Mithra est‐il à l’origine du mythe Chrétien ?
Certains en sont convaincus : le petit Jésus est un mythe, d’autres croient dur comme fer à son histoire. Ils sont persuadés que la Bible ou plus exactement le Nouveau Testament est l’histoire réelle d’un être exceptionnel. Parmi les premiers, quelques‐uns prétendent que Mithra est à l’origine du mythe chrétien. Cette thèse est démentie par toutes les églises chrétiennes qu’elles soient orthodoxe, arménienne, copte, romaine ou autre. Elles évoquent, pour seul argument, l’antériorité du christianisme sur le mithriacisme, un non‐sens contredit sans peine les témoignages de l’archéologie et les témoignages de l’antiquité.
Mithra est une divinité d’Asie Mineure dont les premières traces, un sceau et un traité de paix entre Mitanniens et Hittites, remontent vers 1450 avant J.C. Sous l’appellation culte de Chrestos il est introduit à Rome en 67 avant J.C. Son emblème est le bonnet phrygien qui coiffe ses représentations sur les bas‐reliefs des mithréums.
Le 15 mars 44 avant notre ère, après l’assassinat de César, les conjurés défilent dans Rome brandissant une pique coiffée du dit bonnet. Ils acclament Cicéron dont la lettre à son ami Rufus en 54 avant J.C. révèle qu’il est adepte du culte de Chrestos c’est‐à‐dire de. Mithra, bien avant que Jésus ne soit né !
La Bible adapte l’histoire à ses besoins et mélange les traditions populaires. Les tribulations du peuple élu transposent le voyage dans l’au‐delà décrit dans le Livre des morts d’Egypte et les épreuves initiatiques du culte perse des Immortels. Comme les Perses, les auteurs de l’Ancien Testament semblent partir du principe que l’initiation du vivant au voyage dans l’au‐delà multiplie les chances du défunt à la vie éternelle. Il est vain de chercher à comprendre cette oeuvre syncrétique sans tenir compte de l’influence du culte des Perses et des Egyptiens.
Si, à Athènes les mystères, qui révèlent l’unité de l’homme et de Dieu, semblent l’affaire des prêtres et de quelques élus, chez les Mèdes et les Perses la nouvelle est publique. Avec les mages, ainsi que les Grecs désignent les prêtres de ces peuples, monothéisme et vie éternelle vont bon train.
Quand Darius le Grand prend les choses de la Perse en main, il comprend l’intérêt d’un tel enseignement sur le moral des troupes. Bientôt un corps d’élite de dix mille Immortels composent sa garde. L’explication d’Hérodote au sujet de cette appellation : "Celui d’entre eux qui mourait était aussitôt remplacé et ils n’étaient jamais moins et jamais plus de dix mille." éclaire le nombre pas la qualité « d’immortels ». Le qualificatif immortels rappelle celui que s’attribuaient, en Thrace, les Gètes dont Orphée, célèbre pour son voyage dans l’au‐delà, aurait été le roi. Pour eux la mort n’existe pas vraiment. Ils prétendaient qu’en trépassant, ils allaient rejoindre leur divinité unique. Ce dieu a pour nom tantôt Salmoxis, Salem l’éblouissant, tantôt Gebelisis, Isis la montagne.
« Les Perses ne représentent ni ne nomment la divinité et ne lui construisent aucun temple, affirme Hérodote. » Pourtant les chercheurs voient une représentation allégorique de celle‐ci sur un bas-relief sur la falaise de Persépolis qui abrite le sépulcre des rois. Un homme de profil s’élève en majesté vers le ciel. Il tient un gros anneau dans la main. Il sort d’un immense anneau dont les ailes et la queue d’oiseau symbolisent le phénix.
« Les Perses honorent la divinité en décors naturels, sur des hauts lieux, prétend Hérodote. » Pourtant les mages pratiquent le culte des Immortels dans la nuit des cavernes.
