Didier Raoult, candidat des populistes à l’élection présidentielle de 2022 ?
« Je cherche l’estime de moi-même (…). La seule chose qui m’intéresse, c’est l’estime de moi-même. » (Didier Raoult, le 26 mai 2020 sur LCI).
Ego 1er interrogé par David Pujadas. Quand on entend le professeur Didier Raoult répondre ce mardi 26 mai 2020 au non professeur David Pujadas, sur l’antenne de LCI, on se dit : voici le candidat idéal pour l’élection présidentielle de 2022.
Il faut savoir que le développement d’une candidature, c’est maintenant ou jamais : après l’été 2020, la situation va se figer, il sera difficile aux nouveaux venus du club de devenir un candidat crédible. En mars 2015, Emmanuel Macron avait déjà le charisme et la popularité, et sans doute aussi l’ambition d’aller jusqu’au bout à l’élection de 2017.
Alors, pourquoi Didier Raoult ne serait-il pas le candidat idéal ? Parce qu’il pourrait représenter la candidature anti-système idéale. C’est un leurre, bien sûr, mais s’il est si aimé, voire adulé, c’est justement parce qu’il s’exprime à la fois habilement et clairement, dans un langage accessible et franc. Il est clivant et l’anti-système se nourrit du clivant. Il est populaire, pas seulement populiste, ce qui donne quelques longueurs d’avance aux candidats populistes déjà vaguement déclarés.
Ah, tiens, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon auraient intérêt à se méfier, à force de vouloir soutenir tout ce qui peut s’opposer de près ou de loin au gouvernement, elle pourrait se retrouver très embarrassée par une candidature concurrente qui, pour le coup, ne serait pas répulsive comme la sienne l’a été les deux dernière fois. Après tout, si Pierre Dac n’a même pas été sondé en 1965, Coluche en 1981, Yves Montand en 1988 et Bernard Tapie en 1995 auraient pu bouleverser le jeu politique en prenant entre 10% et 15% d’un électorat par définition d’opposition (ceux de la majorité votant pour le candidat sortant ou son héritier).
Évidemment, ce scénario catastrophe n’arrivera pas. Le professeur Didier Raoult se moque complètement de la politique dont il a une très mauvaise image, d’autant plus mauvaise qu’il est lui-même un sujet de discussion politique. Il était très clair ce mardi 26 mai 2020, et c’était son orgueil, son ego, qui pouvaient convaincre qu’il n’avait aucune tentation politique : « C’est méchant de croire que j’ai pu faire de la politique. Cela voudrait dire que j’ai fait mal mon métier. ». Car il adore son métier, celui de chercheur, et après une douzaine de découvertes, il en a encore d’autres en cours qu’il veut mener à bien (« C’est un orgueil, je n’ai pas envie de changer. »). Tant pis pour ses fans, pour ses adeptes.
Il a d’ailleurs reconnu qu’il ne voudrait pas être en ce moment à la place du Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran (« Si on m’avait proposé le même métier, je ne l’aurais pas fait. »), tout en lui envoyant une flèche d’autorité en affirmant faire preuve d’indulgence envers lui : « parce que je ne veux pas être désagréable avec lui, il a l’âge d’être mon fils. ».
Dans son long entretien sur LCI, Didier Raoult a été, sur la première moitié, étrangement raisonnable. Un homme modéré, pondéré, sage, qui rappelait qu’il disait toujours « Je n’en sais pas. » avant de répondre à une question sur un virus nouveau, sur une épidémie nouvelle, mais qu’il pouvait ensuite formuler une « hypothèse principale, rien à voir avec une affirmation ». Cette humilité est à son honneur, c’est celle du scientifique, mais elle était malheureusement une posture facile, voire imposture, certes habile, qui pouvait se retourner très facilement avec son orgueil, puisqu’il rappelait qu’il était également un enseignant et qu’il apprenait à ses étudiants, savoir dire "je ne sais pas" quand on ne sait pas (il a même affirmé piéger ses étudiants en leur posant des questions impossibles pour révéler ceux qui se sentaient obligés d’y répondre !).
Oui, orgueil, amour-propre, vanité, ego surdimensionné (ce qui en fait donc un atout pour une candidature présidentielle !), c’est cela qu’il a exprimé, d’abord de manière mesurée, puis, à partir du moment où le sujet de l’hydroxychloroquine a été abordé, de manière odieuse, orgueilleuse et arrogante, et sa première victime fut le pauvre David Pujadas, le journaliste au sourire pitoyablement niais qui s’est laissé très facilement manœuvrer par son invité.
