L’art conceptuel entre laideur et insignifiance

Vous n’allez lire qu’une opinion personnelle, la mienne, sur un thème devenu assez classique et plus facile à comprendre que la mécanique quantique, d’autant plus que je ne fais pas dans la subtilité en proposant un avis tranché, sans nuances. Bref, à l’image de la faune du Net qui elle aussi, ne connaît pas les contrastes et fait office de métaphore conceptuelle en pissant du commentaire.
C’était dans les années 1990, années de mutations. Quoique, on se demande si depuis plus d’un siècle, chaque décennie ne s’accompagne pas d’un cortège de mutations, autant dans les techniques qu’au niveau de comportements et des cultures du quotidien. Et bien évidemment, les expressions artistiques évoluent de concert avec la société. De concert ou de connivence ? D’après Heidegger, lorsqu’un genre artistique émerge, un peuple entre dans une vocation historique, accomplissant un dessein, une révélation. Bon, laissons ces énigmes de la parousie pour ici évoquer ces années 1990 où se sont affrontés laudateurs et contempteurs de l’art qu’on disait conceptuel et qui maintenant, est devenu une institution pour ne pas dire une convention, une habitude et surtout un prétexte à faire quelques profits sur le marché de l’art ou alors, si l’artiste possède un bon carnet d’adresse, ce sera l’argent public qui sera versé avec comme prétexte une commande d’Etat ou alors d’une collectivité locale. Cet art dit conceptuel voire contemporain a donc été le prétexte pour une controverse qui comme souvent, fut passionnée et même violente dans le verbe. Un certain Baudrillard aurait tiré le premier en dénonçant dans une tribune assez confuse le snobisme, la spéculation, la collectionnite, le snobisme, l’élitisme et tout un ensemble de « travers » suspectés d’accompagner les pratiques de l’art conceptuel. Ce qui fit réagir Philippe Dagen qui prit prétexte de la charge de Baudrillard pour dénoncer la haine de l’art. Y voir un remake de la fameuse querelle des anciens et modernes de 1700 serait trompeur car la querelle de l’art contemporain est aussi une controverse entre classes sociales, pour ne pas dire entre l’art des élites et un art plus authentique. Ou entre un art réservé aux riches et un art plus populaire. Bref, les débats ont été assez confus, mélangeant allègrement les critères herméneutiques, esthétiques et idéologiques. Une requête sur le Net montre que cette querelle ne s’est pas éteinte. Ce qui laisse supposer que tant qu’il y aura de l’art contemporain, il y aura des mécontemporains, des gens indifférents, des acquéreurs en mal d’investissement, des collectionneurs snob et bien entendu des intellectuels pour débattre de ces choses. Qui au fond, méritent plus d’attention que l’obsession qui court autour de Depardieu ou Cahuzac.
Peut-être faut-il questionner cet art en revenant aux fondamentaux, c’est-à-dire en essayant de faire parler les œuvres, de leur faire avouer le message qu’elles nous adressent et bien entendu d’exprimer le ressenti, l’émotion qui s’en dégage si c’est le cas, où bien l’absence, le sentiment de vide ou enfin les jugements de goût. En prenant notamment en considération le caractère assez hétéroclite du genre si bien que cet art conceptuel peut difficilement entrer dans une catégorisation limitée ni faire l’objet de généralités sans écraser les diversités. Pourtant, il faut bien se lancer et pour ma part, je serais enclin à considérer que l’art conceptuel est souvent laid et qu’il s’associe assez bien avec la laideur du monde contemporain hyper moderne.
Je me rappelle d’une anecdote. Une exposition à Nice et le lendemain, les journaux nous apprennent qu’une œuvre d’art avait disparu. En fait, ce sont les femmes de ménage (on dit techniciennes de surface en novlangue contemporaine) qui l’ont mise à la poubelle, croyant avoir affaire à un tas de détritus. C’est finalement une évocation de l’art conceptuel comme représentation des déchets produits par l’homme. Tout est marchandise dit l’économiste, tout se prête à une représentation dit l’artiste conceptuel. Voici quelques années, je flânais dans le CAPC en ouverture libre ce jour là. Ce prestigieux musée bordelais accueillait plusieurs artistes. Dans l’une des salles, des chaudrons en fonte étaient alignés, chacun rempli par quelques kilos de gravas. Au mur, un intitulé que je n’ai pas retenu mais qui visiblement signalait l’œuvre ainsi que son concepteur. Mon avis sur le moment : sans intérêt, limite foutage de gueule. Je crois me souvenir que bien des salles étaient occupées par des morceaux de matériau grossièrement agencés et faisant figure d’œuvre d’art. Comme du reste les controversées colonnes de Buren, symbole emblématique du socialisme mitterrandien perdu dans le fantasme des grands travaux présidentiels et des petits caprices de Jack. Pas plus tard qu’en cette fin d’année 2012, la place Pey-Berland a accueilli une statue payée 500 000 euros représentant Chaban-Delmas. Cette sculpture très contemporaine, je l’ai trouvée très moche. Comme du reste des tas d’autres œuvres plasticiennes en libre accès dans les grandes et moyennes villes. Il faut remplir le vide. Peut-être que cet art conceptuel dévoile le vide des âmes dirigeantes, les errements d’une société égarée, qui faute de repère, se contente de remplissage.