Placé sous le sceau du mystère, le culte perse marque l’antiquité. Il est en vigueur, au quatrième siècle avant notre ère, dans les cités grecques d’Asie Mineure. Selon Eudème de Rhodes, les mages y prêchent résurrection et immortalité. "Ils appellent leur dieu unique et intelligible Infini ou Éternité".
Récupéré par Alexandre le Grand, ce culte est pratiqué et hellénisé par ses successeurs.
Qu’a‐t‐il de si fascinant qu’en Egypte les Ptolémée l’adaptent à la religion locale, qui n’attendit pas Darius pour découvrir le jugement dernier et accorder la résurrection et l’éternité au juste ?
Qu’a‐t‐il de si irrésistible que l’armée et les patriciens de Rome le pratiquent sous le nom de culte du Juste jusqu’à la fin du quatrième siècle ?
Plutarque, les Pères de l’Église, Jérôme, l’auteur de la Vulgate, bien d’autres et les nombreux vestiges de la période romaine permettent de l’appréhender.
Il possède sept degrés ou grades initiatiques et pratique la communion.
Au premier grade son adepte découvre le baptême. C’est une noyade et une résurrection symboliques. L’homme pur ressuscité prête alors serment de tenir ses engagements. Il est consacré par l’onction et reconnu par Dieu pour fils et pour frère par les adeptes.
Cette cérémonie marque le début d’un long voyage entrecoupé d’étapes. Chacune d’elles achève un parcours rempli d’embûches, de privations et de tentations, pour éprouver la résistance physique et morale de l’adepte. Si le voyageur triomphe des épreuves et parvient à l’étape il y reçoit le sacrement et découvre les mystères du grade auquel correspond le parcours.
Bien entendu, seuls les plus méritants connaissent l’initiation suprême et atteignent la septième et dernière marche du podium. Témoignage de leur succès : ils ressuscitent une fois encore et acquièrent l’éternité que rien ne distingue de la divinité.
La religion des Perses nous aide à comprendre ce cycle complet divinité ‐ homme ‐ divinité que représentent Mithra, l’Anneau, le Juste et le Phénix.
Zoroastre, un sauveur né d’une vierge pour guider les hommes dans la voie du bien, le prétend dans un recueil appelé Avesta : un duel divin oppose les cohortes de l’esprit du Mal à celles de l’esprit du Bien dans tout l’univers. Le mot ou plutôt le Verbe matérialise la pensée. Dans ce monde virtuel, tout se passe comme si le séjour terrestre, sous forme humaine, des pensées du maître de l’infini était destiné à éprouver leur qualité morale. Ce lieu d’exil permet à l’être suprême de faire le tri parmi ses sujets. En s’incarnant la pensée, reflet de l’esprit, devient l’image de dieu et perd sa divinité. Pour la retrouver, elle doit triompher des épreuves imposées et se montrer digne de sa nature divine. La première des vertus est, bien entendu, l’obéissance. Mais la liberté, péché originel de la pensée, ne se domine pas aisément.
Héritiers des traditions de l’Orient, les Perses et les Grecs se transmettent des secrets magiques qui les aident dans leur cheminement vers la divinité.
Le premier est une plante, l’haoma. Ils en tirent la boisson fermentée qui confère l’ivresse et l’immortalité. Depuis l’antiquité la plus reculée, les peuples de Mésopotamie connaissent l’alcool et lui attribuent de telles propriétés. Ils en usent et en abusent à l’occasion de la nouvelle année. Si la lumière naît des ténèbres tout nouveau cycle divin commence avec le déclin de la lumière. Il requiert d’expier ses péchés et d’être pur, comme, autrefois, chez les catholiques la communion requerrait confession et absolution. L’alcool, résultat de la fermentation et décomposition des plantes purifie l’eau, la parfume et la sublime.