Très mauvaise semaine pour Didier Raoult : le Haut conseil de la santé publique venait de recommander l’arrêt de prescription de l’hydroxychloroquine par précaution dans la journée : « C’est une opinion comme une autre, je m’en fiche un peu. ». Et de remettre en cause la crédibilité de toutes les instances nationales et internationales (l’OMS a retiré aussi l’hydroxychloroquine) : « Le vrai problème, c’est la crédibilité (…). C’est l’une des questions qui est la plus violente en ce moment. Est-ce qu’on est crédible parce qu’on est nommé ou parce qu’on est crédible tout court ? ». Pas loin du sketch des Inconnus sur la différence entre les chasseurs et les chasseurs.
Cette réflexion a surtout montré un déficit de confiance en soi. En effet, Didier Raoult avait visiblement un complexe d’infériorité pendant toute la durée de l’émission télévisée. On pouvait l’observer se gratter en permanence la barbe, ce qui, d’ailleurs, était contre-indiqué dans les gestes barrières.
C’était encore plus visible à la manière dont il se fatiguait systématiquement à vouloir rabaisser ses interlocuteurs (la terre entière s’il le fallait). À une question du journaliste, il a répondu : « Question intéressante… » et il s’empressa d’ajouter : « Généralement, quand mes étudiants disent une bêtise, je dis que c’est intéressant… ». Ce n’était pas la seule fois : « Vous ne pouvez pas la lire [une publi], ce n’est pas votre métier. ». Ou encore : « Nous avons des difficultés à nous comprendre, car ce nous ne jouons pas dans la même pièce. ». Avec une arrogance qui montrait sa haine des journalistes : « Vous ne faites pas partie de l’élite ! ».
À David Pujadas, montrer sa supériorité était facile, il suffisait de se placer sur le mode professeur/élève. On se souvient que Valéry Giscard d’Estaing avait tenté la manœuvre à son rival François Mitterrand lors d’un duel présidentiel, mais ce dernier avait habilement désamorcé la chose en disant : je ne suis pas votre élève. Ce qu’aurait dû simplement lui rappeler David Pujadas. Au lieu de cela, dans ses petits souliers, il semblait presque fasciné par le charisme de Didier Raoult.
Et du charisme, il n’en manquait pas. Il a trouvé des formules choc. Par exemple, il a rejeté l’idée d’être contre les élites… en rappelant qu’il faisait partie de l’élite (« Moi, je fais partie de l’élite, je m’excuse de dire cela. »), mais en refusant le droit à ses adversaires de faire partie de l’élite, il considérait que c’était une fausse élite. "Moi, je suis intelligent, vous, vous tous, vous être des nuls". Il y a aussi la traduction pour les soignants. "Moi, j’agis, je vois les malades, vous, les autres, ceux qui publient contre ma potion magique, vous n’avez jamais vu de malades depuis longtemps" (« Moi, je fais ! »). C’est insupportable pour ses collègues, ceux des médecins et infirmières qui sont au bord de l’épuisement à Paris et dans le Grand-Est pour sauver le plus de monde possible en réanimation. Les malades aussi apprécieront.
Toujours les arguments d’émotion qui n’ont rien à voir avec la science. Gardant la blouse blanche (ce qui est très efficace en communication : « Je suis dans la vraie vie ! »), il a expliqué qu’il se réunissait tous les matins avec son équipe pour faire le point avec ses malades (mais quel médecin hospitalier ne fait pas sa réunion du matin ?!). Autre argument dénué de toute science : « Les malades, je peux vous dire que je n’ai pas eu de problème avec eux. Aucun n’a porté plainte contre moi, aucun ne s’est plaint sur Internet. ».
Il a précisé à David Pujadas : « Vous n’avez pas le degré de performance dans l’analyse scientifique. » (ce qui est probablement vrai), suivi de : moi, si, j’ai les outils. Et de dire (il a raison aussi) qu’il y a toute une gamme de scientifiques, comme il en est pour les joueurs de football, des petits sportifs de quartier et des grands champions internationaux. Lui, bien sûr, se place dans la seconde catégorie.
Pourtant, il a assuré ne pas chercher à choquer ni à bâtir sa notoriété (qui serait « pesante », selon lui), mais a reconnu qu’il aimait la polémique : « J’adore le conflit intellectuel. ».
Parmi les clivages qui font vivre son image médiatique (qu’il regrettait tout en l’alimentant), il y a cette extraordinaire formule : « Le Paris actuel ressemble au Versailles du XVIIIe siècle. », pour parler de phénomène de cour (en parlant de chuchotements et de déconnexion) et pour dire qu’il n’y a plus de personnes intéressantes à Paris (il n’était pas à une contradiction près car à un autre moment, il disait quand même : « J’en ai discuté avec des amis à Paris… », encore un argument scientifique très nul).
