Dis, César, c’est quoi un intermittent ?
Soirée des Césars 2006 musclée. Les raisons d’un mécontentement.

"La cérémonie des Césars a failli être annulée à cause des intermittents du spectacle", a-t-on entendu dès le dimanche matin sur les radios, et dans tous les médias.
Ce soir-là, des artistes, des techniciens se sont fait expulser de la salle manu militari quand d’autres étaient contenus par un cordon de police déployé à l’endroit des personnalités invitées et dont il fallait assurer la protection, c’est évident...
Décidément, les enfants ne comprennent pas bien : Carole Bouquet, Jacques Audiard, Romain Duris et tutti quanti ne sont donc pas, eux, "intermittents du spectacle" ?... Et les cameramen qui filment la soirée, les décorateurs du Châtelet ont été expulsés, eux aussi ? Les Césars ne sont pas attribués par des intermittents au sein de la commission des Césars ? C’est quoi, un intermittent ? Un type qui fait la manche dans le métro, qui profite d’un statut d’artiste qu’il a usurpé et qui lui donne droit à une obole sur le dos des contribuables, ah, c’est ça ?... Et alors, pourquoi le protocole d’indemnisation des salariés du spectacle tarde-t-il à subir un salutaire toilettage ? Certains délégués syndicaux ne lorgneraient-ils pas sur le siège bientôt vacant du directeur de l’Unedic ?...
Trêve de plaisanterie : 99 % des invités de la cérémonie des Césars sont intermittents du spectacle, c’est-à-dire qu’il travaillent de façon pas tout à fait indépendante. Lorsqu’ils ne tournent pas, ils touchent des indemnités de chômage. CQFD.
Comme l’a dit très justement et avec force Gérard Lamps, César du meilleur son, il n’est plus rare de croiser dans le milieu du cinéma un césarisé d’hier qui vous dira dix mois plus tard : "Je suis obligé de demander le RMI".
Ainsi en est-il allé de certains très bons acteurs césarisés naguère, comme François Négret (Au revoir les enfants) bel exemple resté des années sans un contrat. Des dizaines d’autres professionnels seraient à citer. Mais chut ! Tabou absolu... C’est l’effet du proverbe de métier : "Qui est vu sera vu, qui disparaît aura disparu".
Une formule, un statut.
En effet le statut d’intermittent n’a rien à voir avec la qualité d’artiste du spectacle ou de technicien. C’est un statut administratif. Voyons cela :
Le cumul de trois conditions est nécessaire pour être admis au régime de l’intermittence. Celui-ci s’adresse aux artistes, ouvriers et techniciens engagés
- En contrat à durée déterminée
- Par une entreprise dont l’activité est enregistrée dans un des codes NAF définis comme une activité de spectacle
- Pour une des fonctions figurant sur la liste des fonctions de l’annexe spécifique du régime de l’assurance chômage de l’Unedic.
L’allocation de retour à l’emploi est alors versée à compter de la réalisation de 507 heures de travail (dans les conditions citées) au cours des 319 jours pour les artistes et 304 derniers jours pour les techniciens. L’indemnisation est alors ouverte pour une période de 243 jours. L’allocation se compose d’une partie fixe et d’une partie variable qui fait intervenir à la fois le salaire perçu, le nombre de jours travaillés ainsi que le nombre d’heures de travail réalisées.
L’allocation est composée de deux parties :
- l’une, fixe, de 10,25 € par jour (avec un minimum garanti de 28,86 € par jour et un maximum de 113,80 € par jour)
- l’autre, variable, qui correspond à :
(salaires sur 10 mois) 0,195 × ------------------------------ + 0,026 € × nbr d’heures effectuées (319 ou 304) - N(N est le nombre de jours où l’intermittent a été pris en charge par la sécurité sociale, a été en chômage constaté, a effectué un stage de la formation professionnelle ou acquis des droits au congés.)
Du papier aux plateaux.
En 2005, l’Etat a pallié les aberrations reconnues de ce nouveau système mis en place en 2003, en octroyant un fonds provisoire de 15 millions d’euros destiné à ceux qui réalisent les 507 heures de travail dans les douze derniers mois, et non dans les dix. Le dénominateur passe alors à 365 au lieu de 319 et la même formule est appliquée.
Mais dans la réalité, celui qui a la chance d’être maintenu dans ses droits peut se retrouver, en début d’année, calculé à 16 € par jour d’assurance chômage, et tel autre à 250 € par jour (notamment certains gros salaires du monde de la pub et du cinoche, n’est-ce pas...)