Le second est l’initiation aux mystères du voyage dans l’au‐delà. Son objet est d’inculquer l’obéissance, fidélité et dévouement jusqu’au sacrifice à l’adepte. Ayant œuvré de son vivant pour bâtir des empires, à sa mort le croyant devenu fils de Dieu peut compter, récompense suprême, se fondre avec son père pour pratiquer l’austérité sans sexe ni alcool. Le culte mystérieux des Perses ne se distingue pas de ceux d’Osiris, Salmoxis et consorts. Histoire de famille, il rappelle à l’homme, pèlerin de l’immortalité, son origine divine. Il lui permet, en l’initiant aux mystères et à la purification, de réussir l’examen ultime d’accès à l’au-delà.
Grâce à lui, l’esprit, fils de dieu devenu homme, peut redevenir dieu. Ce que Socrate, qui serait mort de ciguë pour avoir joué les précurseurs à Athènes, résume : "Sache ce que tu vaux homme et sois ton propre dieu !"
A part les Athéniens, républicains, qui jouent pourtant les grands mystères de Démeter à Eleusis, cette divinité‐là fascine le monde. Elle soumet les peuples. Elle fait l’affaire de ceux qui exercent le pouvoir, rêvent de conquête ou cherchent une légitimité. Voilà qui explique le succès de ce culte militaire qui enseigne aux hommes fidélité au chef et mépris de la mort. Grâce à lui la guerre est sainte et juste.
A l’époque romaine il devient le culte du Juste. Il est pratiqué par les légionnaires et les hauts dignitaires. Les cérémonies se déroulent dans des grottes ou cavernes. Au fil du temps, les adeptes, de plus en plus sédentaires, aménagent des temples souterrains chez l’un d’entre eux où ils se réunissent. Chaque temple est conçu sur le même principe. Il représente l’univers. Le nom caché de Dieu étant inconnu, il est dédicacé à Mithra, Sol, voire Dionysos ou autre prête‐nom de la divinité, selon les régions.
L’échelle initiatique du culte se compose, du premier au sixième, des grades suivants : Corbeau, Jeune Marié, Soldat, Lion, Perse et Licteur du Soleil. Ces noms étranges résument la légende propre à chaque grade. Pour en recevoir l’enseignement, l’adepte en incarne le héros au cours de son initiation. La règle veut que l’initié dans un grade y accomplisse une durée minimum afin d’en comprendre le sens. Mais, pour l’atteindre, il faut être pur de tout péché et triompher de toutes les épreuves.
Tertullien, un Père de l’Église, révèle que le Jeune Marié promu Soldat reçoit un signe sur le front. "C’est, dit‐il, une marque semblable à celle qu’on applique aux recrues de l’armée avant qu’elles ne jurent fidélité à l’empereur." Pour un autre auteur chrétien, on bande les yeux du néophyte et lui lie les mains avant de le faire sauter au‐dessus d’une fosse remplie d’eau.
Pour mériter le grade de Soldat, le Jeune Marié, qui évolue dans la pénombre à l’abri de la connaissance aveuglante, doit vaincre l’ambition de ceindre la couronne rayonnante, symbole de la divinité. Aussi, lors de la cérémonie, refuse‐t‐il celle que lui tend le Père pour éprouver sa vertu.
Pour devenir Lion, quatrième grade, le Soldat jeté en pâture aux fauves, ses frères, est déchiré par leurs griffes et purifié par le feu. Dieu merci ! Pour Porphyre, un érudit du troisième siècle, le Lion et le Perse ont les mains et la langue ointes de miel dont les vertus sont préservatives et salvatrices comme le révèle Pline l’Ancien. Voici qui rappelle une des prouesses de Samson qui, après avoir tué un lion en se rendant à la ville, constate au retour sur ses terres que le corps de sa victime contient un nid d’abeilles dont il se rassasie du miel.
Le Perse, cinquième grade, correspond à une distinction particulière. Perse est le nom donné par les Grecs à des peuplades iraniennes. Hérodote aide à comprendre cette dénomination. "Les Grecs, écrit‐il, appelaient les Perses "Képhènes" car Persès, à qui ils doivent leur nom, était fils de Persée et d’Andromède, la fille du roi Képhée (Kepheus). Entre eux, précise‐t‐il, les Perses se reconnaissent comme des Artéens." Ce mot vient du perse arta, la justice. Les Perses se désignaient, eux‐mêmes, comme les Justes. Kepheus s’apparente étymologiquement à Céphale qui, selon Hésiode, est l’amant d’Eos, l’étoile du matin, avec qui il a pour fils Phaéton.