Quand David Pujadas a tenté de dire qu’il n’y avait dans les Alpes-Maritimes pas plus de décès que dans les Bouches-du-Rhône, Didier Raoult a dit que l’urbanisation de Marseille était telle qu’il faudrait comparer avec Lyon ou Paris… alors qu’on pourrait aussi comparer la ville avec Bordeaux, Nantes, par exemple, pas plus touchés que Marseille par la pandémie et qui, pourtant, n’ont pas utilisé l’hydroxychloroquine. Et puis, ce décompte de décès était absolument odieux, c’est comme les polémiques sur le nombre de morts de la Shoah.
Ah, d‘ailleurs, quand on a parlé de ce produit et qu’on lui a dit qu’il n’allait plus avoir le droit de l’utiliser, il a répondu qu’il s’en moquait aussi parce qu’il n’y avait plus de malades chez lui. La dernière guerre mondiale, c’est aussi une référence pour Didier Raoult puisqu’il a expliqué que si l’on ne tentait pas de soigner les malades, si on renonçait avec seulement du Doliprane, c’était comme lors de l’Occupation allemande : « C’est la même chose qu’en 40, dire il n’y a plus rien à faire et donc, on se rend. ».
Il a repris aussi cette référence en disant qu’il craignait la peur dans cette pandémie et a vu dans le confinement une manière de canaliser la peur : « Si le confinement a aidé à gérer la peur, alors c’était une très, très bonne décision politique. Cela a empêché des conduites dangereuses. ». Et il a affirmé qu’il y avait plus de morts à la Débâcle que pendant les combats (affirmation qui mériterait d’être vérifiée), en laissant presque croire qu’il avait vécu cette période (il est né en 1952).
Pourquoi un tel vécu ? Parce qu’il n’a pas hésité pas à insister sur le fait qu’il était fils et petit-fils de résistants, que son père et son grand-père lui ont beaucoup parlé de cette période, et à un autre moment, il a affirmé que c’était rare d’être la quatrième génération d’officiers de la Légion d’honneur. Toujours ces moyens de vouloir sans arrêt se valoriser lui-même tout en dévalorisant les autres, comme si son activité scientifique ne lui suffisait pas. Voici une belle preuve qu’il est friand de la moindre décoration, du moindre honneur et surtout, de la moindre reconnaissance que le système a pu sécréter à ce représentant éclatant …du système.
Cela m’amène naturellement à rappeler que Didier Raoult est le symbole du système, il a reçu la plus grosse subvention publique pour la recherche médicale, il est en partenariat avec les plus grands établissements privés et publics (de là à dire qu’il est vendu à madame BigPharma, je ne le dirai pas même si lui-même ne se prive pas de penser que ses adversaires le sont), etc. Certes, il a perdu quelques "labels" avec de prestigieux centres de recherche (dont le CNRS).
Le sommet de l’argument foireux, c’était quand, à court d’argument scientifique, le grand professeur Didier Raoult, infectiologue connu et reconnu de la terre entière, a répondu à David Pujadas : « Vous voulez faire un sondage entre vous et moi ? » pour dire qui avait raison. Degré zéro de l’esprit scientifique ! Puis, il a rectifié : « Vous voulez faire un sondage entre Véran et moi ? ». Pourquoi ne pas demander par référendum quels médicaments administrer aux malades du covid-19, tant qu’on y est ? Le pire, c’est qu’on trouvera encore des gilets jaunes pour applaudir cette tirade, sans prendre conscience de la grande absurdité de la chose.
En somme, Didier Raoult, certes grand scientifique, a délibérément voulu communiquer en prenant les profanes à témoin (ceux qui l’apprécient le plus seraient selon un sondage récent ceux qui sont les moins diplômés, c’est bizarre pour un représentant de la vraie élite), en privilégiant l’émotion sur la raison. C’est peut-être plus efficace dans les sondages de popularité, mais cela laisse douter de la compétence scientifique.
Appelé à commenter ces nombreux propos souvent péremptoires, le professeur Éric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière, y a renoncé tant il aurait de choses à réfuter, si ce n’est qu’il a juste cité le très opportun théorème de Brandolini qui peut s’énoncer ainsi : la quantité d’énergie pour réfuter des baratins est très largement supérieure à la quantité d’énergie pour produire ces baratins. C’est un théorème énoncé par l’informaticien italien Alberto Brandolini en janvier 2013 (sous le nom de : "bullshit asymmetry principle"). J’aurai au moins appris quelque chose…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Didier Raoult, candidat des populistes à l’élection présidentielle de 2022 ?
Hydroxychloroquine : l’affaire est entendue…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Hydroxychloroquine : attention au populisme scientifique !
Polémique avec le professeur Didier Raoult : gardons notre sang-froid !
Le covid-19 n’est pas une "simple grippe"…
Hydroxychloroquine vs covid-19 : Didier Raoult est-il un nouveau Pasteur ?
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