Le racisme a existé bien avant que l’homme n’en ait eu conscience. A l’époque où les hommes des cavernes vivaient en «
hordes primitives », selon le mot de
Freud, ils devaient déjà se méfier des hordes adverses, se détester et se taper dessus alors qu’ils n’avaient encore qu’un vocabulaire limité et un bagage culturel restreint. L’autre était déjà potentiellement dangereux et comme ils ne faisaient que chasser et cueillir, le seul bien des mâles dominants était les femmes.
Les Grecs anciens, et même les Athéniens, soi-disant chantres de la démocratie, faisaient la différence entre les Citoyens, les esclaves venus des peuples barbares, et bien qu’ayant le statut d’hommes libres, l’équivalent de la plèbe romaine (les ilotes pour les Spartiates) faite de péquenauds. Ils distinguaient enfin une catégorie peu reluisante, celle des métèques, c’est-à-dire celle des commerçants étrangers. Les Phéniciens par exemple, qui étaient leurs juifs ou leurs Libanais.
Mais de tout temps l’homme, même quand il n’est pas blanc, a considéré l’autre, l’étranger comme une proie ou comme un adversaire d’ordre sexuel. Sans refaire l’histoire des théories racistes depuis les origines, il semble que tous les discours savants, politiques, religieux, philosophiques, ne sont qu’un écran de fumée pour masquer le désir de s’approprier les femmes des autres en humiliant les mâles exogènes ou la crainte de voir des étrangers plus forts venir se servir dans notre cheptel de femmes. Les théories de Gobineau, de Drummond ne serait de fait qu’un cache-misère sexuelle.
Pour que le racisme s’installe, il faut qu’il y ait perception, même erronée, qu’il existe une relation dominant/dominé entre deux groupes d’individus d’origine différente partageant un même territoire. Et dans certaines circonstances, surtout s’il y a effet de foule, le dominé peut se montrer aussi cruel, injuste et fanatique que le dominant.
Il est d’ailleurs curieux de remarquer que ce qui se fit de « mieux » en la matière, c’est-à-dire le nazisme n’a provoqué que peu d’exactions d’ordre sexuel. Quand on évoque cette période trouble, les viols ne viennent pas en première position dans l’ordre des sévices et des horreurs. La Seconde Guerre Mondiale rapporte des faits d’abus sexuels du fait des Japonais, des Russes, des Ukrainiens ralliés au Reich et même des Américains et des troupes coloniales, mais très peu venant des Allemands. Alors que des membres des troupes d’occupation alliées en Allemagne ont été gravement impliqués dans des faits d’ordre sexuel lors des deux conflits mondiaux.
Comment analyser ce paradoxe ? Il semble qu’il existe deux sortes d’explications. D’abord l’idéologie nazie serinait que les Aryens étaient les plus beaux, les plus intelligents. Forniquer avec des races inférieures était en soi une faute de goût si ce n’est un crime. Mais d’autre part, il faut reconnaitre que l’occupant dans son bel uniforme vert était souvent accueilli à bras et jambes ouvertes sans qu’il n’ait eu besoin de menace explicite. Cela relativise beaucoup le fair-play des troupes allemandes, qui souvent n’avaient pas beaucoup à insister. Les femmes tondues, (qui étaient loin d’être toutes des filles à soldats) sont là pour en témoigner. Les raseurs de crânes de l’épuration n’étaient pas de valeureux résistants, mais des individus frustrés, de la catégorie des racistes dominés qui portaient sur leurs épaules le poids d’une sorte de cocufiage à l’échelle nationale. Un adultère antirépublicain qui dura plus de quatre ans et qu’ils avaient du mal à digérer, car preuve de leur double impuissance.
Mais sans revenir à cette période extrême, arrêtons-nous au temps de l’esclavage et tout particulièrement dans le Dixieland, le vieux Sud américain colonial avec ses plantations et ses nombreux esclaves. Et là nous retrouvons derrière le mercantilisme esclavagiste et sa recherche de productivité, la vieille peur de la longue queue supposée du noir.
