L’opposition déjoue sur le détail
Le Premier ministre plaqué haut par l’opposition ce week-end, après un en avant verbal, en tout cas jugé comme tel : l’emploi du mot « détail » pour qualifier l’usage de tests ADN prévu dans le projet de loi sur l’immigration. A gauche, on existe comme on peut.

Sarkozy n’a pas fini de secouer sa tête. Son « remarquable » Premier ministre, quelques jours après avoir annoncé la « faillite » de l’Etat français, s’est de nouveau fait remarquer ce week-end, lors du conseil national de l’UMP en estimant que toutes les polémiques entourant l’amendement dit ADN avaient « grossi jusqu’au ridicule un détail ». Un détail ! Diantre, damned, fichtre ! Quel horrible mot ! Un détail ! Quelle horreur ! Comment le Premier ministre de M. Sarkozy ose-t-il proférer de telles horreurs ? Un détail ! Quel scandale ! Le sang du premier secrétaire du PS, l’ex-M. Royal, n’a fait qu’un tour : « Le sujet est suffisamment grave pour qu’on ne parle pas de détail », a-t-il déclaré. Voyant dans l’emploi du terme « au mieux une maladresse, au pire une provocation ». « C’est une expression qui pour les socialistes est grave, très grave », a déclaré pour sa part le bras droit de Hollande, Stéphane Le Foll. Pierre Moscovici, lui, demande à Fillon de « rectifier ses propos », rien de moins. Le président du MRAP, lui, n’y va pas non plus par quatre chemins : « En employant sciemment le mot "détail" le Premier ministre vient de franchir les limites de l’insoutenable et de l’indécence ». Du côté de France Terre d’Asile, on déclare que « Le mot détail, employé dans le contexte actuel est lourd de sens et ne peut qu’attiser les divisions ». Tout cela, donc, et on en passe, pour un « détail ». Un détail, apparemment, qui tue. Mais pourquoi donc ?
Pour comprendre l’ire subie par le Premier ministre qui parle « tous les jours » avec Nicolas Sarkozy, lequel se « félicite » de son action, il faut remonter le temps, revenir jusqu’à un certain 13 septembre 1987, sur RTL, avec Jean-Marie Le Pen au micro : « Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Le voilà donc, mal né, ce « détail » qui aujourd’hui met notre bien-aimé et un peu tristounet Premier ministre au banc des accusés. Parce que depuis ce mois de septembre 1987, il y a vingt ans, il est interdit à tout homme politique de prononcer le mot détail. Trop dangereux, trop connoté. Même sorti de son contexte il y revient aussitôt. Parce que, donc, selon la gauche, et les associations droit de l’hommistes, si Fillon a employé ce week-end ce vocable de « détail » c’est à dessein : un clin d’œil à ceux qui seraient ses chers électeurs débauchés du FN. C’est un peu tiré par les cheveux, on dirait que l’opposition joue là sur le détail, mais c’est ainsi. « Au travers de ce mot choisi par le Premier ministre, il révèle l’intention de la majorité, qui est de faire à travers cet amendement un clin d’oeil au Front national », déclare ainsi Stéphane Le Foll. Pour Mouloud Aounit, président du MRAP, Fillon « signe non seulement son compagnonnage avec l’extrême droite, mais participe aussi dangereusement à sa banalisation ». Tout cela juste d’un seul mot ! Quel talent, ce Fillon ! Et les socialistes, dans la foulée, de demander au président de la République de « s’exprimer sur le sujet ». Comme si le rapido président n’avait que cela à faire, s’appesantir sur un détail.
Bien sûr, toute cette polémique
est ridicule, et dans son style imagé, Nadine Morano n’a pas vraiment tort de
rappeler que « Quand vous regardez un seul élément
de quelque chose, ça s’appelle un détail. (...) Une tache sur un manteau, un
bouton sur une veste, c’est un détail par rapport à la couleur du
vêtement ! ». A jouer sur les mots, autant développer, après tout (même
si, entre une tache sur un manteau et un test ADN, il y a quelque marge). Mais
au-delà de cela, c’est le « politiquement correct » qui atteint avec
cette fausse affaire là son paroxysme. Que l’emploi du mot détail soit devenu
une marque d’infamie relève bien des dérives d’une époque où l’on préfère
interdire qu’expliquer, effrayer qu’éduquer, caricaturer que réfléchir. Les
hommes politiques n’emploient certes jamais un mot au hasard, ce n’est pas leur
style, et chacune de leur intervention est la plupart du temps pesée, et
soupesée avant d’atteindre la foule, mais quand même ! Ce n’est pas parce
que le leader d’un parti d’extrême droite a un jour utilisé le terme de
« détail » à des fins négationnistes qu’il faut que ce terme là soit
désormais banni de la langue de bois ! Alors donc, selon nos amis les
censeurs de gauche, il ne serait plus possible aujourd’hui de parler de
« détail » sans brunir sa chemise. Au nom de quoi, en fait ? Au
nom de quel nouvel ordre moral né sur les décombres de la campagne perdue de
Ségolène Royal ? Les amis de François Hollande, ceux de François Bayrou
aussi, en soufflant sur la mèche de ce pétard mouillé apparaissent soudain
comme une suspecte troupe de conservateurs intransigeants, plus proches d’un prêcheur
intégriste que de démocrates avisés.
Mais tout cela n’a rien d’étonnant, et cette « deuxième affaire du détail » intervient la semaine même où il est devenu obligatoire d’apposer sur les étiquettes de bouteilles de vin un symbole signifiant que vin et grossesse font mauvais ménage. Tout va de pair, tout part d’un même élan bienfaiteur, évangélisateur, qui nous demandera bientôt de ne plus appeler un chat un chat, un chien un chien, un raté un raté, une tache une tache. Combien de temps pourra-t-on écrire encore des phrases du style : « D’une concentration sans faille, les joueurs français ont d’abord obligé les Blacks à jouer dans leur camp, avant de trouver, au large, la solution pour percer le rideau défensif et se qualifier pour la demi-finale. » ?
On ne peut plus trop boire, plus rouler vite, plus fumer, plus baiser entre cinq et sept, plus trop téléphoner, on doit se méfier du wi-fi, des pesticides et des déodorants, et maintenant on nous apprend qu’il existerait des mots aussi interdits que certains jeux. En terme de déresponsabilisation, on ne fait plus dans le détail. On infantilise, on stérilise, on allège, on prend les Français pour des veaux, encore. C’est, sans le vouloir, cette faillite-là que François « remarquable » Fillon a mis en lumière par son anodine « petite phrase ». Et l’opposition est tombée dans le panneau, royalement.
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