Chez les Perses, le Seigneur Sage est assisté de six archanges. Chacun d’eux est chargé de qualités spécifiques que symbolise un corps céleste appartenant à un groupe de sept sphères gigognes dont la Terre est le centre. La septième sphère est l’expression du divin. C’est pourquoi, dans ce culte du Juste, le septième grade, celui de Père (Abba en araméen) confine à la divinité.
Selon la parole du Seigneur Sage de l’Avesta, la bible des Perses : « Quand l’homme est mort... Que les démons, les menteurs et les méchants l’ont partagé et anéanti, au troisième jour, à l’aurore, apparaît la divinité éblouissante (Eos) et Mithra se relève... » Comme dans de nombreuses mythologies antiques il convient d’avoir été mangé pour ressusciter. Le sarcophage (celui qui dévore la chair en grec) où les Egyptiens place le défunt et le mythe de Pélops ne le démentent pas. Ceci est le prélude à la communion des Artéens dont l’office s’achève comme dans le culte du Juste romain par un banquet rituel.
Les Papyrus Magiques de Paris, rapportés d’Alexandrie, décrivent la cérémonie d’élévation au grade de Père. Simple planète, du grec planetos : vagabond, l’élu évolue telle une étoile dans le cosmos. Il y brille de l’éclat suprême de l’étoile du matin. Etoile du matin que, coïncidence étrange, Jésus prétend être, lui‐même, devenu dans l’Apocalypse du Nouveau Testament (Apocalypse XXII.16).
Dans le culte du Juste, à chaque épisode de sa longue initiation, le postulant incarne le héros d’une fable dont les frères sont les protagonistes. Afin de s’adapter à la légende de chaque degré, la décoration et l’iconographie du temple changent. Le plan, l’aménagement modulaire et les bas-reliefs de ceux de l’époque romaine le montrent.
Comme il y a sept grades, il y a sept parcours, sept purifications, sept serments et sept sacrements. Chaque périple s’accompagne d’une instruction qui en explique le symbolisme et en révèle les secrets.
Une phase de préparation précède chacune de ces cérémonies. A cette occasion, le candidat est mis dans un cachot. Il s’y prépare à affronter les épreuves qui vont suivre selon un rite immuable. Afin qu’il joue, sans fausse note, un rôle dont il ignore tout, un frère qui en connaît le texte le dit à sa place ou lui en souffle les paroles le moment venu.
Il en est ainsi, dans la Bible.
A Moïse qui se plaint d’être circoncis de la bouche, lors de leur première rencontre, Dieu commet Aron, son frère, pour parler à sa place.
Dans l’évangile de Matthieu, le Christ promet souffrance et martyre aux apôtres et dit : "Quand on vous livrera ne vous inquiétez pas de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz. Ce que vous aurez à dire vous sera indiqué à l’heure même. Ce n’est pas vous qui parlerez c’est l’esprit de votre Père qui parlera en vous." (Matthieu X.19,20)
Allusion à la mort purificatrice et à la résurrection que font, symboliquement, subir ses frères et leur Père à l’adepte du culte des Perses, Jésus prophétise : "Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant. Les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir." (Matthieu X.21).
Les héros de la Bible vivent tous un parcours initiatique plus ou moins couronné de succès dans l’au-delà. Celui de Moïse commence sur le Nil. Il s’achève sur un sans‐faute à la fin de l’Exode. Le mot apôtre tient son origine du grec apostolos, voyageur.
