Du pouvoir théocratique à la démocratie, la fausse et la vraie
Le peuple est comme un enfant qui recherche la protection d’un père, tout en aspirant à échapper à l’autorité qui restreint sa liberté. Son émancipation sera soumise à sa capacité à surmonter ses peurs pour se passer de la protection du père… et de son autorité pour respecter les règles de vie en société (la loi). Liberté rime avec responsabilité ; les deux sont indissociables.
Aristote décrivait trois formes de gouvernement. Il en existe une quatrième, sans doute la plus implacable de toute, dont il ne parle pas : le pouvoir théocratique, en filigrane de l’analyse proposée dans ce billet.
Quatre formes de gouvernement sont donc présentes dans le monde. Les trois premières correspondent à celles d’Aristote, la quatrième, la plus archaïque, remonte aux origines des civilisations monothéistes autour de la méditerranée :
- La monarchie = le gouvernement d'un seul, supposé symboliser la protection du père. Elle est désignée par l'héritage consanguin. Quand le monarque se fait « mauvais père », les révolutions ont démontré que le souverain peut être éliminé (et remplacé) quand le peuple poussé à bout par la misère et les injustices en arrive au meurtre du père[1] dans un passage à l’acte[2] désespéré.
- L'oligarchie = gouvernement du petit nombre (aristocratie), désigné par l'élection. Le peuple (l’enfant) a le sentiment de pouvoir choisir des pères symboliques parmi les élites. Ce modèle a fait la preuve de ses limites, en particulier dans les surenchères de mensonges qu’imposent les joutes verbales auxquelles se livrent les candidats, dans leur désir-délire de se faire élire pour accéder au pouvoir. L’affaire Cahuzac pourrait bien, à ce titre, avoir des conséquences décisives sur le sort de la Ve République. Un passage à l’acte[2] pour tuer le père[1] est toujours (symboliquement) possible.
- La démocratie = gouvernement du grand nombre, caractérisé par le tirage au sort des magistrats[3] et son corolaire le référendum d’initiative citoyenne. C’est le peuple qui s’auto détermine. Devenu adulte et mature, il (l’enfant) rejette la protection (du père). Personne ne décide son nom, car il a atteint sa majorité, synonyme de maturité.
- La théocratie = le gouvernement au nom de la prétendue parole de Dieu. L’affirmation de Nietzsche « Dieu est mort » n’a pas convaincu les milliards d’humains qui continuent à espérer en ce père symboliquement parfait pour se mettre sous sa protection. Des peuples entiers la revendiquent, acceptant de se soumettre corps et âme aux chefs d’églises, les représentants auto proclamés de Dieu sur terre.
Première remarque importante : la république dans laquelle nous vivons aujourd’hui en France n’est en réalité pas une démocratie, mais une oligarchie. Et pourtant l’illusion collective perdure sans véritable résistance du peuple, gavé de discours remplis d’autant de promesses que de mensonges. Nous y reviendrons plus loin.
La théocratie est sans aucun doute la forme de gouvernement la plus redoutable de toutes, parce qu’elle est polymorphe et dogmatique. En dehors des régimes politiques dont le pouvoir est fondé explicitement sur une doctrine religieuse, à aucun moment les dogmes théistes n’ont été éradiqués, et ils ne le seront probablement jamais, car ils possèdent la capacité de se rendre incolore inodore et sans saveur. On ne sait plus qu’ils sont là, tapis dans l’ombre, véritable vampire au service du pouvoir occulte :
Que l’on ne s’y trompe pas, le dogme théocratique n’est pas uniquement présent dans les gouvernements typiquement religieux où il est monstrueusement visible. On en retrouve l’ADN dissimulé dans toutes les formes de pouvoir, y compris dans les républiques qui se définissent laïques. Toutes, sans exception, ont hérité des valeurs transmises pendant des siècles par les « fonctionnaires de Dieu » au service des monarchies, puis des oligarchies, considérées à tord aujourd’hui comme le modèle de la démocratie.
Le dogme théocratique a ceci de particulier qu’il s’apparente au symbiote, en référence aux personnages de fiction des Marvel Comics et autre Spider-Man : il s’accroche sur l’une des trois formes de gouvernements décrites par Aristote. Tel Venom, le symbiote du dogme théocratique ne peut survivre que dans une relation en symbiose avec son hôte. Ici, hors le pouvoir religieux pur et dur, le symbiote dispose de trois hôtes : la monarchie, l’oligarchie, et la démocratie. Car même cette dernière n’est pas épargnée par les fantômes des dieux, sorte de « surmoi collectif [4] » (lien).
Une fois le symbiote accroché à lui, l'hôte voit toutes ses facultés décuplées (force, puissance, enrichissement personnel, manipulation, etc.), et développe un don de régénération, le symbiote partageant ses hormones avec lui. Dans certains cas, le symbiote développe aussi des facultés propres qu'il confère à son porteur (le symbiote de Venom permettait par exemple de projeter de la toile d'araignée à volonté). Mais, en contrepartie, le symbiote se nourrit de ses endorphines et de son adrénaline, augmentant constamment son agressivité, et le rendant de plus en plus sauvage. Très souvent, l'hôte d'un symbiote commet des horreurs qu'il n'aurait jamais osé commettre en temps normal, sans en être horrifié, même lorsque très exceptionnellement il s'en rend compte. Peu à peu, le symbiote prend ensuite le dessus sur la personnalité de son hôte :
Le pouvoir corrompt inévitablement le libre usage de la raison (Kant)
Le pouvoir rend fou (Platon)
L'État n'est pas l'incarnation d'un quelconque intérêt général, c'est un monstre froid au service d'intérêts égoïstes (Nietzsche).
