Pour la défense du bouclier fiscal
Il semble qu’aujourd’hui le bouclier fiscal soit devenu fort impopulaire, la bête noire de l’opposition mais aussi la cible des critiques de quelques membres de la majorité. Je vais donc me livrer ici à un exercice difficile et très mal vu, défendant ce que tout le monde semble vouloir brûler.
Le bouclier fiscal, qu’est-ce que c’est ?
Pour ceux qui n’ont pas tout suivi, et pour faire bref, c’est un mécanisme qui instaure un plafond au cumul d’impôts que peut payer un contribuable. Fixé à 50%, cela signifie – prenons un exemple grossier - qu’un contribuable qui gagne 100 € et paye 60 € d’impôts peut demander à l’administration fiscale un remboursement de 10 €, de sorte qu’il aura au final donné la moitié de ses revenus en impôts, mais jamais plus.
Une brêve histoire du bouclier fiscal
Le concept de bouclier fiscal n’est en soi pas une invention récente en droit français. On peut même remonter jusqu’en 1789, puisqu’en inscrivant le droit à la propriété privée dans les Droits de l’Homme, et en y encadrant l’impôt comme une contribution « également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés », l’impôt ne pouvait pas être confiscatoire, ce qui de-facto suppose qu’il y soit fixé une limite.
De fait, le Conseil Constitutionnel a été saisi sur la question du bouclier fiscal puis sa modification : « Le Conseil constitutionnel avait déjà considéré, dans sa décision n° 2005-530 du 29 décembre 2005 sur la loi de finances pour 2006, que l’article 13 de la Déclaration de 1789 ne serait pas respecté si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Il avait constaté que le dispositif, communément dénommé « bouclier fiscal », loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tendait à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. »
Plus récemment, c’est bien la gauche qui a introduit le concept dans le Code des Impôts, en créant l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Réalisant que cet impôt, basé sur le patrimoine et non sur les revenus, pourrait devenir écrasant au regard des revenus, elle introduit le mécanisme du plafonnement : celui-ci prévoit à l’époque que l’ISF ne saurait dépasser 70% des revenus d’un contribuable. Ce mécanisme sera paradoxalement rogné par la droite qui remontera le taux à 85% et en limitera l’usage dans ce qui restera un chef-d’oeuvre d’usine à gaz, le mécanisme dit « du déplafonnement du plafonnement ».
Mais alors pourquoi tant de haine ?
Comme l’impôt sur le revenu ne dépasse pas le taux de 40% (tranche marginale la plus élevée), le bouclier fiscal ne concerne que ceux qui payent une part élevée de leur revenus en impôts non indexés sur les revenus : taxes locales (pour les ménages modestes) et Impôt de Solidarité sur la Fortune (pour les ménages fortunés). C’est le cas de ces derniers contribuables qui, payant beaucoup d’impôts et ayant donc droit à de gros remboursements, suscite la réprobation d’une partie de l’opinion.
Le problème est qu’une fois dénoncé ce mécanisme qui profite aux riches, les critiques évitent les questions de fond posées par le bouclier fiscal : faut-il une limite à l’impôt ? (a priori oui, sauf à revenir sur les Droit de l’Homme). Et, s’il faut une limite, alors à quel taux ?
Le vrai défaut du bouclier fiscal
Le bouclier fiscal est criticable, mais pas pour les raisons mises en avant par ses détracteurs. Car la raison réelle de sa création est de mettre le holà à l’ISF, devenu une curiosité franco-française mais qui reste un sujet explosif. De fait, plutôt que réformer ce qu’il voulait réformer : l’ISF, le gouvernement a remis une couche de complexité dans un système fiscal qui n’en avait vraiment pas besoin, et créé un « object fiscal » à l’objectif mal établi (et d’autant plus aisé à attaquer).
Il aurait donc été paradoxalement plus habile de supprimer directement l’ISF : non seulement les critiques n’auraient pas été plus virulentes, mais le risque de détricotage était quasiment nul, car même si le Parti Socialiste n’aurait pas manqué de publiquement dénoncer un nouveau « cadeau aux riches », il ne l’aurait vraisemblablement pas rétabli en revenant au pouvoir. Alors que le sort du bouclier fiscal, lui, est scellé : devenu un véritable point de raliement pour la gauche, il sautera à la première alternance.
Et maintenant ?
Il reste une sortie par le haut possible pour tous : la suppression de l’ISF, remplacé par une hausse de l’imposition des plus hauts revenus (par la création d’une tranche supplémentaire à l’impôt sur le revenu) et la suppression du bouclier, qui perdrait sa raison officieuse d’exister. C’est la proposition de Gilles Carrez (UMP), une proposition qui pourrait satisfaire l’opposition dans la mesure où la réforme augmenterait la contribution totale des plus aisés. Cette proposition aurait le mérite de rendre l’impôt plus simple, plus lisible mais aussi plus équitable en supprimant, avec l’ISF, tous les cas d’exonération qui l’accompagnent.
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