Selon les Pères de l’Église, les premiers chrétiens vivent à Rome et sont tout à fait juifs. Dans le Nouveau Testament, les Actes des apôtres le confirment. Ils relatent la rencontre de Paul avec Aquilas. Ils présentent ce dernier comme « récemment venu d’Italie à Corinthe parce que Claude a chassé tous les juifs de Rome. » Il est suspect que Claude chasse "tous les juifs" de Rome. Selon Flavius Josèphe, Claude renouvelle les édits d’Auguste. Ils permettent de pratiquer le judaïsme dans tout l’empire. Ils garantissent le respect du sabbat. Pourquoi chasserait‐il tous les juifs de Rome et pourquoi ceux‐ci s’agiteraient‐ils ?
Le Chrestos de l’empereur Claude n’a rien de commun avec Jésus‐Christ. Le Nouveau Testament, lui-même, est clair à ce sujet. Quand, vers 61, Paul atteint Rome sous Néron, il rencontre les responsables de la communauté juive. Ceux‐ci déclarent avoir entendu parler de la secte de l’espérance d’Israël, mais tout ignorer de la bonne nouvelle, traduction du grec évangile. Si les adeptes du Chrestos de Claude ne sont ni juifs ni chrétiens. Qui sont‐ils ? Question brûlante !
Tacite utilise le prétérit pour parler des Chrestiani calcinés par Néron en 65. Cet emploi montre que l’appellation est connue et utilisée bien avant les incidents.
Pline le Jeune, ami et protecteur de Suétone, contredit cette évidence apparente. Au début du second siècle, il représente la loi et la justice impériales en Bithynie, une province d’Asie Mineure. Il y juge ceux qui refusent d’honorer, tel un dieu, la statue de l’empereur. En cette occasion, il croise ses premiers chrétiens parmi lesquels des citoyens romains. Il décrit cette expérience dans une lettre à l’empereur Trajan.
Son pli apporte quelques lueurs sur les pratiques de ces croyants : "Ils se rassemblent à date fixe avant l’aurore. Ils chantent, l’un après l’autre, en l’honneur du Christ comme en celui d’un dieu. Puis ils s’engagent, par serment, non à quelque crime mais à s’abstenir de commettre vol, larcins et adultère, et à ne pas rompre leur engagement... Après cela ils se séparent et se rassemblent de nouveau pour partager une nourriture modeste et innocente.".
Avant de plaider la clémence, Pline ajoute : "Afin de découvrir la vérité, il m’a paru nécessaire
d’appliquer la torture à deux servantes prétendues initiées à leur culte. Je n’ai rien trouvé qu’une superstition ridicule et excessive."
Puis, Pline exige que chaque suspect honore la divinité impériale et punit les réfractaires.
Pline s’attache plus aux rites qu’à la croyance. Il nous apprend que le Christ est honoré comme un dieu, sans évoquer sa mort, nous indique que le fidèle prête serment de se bien conduire et qu’après une interruption la réunion s’achève, avant l’aurore, par un repas composé de nourriture innocente. Ainsi depuis le premier siècle en Orient, le Chrestos est vénéré lors d’une cérémonie nocturne. Tour à tour, chaque fidèle, homme ou femme, y va de son incantation et de son serment. Puis, la réunion s’interrompt. Après cette pause, elle s’achève par un banquet juste avant l’aurore.
Mais n’est‐il pas étonnant que Pline le Jeune, juriste de formation, ignore la loi sur la divinité impériale ?
Même si de rares Césars, tel Caligula, prétendent être divins de leur vivant, le sénat de Rome consacre la divinité de l’empereur par un vote après sa mort. Il est étrange que, dans une lettre à Trajan, Pline fasse allusion à la divinité impériale. L’affaire est d’autant plus suspecte que le culte décrit par Pline est très fidèle à celui de "Chrestos", le "Juste" aujourd’hui connu sous le nom de culte de Mithra. La cérémonie y est nocturne, il est question de serment tenu, de bonne conduite et de communion avant l’aurore c’est‐à dire avant l’arrivée d’Eos.
Deux détails typiques des cultes de mystères confirment cette hypothèse.