Finalement, je ne sais si c’est le côté moche de l’art contemporain qui se révulse ou bien son aspect artificiel, typique des grandes zones urbaines, plus en phase avec la morne atmosphère des zones périphériques parsemée d’immenses lofts voués au shopping de masse, qu’avec les vieilles pierres des centres-villes chargées d’histoire et que d’improbables plasticiens viennent profaner pour le plaisir des badauds qui viennent aussi faire du shopping. L’art conceptuel a au moins le mérite d’offrir un contraste saisissant permettant de prendre conscience de la valeur sacrée de certaines œuvres passées et même présentes tout en révélant en négatif (supradialectique) la beauté de la nature et des grandes œuvres de peintures, ainsi que les symphonies modernes ou les polyphonies médiévales. Je vais passer pour un bougon lettré de terroir genre Tillinac ou un vieux con antimoderne genre Muray mais je m’en tape. Je goûte le plaisir du beau et le savoure. Les dévots de l’art conceptuel sont parfois des envieux face aux esthètes. Ils sont peut-être des nihilistes tels qu’a pu les décrire un Leo Strauss. L’art conceptuel, humain trop humain aurait dit Nietzsche.
L’autre jour, je visionnais un reportage sur le val d’Europe, cette ville artificielle prévue pour loger les cadres de Disney. Cité nickel, rues propres, places géométriques, répliques factices des célèbres places et monuments des villes européennes, bref, sorte de Las Vegas mais sans le cliquant des lumières et les invitations à la débauche. J’ai eu le sentiment d’un lieu sinistre, inhabitable, sorte de prison dorée en art plastique avec ses logements bien ordonnés et tout à sa place. Bref, un immense cimetière conçu en architecture contemporaine faisant office de cadre de vie pour zombis post-modernes. Dieu merci, nul n’impose de vivre dans ces cimetières dorés. Je me souviens de flâneries dans la ville de Nice, avec ses trottoirs sales et ses boutiques approximatives parcourues par une foule hétéroclite. Bref, un joyeux bordel de gens et de vitrines offrant le sentiment d’une vie foisonnante. Autres lieux que ces chemins de montagne dans le Mercantour, cette incroyable spectacle de rochers et de végétaux, sorte de jardin à la japonaise naturel et surdimensionné façonné sans la main de l’homme, tout comme les couchers de soleil imprévisibles où le sentiment d’ivresse et de liberté se mire dans le silence d’un ciel bientôt étoilé alors que les étranges phosphorescences annoncent le renouveau de la vie et ma foi, que j’aime bien me perdre dans les rêveries universelles plutôt que de m’égarer dans les centres commerciaux ou les musées d’art contemporain.
On l’aura compris, je n’aime pas l’art conceptuel, pas plus que Céline Dion ou Pascal Obispo. C’est une question de goût mais plus que cela, car l’art n’est jamais dissocié d’une culture et d’une idéologie, du moins à l’époque moderne. L’art classique fixe l’esthète et l’amène vers un éclat de conscience. Dans l’art conceptuel, je vois plutôt une sorte de jeu et qui dit jeu dit manipulation. L’artiste se sert des spectateurs pour son intérêt personnel. Il se plaît à voir le microcosme ou alors les masses graviter autour de son ego. En ce sens, l’art contemporain est complice du marché avec lequel il partage le même principe, celui d’instrumentaliser les individus. Mais c’est surtout la laideur de l’art conceptuel ou son insignifiance qui me détourne et me permet de prendre conscience du ravissement qu’on peut prendre en arpentant quelques chemins de forêt ou mieux encore, quelques coins secrets et sauvages dans le bassin d’Arcachon. Quand je me balade dans le Réolais, là aussi, je goûte ces paysages de terroir et j’apprécie cette nature sauvage ou parfois aménagée avec un goût de France du terroir qui vaut plus que toutes les œuvres des musées modernes. Œuvres qui parfois font figure de fausse monnaie. Il suffit qu’un artiste coté peigne une croûte et signe pour que son œuvre prenne la forme d’un gros billet de banque valant 10 000 euros.
Je me fous d’être considéré comme conservateur. Je refuse d’être moderniste sur commande, avant-gardiste par posture, à la mode ou au goût du jour pour me fondre dans l’opinion. La conscience éveillée s’affranchit des contingences matérielles et des caprices du temps à l’ère hyper moderne. J’aime Botticelli et Opeth, Vivaldi et Dali, le rock progressif et les cathédrales, les fossiles d’ammonites et les platanes du canal latéral à la Garonne. J’aime planer avec en fond sonore quelques notes de mellotron.
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