement est retiré avant la séance.
Le 23 octobre 2007 dans la matinée, le rapport remis par Jean-Christophe LAGARDE en vertu de sa qualité de rapporteur de la proposition de loi n° 296 est enregistré. Il porte le n° 304 et comporte 25 pages.
Qui osera encore dire que les députés ne travaillent pas ? Qui pourra encore prétendre qu’ils passent davantage de temps dans les couloirs ou à la buvette que dans leur bureau ? M. LAGARDE se voit nommer rapporteur un jour et, le même jour, quelques minutes plus tard, il produit un rapport de 25 pages dont la conclusion, épurée à souhait, tient en ces douze malheureux mots que l’on se propose d’ajouter à une loi :
Le deuxième alinéa de l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par les mots : "ou dont au moins quinze des candidats présentés ont été élus députés".
Un rapport de 25 pages comptant au total 7 538 mots (ou 40 408 caractères), pour ajouter douze pauvres mots dans une loi ! La montagne aurait-elle accouché d’une souris ?
Ce même 23 octobre 2007 à 14 h 15, commence la séance d’une commission des lois décidément hyperactive et d’une efficience qui pourrait presque inquiéter.
Sous la présidence de Jean-Luc Warsmann, la commission entend M. LAGARDE, rapporteur. Voici la conclusion de sa présentation : "La présente proposition de loi offre la possibilité, par une modification a minima, d’assurer un lien plus fort et actualisé entre financement public de la vie démocratique et représentativité. Ainsi, le choix des électeurs sera mieux pris en compte dans notre système de financement des partis."
Après le brillant exposé de M. LAGARDE, quelques-uns s’expriment :
M. Bernard Roman, député SRC (Socialiste, Radical et Citoyen) de la 1ère circonscription du Nord, s’il a déclaré comprendre l’objet du texte, l’a cependant estimé peu glorieux, jugeant que cette proposition de loi tenait davantage à des facteurs conjoncturels qu’à des questions de principe.
M. Michel Vaxès, député GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) de la 13ème circonscription des Bouches-du-Rhône, jugeant que cette proposition de loi renforce le pluralisme politique, a déclaré soutenir le texte.
M. Guy Geoffroy, député UMP de Seine-et-Marne, a estimé que tout texte qui encourage le pluralisme doit être soutenu, que la proposition entrait dans ce cadre et ne présentait aucun caractère conjoncturel, et qu’elle devait par conséquent être soutenue.
La commission des lois consigne tous ces aimables échanges dans son compte rendu n°10, et adopte sans modification la proposition qui lui est présentée.
Au fait, la commission compte 79 membres. Le compte rendu n° 10 n’ayant pas l’impudeur d’indiquer la liste des présents et des absents, serait-il indiscret de demander ce qu’il est advenu des autres, soit 74 personnes ? Présentes ? Absentes ? Muettes ? Endormies ? A la buvette ? En commission ?
On connaît la suite : dès le lendemain, 24 octobre, dans un grand élan d’efficacité qui force le respect, le texte est examiné en séance. Il est reçu assez fraîchement : "Cette loi n’est pas conforme à notre constitution", "Les droits élémentaires du Parlement sont bafoués et nous donnons une image du Parlement déplorable pour régler les fins de mois difficiles de certains groupements."
Les groupes Nouveau Centre et UMP, constatant qu’ils sont minoritaires dans l’hémicycle, demandent une suspension de séance afin d’éviter le rejet pur et simple de la proposition. L’examen du texte est finalement ajourné.
Messieurs du Nouveau Centre qui légiférez, vous qui avez été portés à ces hautes responsabilités par des électeurs dont beaucoup ignorent sans doute qu’il est si facile de s’assurer de vos actes en se montrant simplement curieux, en prenant cette initiative discrète, et dont vous n’imaginiez certainement pas le tour qu’elle allait prendre, vous trahissez l’électeur et le citoyen, et vous déshonorez votre fonction.
Vous trahissez l’électeur et le citoyen, car lorsque vous affirmez, ainsi qu’il est indiqué dans le rapport de M. LAGARDE, qu’il est nécessaire d’adapter le système de financement public des partis politiques aux "nouvelles conditions de la représentativité", vous l’abusez. Et M. ROMAN ne vous l’a pas envoyé dire, à juste titre.
Vous l’abusez délibérément. Car vous savez très bien, combien de rapports sans suite l’ont-ils souligné et combien de fois en avez-vous vous-mêmes discuté, que si notre pays a un problème de représentation de la diversité des opinions, c’est à l’actuel mode de scrutin qu’il le doit, et non à une inadéquation du système de financement des partis.
Si la probité et l’honnêteté intellectuelle sont parmi les qualités que l’on est fondé à exiger d’un représentant national, il vous appartient d’en tirer les conséquences, s’il vous reste bien sûr tant soi peu d’amour-propre.
Vous déshonorez votre fonction, car le législateur doit avoir pour seul souci de légiférer dans l’intérêt du pays et du bien public quand vous présentez un projet qui ne vise qu’à favoriser vos personnes et vos groupes au dépens du citoyen.
Alors que les nuages s’accumulent et que de plus en plus de Français sont dans la difficulté, vous vous préoccupez de la façon de vous répartir la cassette avant de vous préoccuper de l’avenir de ceux qui, pourtant, vous ont élus.
Messieurs du Nouveau Centre qui légiférez, je crains bien que nous ne puissions plus guère vous appeler "députés". L’exigence de citoyenneté, de responsabilité et de respect qui s’impose aux représentants de la nation semble vous être désespérément étrangère. Partez donc, et quittez cette Assemblée dans laquelle nous n’avons plus désormais que faire de votre coûteuse présence.
Quant au financement de votre mouvement politique, et s’il est vrai qu’il vous pose problème, osez la souscription et faites appel à de généreux donateurs.
Quand vous aurez démissionné, étant ainsi débarrassés de ces
mille contraintes inutiles et fastidieuses qui découlent du mandat qui vous a
été confié, vous aurez tout loisir de consacrer l’intégralité de votre temps à
la recherche de l’argent qui vous fait défaut. Je gage que vos talents, ainsi
bien employés, vous mèneront vers le succès.
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