Les fidèles se séparent puis se retrouvent pour communier. Cette pause n’existe pas dans la Sainte Messe. Elle se déroule d’une seule traite. En revanche, les récits des mystères consacrés à Déméter, dans la bourgade d’Eleusis non loin d’Athènes, l’indiquent : ceux qui n’accèdent pas aux grands mystères mais seulement aux petits, ouverts à tous, quittent la cérémonie avant qu’ils ne soient abordés. Ils la réintègrent dès que les rites propres aux grands mystères sont achevés. Ce principe de cérémonies gigognes est en vigueur dans la plupart des cultes mystérieux.
C’est bien du culte du Juste dont parlent les servantes suppliciées, second détail révélateur. Si, contrairement au cliché répandu, ce culte est ouvert à tous, les femmes et les enfants n’accèdent pas aux mystères du quatrième grade et suivants. Ils sont appelés serviteurs. Les serviteurs et les servantes évacuent le temple avant que le rite ne concerne que les surveillants (en grec episkopos origine du mot évêque), membres des grades supérieurs. Ils y reviennent pour communier dès que l’office au rite supérieur est achevé.
Cette lettre à l’empereur est curieuse. Vraie ou fausse, elle est un énorme clin d’œil à Trajan. C’est sur le temple de Mithra, qu’abritait, en sous‐sol, la villa de cet empereur, que s’élève, aujourd’hui à Rome, l’église Santa Prisca ! Les fouilles ont révélé que le temple de Mithra, de l’époque Trajan, était contigu à un temple chrétien du 4ème siècle. Trajan est donc, lui‐même, un adepte du culte du Juste comme le seront la plupart des empereurs de Rome.
Il n’a besoin de personne pour connaître l’usage des chrestianos. Une appellation qui est un barbarisme romain, le pluriel grec serait eios (Chresteios). Une appellation que, depuis la transformation de Chrestos en Christus, le français, conservateur et révélateur, rend toujours par chrestiens et les langues anglo‐saxonnes par l’équivalent de christiens.
Comble ! Suétone vit sous le toit de Pline le Jeune, ami du juste Trajan. Il sait donc de quoi il parle et ce qu’il ne doit pas dire au sujet de Chrestos. Il ne commet pas d’erreur au sujet des chrestianos du culte de Mithra dont Néron, initié par les mages d’Arménie, est aussi l’adepte. Pline l’Ancien, père adoptif de Pline le Jeune, explique au sujet de cet empereur : "Le roi d’Arménie avait adoré en sa divine personne une émanation de Mithra."
Néron est un membre éminent du culte du Juste. Mais, selon la légende, Néron serait imprévisible. Après l’incendie de Rome, blâmé par les chrestianos, ses frères, il les purifierait par le feu. Il réglerait ainsi rituellement ses comptes avec sa famille spirituelle dont fait partie son conseiller Sénèque, qui lui se suicide. La fable affirmant que Néron accuse les adeptes de Jésus d’avoir incendié Rome a pour objet d’asseoir l’existence du christianisme au premier siècle. Il s’agit en réalité du mithriacisme à la romaine.
Voilà pourquoi les pères de l’Église, amalgamant chrestianos et chrétiens, gratifient Sénèque d’une correspondance avec l’apôtre Paul et de rencontres nocturnes avec ses disciples. Selon les experts cette correspondance, où il est déjà question d’apocryphes et pas encore d’Evangiles, est un faux en mauvais latin. Pour information apocryphe signifie caché en grec et ne possède pas encore le sens actuel de « faux » qui est un détournement sémantique.
Au vu de ces informations, les chrestianos de Claude sont bien les Justes qui honorent Mithra, le Dieu Invincible. Ceci explique la mesure les chassant de Rome. Claude n’est pas un militaire et les craint. A son époque, c’est dans l’armée que se recrutent la majorité des chrestianos.
Selon Plutarque, le culte du Juste de Mithra arrive en Italie, avec les pirates ciliciens déportés par Pompée au premier siècle avant notre ère. Il s’installe très rapidement à Rome. Après l’assassinat de César, scandant le nom de Cicéron, les sénateurs conjurés, adeptes de ce culte, défilent à travers la ville en brandissant le bonnet phrygien, emblème de Mithra, au bout d’une pique. Quelque temps plus tard, certains d’entre eux arborent ce couvre‐chef sur des médailles à leur effigie.
