Apprendre pour un gosse, c’est pénible, c’est rébarbatif, en deux mots c’est chiant. Pour un ou une adolescente, la contrainte est encore pire vu l’antagonisme entre l’acquisition du savoir et les plaisirs de cet âge. En dehors de quelques intravertis, timides et mal dans leur peau, aucun gamin n’aime l’étude. Et même pour ces cas, si apprendre peut être supportable, leur manque de sociabilité transforme l’école en calvaire. Certains y vont sans pleurer et sans rechigner, non par satisfaction de la connaissance et de l’apprentissage, mais uniquement à cause des copains. Les méthodes dites ludiques, d’apprendre en s’amusant sans effort et sans punition, sont des escroqueries intellectuelles incapables de donner des résultats probants.
Dans le primaire, et quelque soit l’époque, l’enfant a toujours préféré le jeu à l’étude et la récréation aux devoirs. De nos jours, seule la nature des jeux a changé. On ne joue plus aux billes, à Thierry la Fronde, ni même aux Pokémons ou à Goldorak. La nature des amusements évolue au fil des modes, mais le but de chaque enfant dans sa vie débutante, c’est le jeu. Chez l’adolescent intervient en plus l’appartenance à un groupe, à une bande de copains, sur laquelle s’agrège les premiers émois sensuels, les SMS, le téléphone, la musique et les jeux vidéo. Si l’on ajoute à cela l’indispensable opposition au monde des adultes pour se créer sa propre personnalité, l’adolescent ne peut éprouver qu’un intérêt limité au collège et au lycée qu’il considère plus comme un lieu de rencontre, de drague et de socialisation que comme un lieu d’études. Si on laissait le choix absolu entre l’apprentissage du calcul, du subjonctif, de la trigonométrie ou de la langue anglaise et les distractions qui font la joie quotidienne des élèves, une immense majorité choisirait les distractions. Les plus raisonnables se mettent à l’étude uniquement par fatalisme en se disant qu’il faut bien passer par là.
C’est donc aux parents et aux enseignants de les forcer à apprendre, certes en leur expliquant avec insistance la nécessité des études et ce qu’elles peuvent apporter une fois adulte, mais en les obligeant. L’éducation est une contrainte pénible et nécessaire, pour ne pas dire indispensable pour tous. On apprend la main forcée, à coup de sanctions et de récompenses, d’encouragements et de menaces. L’étude est une astreinte pénible. Toute tentative d’éducation sans coercition est un leurre. Un gosse qui à six ans récite spontanément dans son coin les tables de multiplication ou veut qu’on lui raconte tous les soirs la mort de Louis XVI ou, c’est à la mode de nos jours, les conséquences de l’esclavage et du colonialisme, est un grand névrosé qui à besoin d’un pédopsychiatre. Un gamin préfèrera toujours les jouets, le foot et les poupées à un livre de calcul ou de grammaire.
On ne peut apprendre que lorsqu’un adulte vous y oblige, évalue vos défauts et vos progrès, vous empêche de vous divertir ou du moins limite les temps de jeu. L’éducation nationale et la plupart des parents actuels marchent sur la tête quand ils croient à l’apprentissage des connaissances en s’amusant. Certes on peut apprendre à compter et l’alphabet quand on est tout petit avec des images d’animaux et des grosses lettres. Mais cela n’a qu’un temps ; les divisions, l’introduction des décimales, la conjugaison du verbe croire, croitre, s’émouvoir et plaindre, le subjonctif, le plus-que-parfait et l’histoire chronologique, c’est loin d’être une partie de plaisir. Et revenons enfin à l’histoire chronologique, remplacée désormais par l’histoire par thème qui fait que quasiment aucun enfant n’est capable de classer dans le temps Vercingétorix, Charles Martel, Jeanne d’ Arc, Louis XIV et Napoléon. Sans oublier que certains enseignants veulent tout bonnement supprimer ces personnages de nos cours d’histoire, pour ne pas créer de conflits inutiles avec des élèves d’origine non autochtone. Car en dehors du fait que la reconnaissance des dates et des événements permet de créer un tronc commun culturel à une nation, elle entretien aussi la mémoire de fixation. La chronologie permet aussi la réflexion, par effet puzzle, de reconstituer une suite de faits et d’en comprendre le déroulement et les conséquences. Les méthodes ludiques sont doublement une aberration de par avant tout de leur inefficacité, mais aussi parce qu’une pédagogie coercitive, on pourrait dire spartiate, forge le caractère et crée un désir de revanche quand viendra son temps. Quel est l’enfant qui n’a pas ruminé dans son coin, un « c’est pas juste ! » ou un « vous verrez quand je serai grand ! », sous-entendant « vous ne me ferez pas chier éternellement ». Pour devenir un adulte responsable, il faut avoir été intelligemment frustré dans sa jeunesse. Celui qui reçoit tout, tout de suite, sans effort et contrepartie devient un enfant gâté incapable de résister aux frustrations du monde adulte, c’est-à-dire du travail. C’est parce que son père l’a forcé à jouer du piano et lui a donné une éducation stricte à l’ancienne, que Serge Gainsbourg a pu commettre toutes ses provocations à l’âge adulte avec plus de brio qu’un rappeur de banlieue. Même en rejetant les châtiments corporels, il faut punir et contraindre pour éduquer.
