Le pluralisme du centre
Le centre français n’est plus homogène : le projet de François Bayrou ne fait plus l’unanimité. Même pas la majorité des centristes. Défaites électorales, un message qui ne passe pas, trahisons politiques à foison : tout est là, pour déplaire au président du MoDem. Et l’affaiblir. La "troisième voie", chère à l’homme des 18 % aux présidentielles a bien du mal à se construire.
« J’ai une bonne nouvelle ! », déclarait François Bayrou devant ses fidèles, au soir du premier tour des présidentielles du 6 mai 2008. Battu par les candidats des deux principales formations politiques, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, il reconnaissait ce jour-là sa défaite, tout en restant optimiste et souriant. Aux anges, il venait apporter un message encourageant. Une troisième voie (courant politique) avait vu le jour et il s’en félicitait grandement. Grâce aux 18,7 % des suffrages, rien ne laissait présager une suite moins glorieuse, ponctuée de défaites électorales aux législatives et municipales, et de trahisons politiques. Tout portait à croire que le leader de l’UDF avait réussi à construire un véritable centre, qui pouvait exister entre la droite et la gauche. Ce fut une erreur. A son plus grand malheur.
Jean Arthuis, le président de la commission des finances du Sénat vient de quitter son ancien mentor politique. Estimant que le président du MoDem a échoué dans sa tentative de créer un grand rassemblement du centre, il souhaite reprendre le flambeau à sa manière et reformer l’UDF de ses cendres.
Il attend le 29 juin 2008 plus de 600 élus, pour débattre « des voies et moyens de la relance de notre mouvement » (lu sur son blog). Pourquoi ? Afin de « rassembler le centre (et non pas) de créer un parti supplémentaire », affirme-t-il, dans une interview, le 16 juin, à Ouest-France. Le MoDem « illisible » serait une « impasse ». Se rassembler avec qui ? Lorsque le quotidien breton lui demande s’il convient d’inclure le Nouveau Centre, peuplé d’ex-UDF ayant rejoint la majorité et le gouvernement Fillon, le sénateur s’embrouille. Le dissident parie sur une évolution du NC de Hervé Morin, ministre de la Défense qui a soutenu Nicolas Sarkozy pour le deuxième tour des présidentielles. Par contre, Jean Arthuis pense que cette formation n’aurait pas vraiment vocation à le rejoindre. Trop dépendant de l’UMP. Alors, les membres du NC viendront ou ne viendront pas à la ’réunion’ ?
Cette trahison que le président du MoDem a suivie avec inquiétude arrive au lendemain d’un mois d’avril, où les revers se sont succédé. Outre le départ de Jean Arthuis, une note du conseiller de Nicolas Sarkozy, Dominique Paillé, publiée le 7 avril et remise au chef de l’Etat, indiquant des stratégies à suivre dans le but d’affaiblir le MoDem. Il s’agissait par exemple d’encourager les membres du NC à draguer les sénateurs centristes. Pour qu’ils quittent le navire Bayrou. Et qu’ils se lient avec le centre-droit d’Hervé Morin.
Il y avait plus. Michel Mercier, leader des sénateurs centristes se distanciait du « politburo » du Mouvement démocrate, tandis qu’un député européen, Thierry Cornillet déposait une pétition en faveur d’une renaissance de l’UDF, puisque le MoDem aurait perdu du « poids politique ». M. Bayrou « sacrifie ses élus pour une chimère présidentielle », dénonçait l’eurodéputé.
La vague de trahisons et de courants dissidents a ainsi submergé les centristes, comme l’UMP en son temps et le PS, encore victime de la guerre de personnalités à l’heure actuelle, avant le congrès de Reims.
Au point de conclure que le centre en France n’est plus ? Des centres, alors ? C’est plus approprié semble-t-il. Au grand dam de François Bayrou, réagissant à la note censée l’affaiblir : inquiet et révolté des tentatives de « l’Elysée de l’affaiblir et de s’opposer au multipartisme ».
Toutefois, le ‘danger’ ne vient pas seulement du grand rival, Nicolas Sarkozy. Il a aussi pour origine les dissidents qui souhaitent ni plus ni moins retourner vers le passé. En récupérant les actifs immobiliers du MoDem. En installant l’éventuel futur « ex-UDF » dans ses anciens locaux située au 133 Bis rue de l’université à Paris, où loge aujourd’hui le MoDem. Jean Arthuis souhaite interroger le président du MoDem sur le statut de l’UDF, comme vient de le faire le Cap 21, de Corinne Lepage (le Cap 21 par rapport au MoDem) qui, s’alliant avec M. Bayrou perd de facto son autonomie politique, mais non son autonomie programmatique. En un mot, la guerre des centres, comme l’indique Le Figaro du 18 mars 2008.
Tout ceci obligea François Bayrou à se justifier. “Je ne reviendrai en rien en arrière, je ne céderai rien”, assurait-il le 6 avril sur Europe 1. Et de rappeler que l’UDF est « mort » à la naissance du Mouvement démocrate. Le président de la commission des finances est loin d’être du même avis. A raison ? Les sénateurs centristes, présidés par Michel Mercier sont toujours étiquetés Union centriste-UDF (MoDem et NC)…
Le président du Mouvement démocrate, à l’heure de la traversée du désert ? Sur LCI, le 3 juin, il reconnaît être en « période d’attente que les choses deviennent manifestes et claires ». Et au contraire du chef de l’Etat, il n’est pas surmédiatisé, sans cesse devant « les projecteurs » à « s’exhiber ». Néanmoins, il se doit de « s’exprimer ». Comme il l’a fait depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, par ses critiques successives. Et histoire de ne pas perdre la main. Il en a d’ailleurs l’occasion, avec la campagne des européennes de juin 2009 qu’il a démarré à la Maison de la chimie, le 8 juin, en compagnie de Marielle de Sarnez, Corinne Lepage, Jean-Luc Bennahmias et Eva Joly, magistrate à la retraite, très remontée contre les paradis fiscaux en tout genre. Il peut d’ailleurs profiter de sa popularité importante. Le dernier baromètre BVA-l’Express de juin montre qu’il reste, à l’instar du maire de Paris et d’Olivier Besancenot une personnalité appréciée.
Il n’est donc pas seul, mais au milieu d’un centre éparpillé. Un centre qui lutte pour ne pas être aspiré par l’UMP ou le PS. Qui, malheureusement ne sait où aller. Les ‘tickets’ des municipales au mois de mars (tantôt avec la droite, tantôt à sa gauche, dont une liste commune avec le PCF à Aubagne dans les Bouches-du-Rhône, que M. Bayrou n’a pas reconnue) le prouvent bien.
Une anecdote de l’actualité pour terminer montre que les centristes font rire plus d’un. Une des diatribes de Jean Arthuis est retenue par le jury du Press Club (des journalistes et autres), présidé par Jean Miot (ex-AFP) dans la course au politique le plus drôle. « Bernard Palissy brûlait ses meubles. Bayrou brûle ses élus. C’est la stratégie de l’anéantissement », déclarait le sénateur de la Mayenne. Gagnera-t-il le 30 juin le prix « humour et politique » de 2008 ?
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