Il faut accepter l’évidence, les Chrestiani de Tacite et Suétone désignent les adeptes du culte du Juste. Ce culte mystérieux est pratiqué dans l’armée romaine bien avant la crucifixion de Jésus. Tels des conspirateurs, ses membres se réunissent secrètement la nuit dans des souterrains ou des cavernes. Leur rôle dans l’assassinat de César est connu. Claude, méfiant de nature, s’inquiète à leur sujet. A défaut de les interdire, il les éloigne de sa capitale.
Pas un seul des témoignages de tiers Romains mis en avant pour soutenir la réalité du christianisme au premier siècle ne produit son effet. Le prétendu écrit de Tacite au sujet de Pilate : « Christ, un Juif condamné sous Tibère par le procurateur Ponce Pilate », est une curiosité. Tacite est l'unique auteur romain à qualifier Pilate de procurateur, titre anachronique sous Tibère, la fonction ayant été créée sous Claude, successeur de Caligula. Si Pilate a été nommé "procurateur" c'est par Claude et personne d'autre. L’écrit de Tacite est interpolé.
Hérode Antipas, qualifié de tétrarque dans les évangiles de Matthieu et Luc, confirme cet anachronisme. Ce titre grec est ignoré des historiens romains. Il n’existe pas à Rome au temps d’Auguste. La dignité de tétrarque y est créée en 335 de l’ère julienne (291 de notre ère) quand l’empire est divisé en 4 principats que gouvernent Dioclétien, Maximien, Galère et Constance Chlore.
Sans doute cette division de la Palestine a‐t‐elle été suggérée par une plume pieuse dans l’œuvre de Flavius Josèphe, premier auteur à appliquer l’appellation de tétrarchie à un territoire sous l’autorité romaine. Tromperie d’autant plus évidente qu’à l’origine, chez les Macédoniens, le tétrarque est le chef d’une formatiomn de 4 décuries de la phalange, et que la tétrarchie biblique apparaît lors du partage du territoire d’Hérode entre ses 3 fils. Flavius Josèphe écrit que César (Auguste) attribue le titre de gouverneur et la moitié du royaume à Archélaos et divise l’autre moitié en « deux tétrarchies » l’une à Philippe, l’autre à Antipas. On imagine mal Auguste désigner en grec une subdivision administrative de Rome.
Les évangélistes, qui évitent le piège du procurateur, se prennent les cothurnes dans la nasse aux tétrarques. Titre d’autant plus superflu sous Tibère, qu’Archélaos, déposé sous Auguste, est exilé en Gaule dès 6 de notre ère, après 10 ans d'exercice.
L’évangile de Matthieu et celui de Luc ne paraissent pas sous leur forme actuelle avant le règne de l’empereur Dioclétien commencé en 330 de l’ère julienne, 284 de notre ère. Celui de Jean, qui corrige les autres, semble encore plus tardif. Les Pères de l’Eglise qui précèdent cette époque sont des personnalités fictives ou converties au christianisme, par la magie du verbe. Indice significatif,
Athanase, devenu évêque d’Alexandrie en 374 de l'ère julienne, utilise « l’ère de Dioclétien » pour dater son courrier. Cette ère, aussi appelée « ère des martyrs », est celle de référence de la table pascale de Cyrille d’Alexandrie et de la chronique de Jean de Nikiou. Le mot martyr qui signifie témoin en grec a lui aussi été l’objet d’un détournement sémantique, il désigne aujourd’hui les victimes de leur foi ou de leurs convictions.
A se demander si Néron a commis toutes les infamies dont on l'accuse. La diplomatie à l'égard du pouvoir, qui caractérise les récits de Luc et de Paul, déroute. Pourtant des bruits ne ménagent pas les Romains. Ils sont diffusés par Caïus de Rome, Justin le Philosophe et Denys de Corinthe. Eusèbe de Césarée et Jérôme, l'éminence de la Vulgate, les colportent avec délices et détails.