L’enfant peut souffrir d’un enseignant sadique et méprisant, mais il n’apprendra jamais rien d’un enseignant démissionnaire, jouant au copain, cédant aux caprices ou pire ayant peur de ses élèves. Une forte personnalité se forge par la confrontation, par le désir de vaincre, d’être le plus fort, d’être le meilleur. En supprimant les notes, les classements on annihile la notion d’effort et de compétition. L’enfant n’aime pas étudier à de rares exceptions, mais l’aspiration à être plus fort que les autres est une incitation qui peut porter ses fruits. En supprimant la notation, le classement, on lui enlève le désir d’apprendre.
Jadis, il existait certes une école à deux vitesses avec ses bons et ses mauvais élèves, mais grossièrement cela se passait dans la même école, sauf dans quelques boites à bachotage réservée aux cancres fils de riches. De nos jours, on trouve des établissements d’élite et des mouroirs de l’intelligence réservés aux basses classes sociales.
La vie n’est ni un conte de fée, ni un épisode des Bisounours. Et sauf s’il est complètement débile ou que ses parents sont encore plus cons que lui, un enfant normal comprend très bien que le monde n’est pas pavé de bonnes intentions, qu’il faut étudier pour s’en tirer et que cela ne suffira peut-être pas face aux inégalités, au trafic d’influences et aux passe-droits. Il doit être informé qu’à de rares exceptions d’abrutis qui ont réussi à faire carrière et à gagner beaucoup tout en étant inculte, l’éducation est une condition nécessaire, hélas non suffisante pour réussir. Pour un Johnny Hallyday, un Nicolas Anelka et un Djamel Debbouze qui sont devenus riches malgré leur inculture crasse, il y a des milliers, des centaines de milliers de jeunes qui restent sur le carreau du chômage, du sous-emploi et des petits boulots à cause de l’éducation déficiente qu’ils ont reçu. Les parents laxistes et les enseignants irresponsables sont en train de tuer toute possibilité de promotion de l’individu par le savoir et ils croient aimer les enfants et les jeunes en agissant ainsi. En fait, ils les envoient droit dans le mur et sans airbag ou ceinture de sécurité.
Le bene amat bene castigat des Romains avait le mérite de faire des adultes responsables. Cela peut se traduire par « vous allez sérieusement en chier avec moi, c’est pour votre bien et vous n’avez même pas besoin de dire merci », asséné par un père ou un enseignant à sa progéniture ou à sa classe. Si l’on veut faire de ses gosses des rebelles éduqués et non des moutons incultes, il faut les emmerder à bon escient. Quant à l’éducation civique et morale, elle avait pour but de définir les règles du vivre en société et permettait à l’enfant d’apprendre à enfreindre ces règles en risquant des sanctions, c’est-à-dire en développant son libre arbitre. On ne s’oppose pas au néant. Ce qu’on appelait autrefois la crise de l’adolescence évoluait naturellement sur l’âge adulte à cause de l’affrontement avec les parents et les enseignants. Tout cela ne concerne plus qu’une petite classe d’enfants de notables et de privilégiés. L’école républicaine a terriblement failli, les parents « modernes » aussi. La vocation d’un enfant de six ans n’est pas de devenir un déchet humain à l’âge adulte, s’il le devient s’est avant tout la responsabilité de ses parents et de l’éducation nationale.
PS : Toute ma scolarité primaire, j’ai été le premier de ma classe et pourtant, je haïssais l’école. Aujourd’hui encore j’en ai un bien mauvais souvenir bien que j’aie compris à la longue son utilité, mais elle m’a été profitable et bénéfique. On m’a aussi appris la politesse et le subjonctif, ce qui m’a incité à utiliser à bon escient l’argot, les obscénités et les insultes dès que j’ai pu prendre le pouvoir dans ma tête. Je pense cependant ne m’en être pas si mal tiré socialement et intellectuellement.