Qui n’a jamais écouté de blague graveleuse sur la taille supposée du pénis du noir. Ce fantasme touche toutes les communautés blanches et vient d’une erreur d’appréciation anatomique. Ceux qui ont exercé la médecine en Afrique ont vu certes de véritables King Size dignes des meilleurs pornos, mais aussi d’insignifiantes petites quéquettes. L’illusion vient en partie du tissu conjonctif sous cutané. Le derme et l’hypoderme des individus de race noire est plus riche en fibres conjonctives. Cet état de fait entraine une moins grande rétractabilité de la peau (ainsi qu’une mauvaise cicatrisation de type hypertrophique, que l’on appelle chéloïde). Donc, à l’état de repos et de flaccidité, un pénis noir qui donnera la même longueur d’érection que celui d’un blanc parait toujours plus grand. Pour faire simple, le coefficient d’extensibilité du noir est inférieur à celui du blanc, d’où l’illusion fréquente. Après, au niveau de l’individu, tout réside dans sa place dans la répartition des tailles selon une courbe de Gauss. Comme la plus part des mâles blancs non homosexuels n’ont vu des nudités masculines africaines qu’à l’état de repos ou de détumescence, ils ne peuvent qu’en développer de la jalousie et un complexe d’infériorité. Le racisme anti noir ayant pour origine une question d’élasticité est une hypothèse tentante.
Rien d’étonnant que dans le vieux Sud esclavagiste, le noir musclé car travaillant dur, n’ait entrainé une réaction de jalousie, d’envie et de revanche des maitres, qui d’ailleurs sélectionnaient les plus beaux spécimens pour des fermes de reproduction. La femme blanche considérait l’homme noir comme un objet, mais malheur à celui qui aurait osé toucher, il aurait été systématiquement fouetté à mort ou pendu. Cette haine de la sexualité du noir perdurera après la fin de la Guerre de Sécession avec l’avènement du Ku-Klux-Klan et ses lynchages haineux. On retrouve cette hantise particulièrement bien rendue dans le roman de Boris Vian, « J’irai cracher sur vos tombes », histoire d’un « nègre blanc » (c’est-à-dire un métis non pigmenté et non crépu) qui pour venger son frère lynché dans les années cinquante, décide de séduire des blanches et leur dire qu’il est noir avant de les tuer.
Le cas des juifs est encore plus complexe, mais va dans le même sens de mâle dominant/ mâle dominé. La Bible regorge d’histoire de rois convoitant les femmes des autres, éradiquant les peuplades alentours à coup de masse, de trompettes, de mâchoire d’âne ou de fronde. Salomon ne se contente pas de ses concubines se goinfre la Reine de Saba pour bien montrer qu’il en a ! Ensuite arrive la destruction du Temple et l’exil, mais la suprématie persiste encore un peu, comme avec Dhou Nawas, le roi juif et blond du Yémen qui, vers l’an 530, éradique chrétiens et arabes, juste avant l’arrivée de l’islam. Vient ensuite la longue période sombre allant du Moyen-âge à la chute du Troisième Reich avec les humiliations, l’Inquisition, les pogroms et le profil bas. Surgit enfin Israël et le « peuple fier et dominateur » de Charles de Gaulle. La meilleure illustration de ces deux types de juifs peut se résumer en deux rôles de cinéma ; Celui tenu par Charles Aznavour, dans Le Tambour, adapté du chef-d’œuvre de Günter Grass où l’acteur interprète le personnage d’un brave type craintif, soumis et résigné et d’autre part dans le personnage de Karbaoui, interprété par Roger Hanin dans Le Sucre de Georges Conchon. Hanin, est un dominateur plein de tchatche et d’esbroufe, un spéculateur sur le sucre opérant sur les marchés. Et quand il déboutonne sa chemise à la Bourse du Commerce en clamant : « Suivez Karbaoui, Karbaoui s’expose ! », il montre à tous qu’il est le Salomon ou le David du sucre. Voilà donc deux personnages de juifs diamétralement opposés en apparence, mais reflets de deux époques bien différentes. Le Tambour se déroule pendant la montée du nazisme à Dantzig, Le Sucre se passe en France dans les années 70.
Le même désir dominateur vantard à forte connotation sexuelle se retrouve au sein des bandes de jeunes noirs et de jeunes juifs qui s’affrontent, surtout du regard, autour des Buttes-Chaumont, avec le même état d’esprit de montrer à l’autre qui possède la plus longue et la plus active, en se servant bien-sûr du conflit du Proche-Orient comme d’un alibi facile et factice pour masquer le désir de domination sexuelle d’un gang sur un autre.