Le premier bruit, renversant, contredit le Nouveau Testament. Il rapporte que Pierre, s'installe à Rome sous Claude en 42. Il y évangélise pendant vingt‐cinq ans. Il est condamné la 14ème année de Néron, en 67. Ne se jugeant pas digne de mourir comme Jésus, il demande la faveur d’être crucifié la tête en bas. Les Romains, complices, acceptent.
Le second bruit, bouleversant, prétend que Paul arrive à Rome vingt‐cinq ans après la crucifixion. Il y est exécuté le même jour que Pierre. Décapité comme Jean le Baptiste, il est enterré « vingt‐sept ans après la Passion du Seigneur » Selon ces versions de l’histoire, le Christ meurt en l'an 40. Intéressant !
Le 15 avril 40 est un vendredi 15ème jour de la lune. Dommage ! Ponce Pilate a quitté ses fonctions en 36. Il ne peut plus crucifier le héros.
La remarque de Grégoire de Tours, évêque du 6ème siècle : "Beaucoup pensent que Pilate était manichéen" est révélatrice (Histoire des Francs livre 1). Elle suppose, dans l’esprit de celui qui l’exprime, que le manichéisme précède le christianisme. Pour la petite histoire, Mani, l'envoyé perse de Dieu, verrait le jour vers 216 sous le règne de Caracalla, l'empereur né à Lyon. Allez comprendre !
Grégoire de Tours prétend que Jésus naît la 43ème année d'Auguste et meurt la 17ème année de Tibère. Il ne doit pas très bien connaître la vie de Mani ou bien, ne disposant pas de l’ère chrétienne, il ignore l’histoire de Rome.
Dans le genre « embrouillamini » les gens d'Église sont inégalables. Selon Jérôme de la Vulgate, Pierre arrive à Rome la deuxième année de l'empereur Claude en 42. Dans son épître aux Galates, Paul assure rencontrer Pierre à Jérusalem, 17 ans après la mort du Christ. Pour recouper ces deux affirmations le Christ, baptisé en 28, la 4ème année de Pilate, doit être crucifié en 25. Difficile... Il n’est pas encore le fils de son Père. Paul et Jérôme parlent‐ils du même Pierre ?
Si le précepte énoncé par Jésus : « Si c’est moi qui rends témoignage de moi‐même mon témoignage n’est pas vrai. » (Jean V.31) a donné l’idée de fabriquer les preuves du christianisme au premier siècle : c’est raté ! C’est sans doute pourquoi le héros précise, sans la moindre gêne, trois chapitres plus tard : « Bien que je rende témoignage de moi –même, mon témoignage est vrai. » (Jean VIII.14).
Le « made in ecclesia » est sans limites.
Une autre évidence que l’Eglise inverse les rôles au sujet de Mithra est de nature étymologique : Les bas‐reliefs des mithréums désignent sous les lettres D.I.M le Deus Invictus Mithra (Mithra Dieu Invincible). Le jour de la semaine consacré à cette divinité était le premier de la semaine c’est‐à dire le dimanche. Contrairement aux langues saxonnes qui désignent ce jour comme celui du Soleil (Sunday, Sonntag) ou aux langues latines (Domingo, Domenica) comme celui du Seigneur, Dimanche est le jour consacré à DIM (celui où l’on sert Mithra).
Alors ! Est‐il fondé de prétendre que le christianisme précède le culte de Mithra ? Non bien sûr ! L’archéologie le démontre sans faille. C’est pourquoi certains tenants du christianisme, faisant fi de Cicéron, Pline l’Ancien et Plutarque, affirment que le culte de Chrestos n’arrive à Rome qu’au second ou troisième siècle. Une piètre démonstration puisque, à lire les évangiles, le mythe chrétien ne naît pas dans la capitale romaine, et le culte de Mithra non plus !
De quelle vérité le christianisme se réclame‐t‐il ?
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