Les symbiotes – c’est-à-dire les dogmes déistes – possèdent cependant des faiblesses : ils sont vulnérables à la raison et au bon sens populaire qui les conspuent facilement, et les émeutes suffisamment soutenues peuvent les contraindre à se détacher de leur hôte.
Aurions-nous peur de la liberté ?
Il ne fait aucun doute que nous commettons une lourde erreur en confondant la démocratie avec l'élection. Seuls les élites et notables ont les moyens de se faire élire. Et nous sommes assez naïfs pour croire qu’ils vont se mettre au service du peuple ! Ils sont aussi habiles que les théocrates pour nous vendre leur patronage et défendre leurs intérêts en priorité… avec ou sans vaseline...
Après le rejet de l’obscurantisme religieux, comment un peuple peut-il encore se montrer crédule au point de ne pas rejeter avec la même conviction le prosélytisme capitaliste, nouveau dieu en remplacement de celui des théocrates ?
Nous avons tous la réponse à cette question : tant que les miettes, issues des profits que le peuple sert sur un plateau d’argent aux oligarques, tombent dans notre assiette, nous sommes persuadés avoir choisi, élu, les plus honnêtes citoyens pour nous exploiter dans une forme d’esclavage que nous considérons somme toute juste et égalitaire.
Si nous voulons réellement instaurer la démocratie, nous devrons abolir les élections des oligarques actuellement au pouvoir, et instituer une forme de gouvernement par le peuple :
- Le tirage au sort des magistrats3 en charge de la gouvernance devra se substituer à l’actuel système électoral.
- Le référendum d’initiative citoyenne sera au cœur des décisions, qu’il s’agisse de faire des nouvelles lois, ou d’en abroger d’autres, jugées injustes.
Pour autant, il serait illusoire de prétendre que les valeurs (éthiques, morales, humaines, etc.) héritées des siècles de croyances théistes auront disparu. Elles demeurent plus que jamais le fondement humaniste, non plus à la disposition des oligarques pour nous manipuler et nous exploiter, mais au service du peuple et de la paix.
L’athéisme ne prive pas l’intelligence de reconnaître les valeurs humanistes portées par le christianisme, ni de constater qu’elles ont été détournées depuis 2000 ans aux services de causes dégueulasses et méprisables. Les raisons de ces détournements trouvent probablement leurs origines dans l’immaturité de l’homme et sa peur de la liberté, comme le souligne Jacques Ellul : « l’homme n’est pas du tout passionné par la liberté, comme il le prétend. La liberté n’est pas chez lui un besoin inhérent. Beaucoup plus constants et profonds sont les besoins de sécurité, de conformité, d’adaptation, de bonheur, d’économie des efforts… et il est prêt à sacrifier sa liberté pour satisfaire ces besoins. Certes, il ne peut pas supporter une oppression directe, mais qu’est ce que cela signifie ? Qu’être gouverné de façon autoritaire lui est intolérable non pas parce qu’il est un homme libre, mais parce qu’il désire commander et exercer son autorité sur autrui. L’homme a bien plus peur de la liberté authentique qu’il ne la désire ».
Pour Jacques Ellul, l’adhésion persistante aux croyances déistes serait le signe de l’immaturité, cause du besoin d’une autorité supérieure, sécurisante, mais privative de liberté : « L’erreur première de ceux qui croient à un monde majeur, peuplé d‘hommes prenant en main leur destin, c’est d’avoir une vue purement intellectuelle de l’homme. Mais voilà : être non-religieux n’est pas seulement une affaire d’intelligence, de connaissance, de pragmatisme ou de méthode, c’est une affaire de vertu, d’héroïsme et de grandeur d’âme. Il faut une ascèse singulière pour être non-religieux ».
L’instauration de la démocratie « vraie » et de son corolaire « le Référendum d’Initiative Citoyenne » est aujourd’hui une priorité. Des pistes concrètes pour en faire avancer l’édification existent, même si les plus sceptiques refusent pour le moment d’y croire par peur de la liberté. La faillite du système politique en vigueur crée l’urgence d’une prise de conscience à sortir de l’asservissement social, anxiolytique du peuple aliéné par ses peurs. Un peuple en crise, qui pourrait bien faire un passage à l’acte et précipiter l’avènement de cette démocratie « vraie ».
Là, il y a urgence.
Reste à savoir si notre peur de la liberté est suffisamment dépassée pour franchir le pas…
Documentation :
Tirage au sort et démocratie en Grèce antique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Démocratie athénienne
La démocratie par tirage au sort sur owni.fr
Une Constitution d’origine Citoyenne (Étienne Chouard)
Référendum d’Initiative Citoyenne
Démocratie et tirage au sort : 544 000 résultats sur Google !
[1] Le meurtre du père défini par Freud dans son ouvrage anthropologique « Totem et tabou » s’entend aussi bien sur le plan symbolique que dans un passage à l’acte. Lacan en a largement repris la thématique sous l’angle la logique du signifiant (lien).
[2] Passage à l’acte : expression du vocabulaire de la psychanalyse qui désigne « un moment de rupture brutale dans un processus relationnel jusque-là contenu guidé et encadré par la parole et le langage ».
[3] Magistrats dans le sens premier du mot : fonctionnaire ou officier civil investi d’une autorité publique et de son administration.
Crédit image :
http://deleatur.hautetfort.com/tag/ayatollah
http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1320
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