Un type similaire de raisonnement se perçoit dans les conflits des Grands Lacs, guerre civiles du Rwanda et du Burundi étendues à l’est du Congo. Grossièrement, deux types de sociétés s’opposent, se détestent et s’affrontent : d’une part les éleveurs, souvent nomades et belliqueux et d’autre part les cultivateurs sédentaires et craintifs. Les Tutsi, dominateurs ont pu tuer, massacrer et piller, mais ils mutilaient rarement, du moins au début (l’occasion fait le larron). Par contre les Hutus, puis les Bantous du Congo, violèrent, coupèrent nez (symbole sexuel par excellence), mains et pieds de leurs ennemis, comme pour les humilier et les castrer doublement avant de les massacrer. Exception, cependant, un président Hutu du Burundi, Melchior Ndadayé qui finit d’ailleurs en morceaux, sans ses proéminences, dans un réfrigérateur de la brasserie de Bujumbura. Plus que la vengeance culturelle, économique ou ethnique, il s’agit dans ces conflits de symboliser une revanche d’ordre sexuelle dans sa composante dominant/dominé. On se souviendra des sinistres « manches longues, manches courtes » de Sierra Leone où les rebelles tiraient au sort ce qu’ils allaient couper.
Le cas des Français, est mixte oscillant en permanence entre les deux options. Entre « Ils viennent manger le pain des Français » où le pain peut être autre chose qu’une nourriture terrestre mais une représentation des « miches » de nos femelles et « Que leur sang impur abreuve nos sillons », le Français a en permanence hésité à faire un choix entre ces pôles extrêmes. Le vrai racisme dominateur français est en fin de compte assez rare. Paradoxalement, il s’est manifesté de bonne foi si ce n’est de bon aloi, dans l’élan civilisateur de la colonisation ! Car même l’affaire Dreyfus est d’abord dirigée contre l’Allemagne menaçante des Prussiens à nos frontières, stigmatisée par les chansons de Déroulède. Le fait que Dreyfus ait été juif, n’a fait qu’aggraver son cas, la cause première de l’affaire étant tout de même la peur de la trahison et de l’invasion teutonne.
Par contre, le côté plaintif, geignard, mal dans sa peau se retrouve bien plus souvent en France dans des revendications pour ne pas perdre ce que nous avons acquis. En revanche, certains descendants d’émigrés maghrébins de la troisième génération exhibent souvent un esprit vengeur que l’on entend dans le langage quotidien du rap et du slam. La confrontation entre pleurnichards et arrogants imbus n’ayant que leur supposée puissance sexuelle pour exister ne peut être qu’explosive dans un pays miné par le chômage et le sous-emploi.
L’Italie de Berlusconi est encore plus caricaturale car les confrontations surviennent dans un pays à la fois machiste mais aussi peu guerrier. Quand l’esbroufe se voit confrontée à une « invasion » d’émigrés récente et inhabituelle pour les Italiens, surtout dan le sud, devenu plus raciste que du temps de Mussolini, le chaos n’est pas loin. Plus un peuple est sexiste, joue sur sa virilité et plus il a du mal à accepter la sexualité des autres. Et le fantasme du viol commis obligatoirement par l’étranger apparait. Des cas de « Dupont la Joie » ont été rapportés dans le sud agricole de l’Espagne avec pour conséquence, la traque des Marocains et d’autres cas similaires en Italie concernant des Roms.
Les Blancs protestants américains qui présentent un prolongement de leur pénis au travers du deuxième amendement sur le libre port d’arme à feu sont à fond dans cette problématique d’ordre sexuel. Ceux qui considèrent leur pays envahi par des hordes de noirs, de Latinos, de Coréens et d’Arabes ne sont que les avatars de ceux qui ont peur d’être dominés. Quant à l’attachement à la pureté de la race, il ne s’agit en fait que d’une manière édulcorée de dire sa peur d’être cocu. Car quand il s’agit de sauter les femmes des autres, il n’est plus question de race ou de religion, mais de domination et de satisfaction des sens. Ceux qui auront lu Adler, pas Laure, mais le disciple dissident de Freud penseront immédiatement à la volonté de puissance pour expliquer le racisme. Il y aurait donc un racisme agressif et un autre défensif. Et peu importe que l’envahisseur soit fantasmé ou réel, l’important se vivant au niveau du ressenti. Certes, mais entre le désir de dominer et la crainte de l’être, la sexualité n’est pas loin.
Pour conclure, toutes ces histoires de racisme pourraient très bien se résumer dans le titre d’un film à venir : « Jason Burne, ou la vengeance dans la couille ! »