Les professionnels du spectacle donc, puisque c’est bien d’eux qu’il s’agit au moins une fois l’an à l’occasion des Césars, râlent à cause d’un protocole d’assurance-chômage qui défavorise les petits cachets au détriment des gros. Les premiers voient souvent leur moyen de subsistance baisser dramatiquement (une couturière de l’opéra de Paris s’était retrouvée à 12 € par jour en 2005, selon une source du Syndicat français des artistes) et les seconds voient, par le truchement de cette formule, leurs indemnités augmenter. Nul doute que les "satisfaits" de ce protocole étaient notamment dans la salle du Châtelet, invités aux Césars.
Résultat : aucune économie. Au contraire, le déficit annoncé par l’Unedic s’est creusé de 100 millions d’euros depuis 2003 pour atteindre 900 millions d’euros !!! En pareil cas et pour n’importe quel autre secteur socio-économique, il y aurait urgence. Là, non... les syndicats patronaux (MEDEF), certains syndicats professionnels (CGC, CFDT) laissent pourrir le poisson par la tête, et le ministère... ne tient pas ses propres engagements, pris devant l’Assemblée nationale, de recourir à la voie législative si aucune négociation ne se révélait possible.
Déficit d’image.
Malheureusement, le message ne passe toujours pas dans l’opinion. Il est vrai qu’entendre siffler ou huer les stars du ciné français fait vite passer les intermittents pour de pauvres fainéants aigris et jaloux. Il y a dans cette rage revendicative ou dans cette détresse, un peu du syndrome "Act up" : je me sens exclu (voire je veux être exclu) pour jouir enfin d’une identité spécifique (à défaut de notoriété), donc je m’exclus moi-même...
Ce n’est pourtant ni la réalité, ni le message qui devrait passer. Zéro pointé pour les meneurs d’actions qui sont, paradoxe, si peu nombreux. Et lorsque l’un d’entre eux parvient à prendre la parole, ou la vole, c’est toujours avec un air de revenir des manifs de 68, longs cheveux et panne de rasoir en prime. De quoi donner à moudre aux caricaturistes de tous poils et saper définitivement l’image de ces métiers dans l’opinion publique. D’autant que Canal +, le 25 février 2006, a simplement coupé la diffusion de l’intervention desdits intermittents bien coiffés en début de soirée. On ne veut décidément pas les voir, nos cancéreux !
"Pas de cinéma pour les intermittents !"
...entendait-on crier à la cérémonie des Césars. Mais nom d’un chien andalou, répétons-le : il n’y a que des "professionnels du spectacle". Bien sûr, certains intermittents du spectacle (dénomination Assedic) sont plus ou moins connus du public, certains gagnent mieux leur vie que d’autres, mais que ce soit dans le froid de cette soirée du Châtelet ou bien au chaud dans ses fauteuils de velours rouge, il n’ y avait ce soir-là que des "professionnels du spectacle". Evidemment, depuis que l’action publique a disparu, depuis que la Société française de production n’est plus, le secteur a été ouvert au privé, et qui dit privatisation dit exclusions, passe-droits, fils de.
En un seul coup d’oeil aux génériques, on voit que les Césars sont héréditaires.
Ce serait dommageable à tous de laisser se propager l’idée qu’il y aurait d’un bon côté des "professionnels", des "stars", et de l’autre côté de la rue des "intermittents", intérimaires du spectacle, travailleurs à mi-temps, plus "chômeurs marginalisés" que véritables artistes ou techniciens. Ce sont les mêmes ! Ceux-là, sur les plateaux, font en sorte que la lumière sur Messieurs Depardieu soit parfaite, que les costumes de Messieurs Cassel soient toujours raccord et impeccables, que l’émotion de Melle Mastroïanni soit intacte à l’image ; tous, à leur niveau, ajoutent une pierre à l’édifice de leur gloire. Comme en peinture, c’est l’ombre qui contribue à ce que la lumière soit belle.
On aimerait alors les voir plus solidaires, plus impliqués, ces professionnels récompensés, drapés dans leur succès fragile, et l’air de ne pas y toucher (aux assedics).
On vit tous dans l’attente du jugement du Luxembourg contre le régime français spécifique aux intermittents. Au-delà des querelles de syndicats, des "problèmes de famille", les menaces que la Cour des communautés européennes fait planer sur ces métiers se précisent. La politique attentiste en matière de droits sociaux actuellement observée en dit long.
Les stars irradiées de lumière le savent toutes, mais se taisent. C’est aussi leur carrière qui sera touchée.
"Les demandeurs d’emploi des métiers du spectacle analyse synthèses et tableaux Observatoire de l’Anpe novembre 2005"
www.anpe.fr
Menger Pierre "Sociologie d’une exception." éd. EHESS
www.culture.gouv.fr
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