L’habitat participatif est-il une solution d’avenir pour le logement ?
Sur le papier, l’habitat participatif a tout pour plaire. Dans les faits, le concept peine à décoller, cantonné à quelques opérations d’initiés. Étonnant lorsqu’on songe aux nombreux avantages qu’il recèle. Où en est l’habitat participatif en France ? Que lui manque-t-il pour prendre son envol ? Décryptage.
Qu’est-ce que l’habitat participatif ?
Le concept repose sur deux principes essentiels :
- Le regroupement de personnes
Habitat groupé, habitat coopératif, cohabitat, autopromotion… Peu importe le nom qu’on lui donne, le principe est toujours le même. Plusieurs personnes se regroupent en vue de créer un projet immobilier commun. Ces mêmes personnes mutualisent leurs moyens afin de créer un habitat sur-mesure, au sein duquel logements privatifs et espaces communs coexistent en parfaite harmonie.
Si chacun dispose de son propre logement, la différence se fait au niveau des espaces mutualisés car c’est bien là toute la beauté de l’habitat participatif. Ces espaces peuvent prendre les formes les plus diverses en fonction des envies et des besoins de la petite communauté. Jardin, buanderie, atelier de bricolage, espace de jeux pour les enfants, salle polyvalente, terrasse, espace de coworking, salle de sport, chambre ou studio de passage pour les invités… Les possibilités créatives semblent infinies.
- Le partage de valeurs communes
Les personnes intéressées par le concept partagent souvent les mêmes valeurs : entraide, solidarité, bienveillance ou tout simplement le désir de vivre plus sainement. La recherche d’un modèle de société plus humain, moins individualiste et plus respectueux de l’environnement est un moteur puissant.
Est-il complexe de monter un projet d’habitat participatif ?
Avant de répondre à cette question, il convient de comprendre comment se monte un projet.
On peut décider de réhabiliter un logement ancien, tel qu’une ferme, un château, une usine désaffectée, voire un petit hameau. On peut aussi partir d’une feuille vierge en se mettant en quête d’un terrain sur lequel un ou plusieurs bâtiments seront édifiés.
À ce stade, il trois possibilités de concrétiser un projet :
- L’autopromotion sans assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO)
Le principe consiste à se substituer au métier de promoteur, ce qui implique de s’occuper de tous les aspects techniques, juridiques, financiers, administratifs, etc. Des trois possibilités dont il est question ici, celle-ci est sans conteste la moins attractive tant les règles d’urbanisme brillent par leur complexité.
- L’autopromotion accompagnée (avec AMO)
Les porteurs de projet s’appuient sur une expertise externe pour avancer un peu plus sereinement.
- La promotion déléguée
Le montage du projet s’appuie sur l’expertise d’un promoteur. Cette solution, parfaitement encadrée, offre une sécurité sans équivalent.
Si l’habitat participatif ressemble le plus souvent à un parcours du combattant, précisons que la majorité des projets emprunte la voie de l’autopromotion sans AMO. Les raisons ? Une aversion envers le métier de promoteur et la recherche, illusoire, d’économies.
Le hic, c’est que le métier de promoteur ne s’improvise pas. Résultat : une écrasante majorité de projets échoue à voir le jour, le découragement finissant par l’emporter sur l’enthousiasme initial.
L’autopromotion accompagnée ou la promotion déléguée règlent en partie ce problème, mais se heurtent à un autre problème de taille : le manque d’acteurs, d’envergure nationale, à l’aise avec le concept d’habitat participatif.
Où en est l’habitat participatif en France et chez nos voisins ?
Marginal et anecdotique sont les adjectifs décrivant le mieux la situation de l’habitat participatif en France.
Camille Devaux, professeure spécialisée en aménagement et urbanisme à l’université de Caen, avance trois pistes révélant pourquoi la sauce a du mal à prendre en France :
- La forte implication de l’État et des collectivités locales dans la production de logement ;
- L’attachement culturel des Français à la propriété ;
- La mentalité française, assez individualiste par nature.
Certes, la loi ALUR (2014) a offert un cadre juridique à l’habitat participatif permettant de sécuriser juridiquement et financièrement les membres de la communauté. Pour autant, l’essor de ce type de projet reste négligeable en raison des freins culturels et sociaux.
Quid du concept chez nos voisins ?
Peu développé en France, l’habitat participatif représente environ 5% du parc immobilier en Suisse (20 % à Zurich) et 15% en Norvège (40 % à Oslo), tout comme en Suède. Si ces données sont déjà remarquables en soi, c’est en Allemagne que les chiffres impressionnent le plus : 1 logement sur 2 relève de l’habitat participatif. Avec une pointe à 80% dans la seule ville de Tübingen, à 40 km au sud de Stuttgart !
Quels sont les atouts de l’habitat participatif ?
Ils sont multiples :
- Le luxe de concevoir un habitat sur-mesure, en choisissant ses futurs voisins ;
- Un cadre de vie qualitatif grâce aux nombreux aménagements annexes ;
- Pouvoir compter sur ses voisins à chaque instant ;
- Une mixité intergénérationnelle, sociale, créant des liens forts entre chaque résident ;
- L’accès au logement pour certaines personnes exclues des circuits d’acquisition traditionnels ;
- Redynamiser les territoires désertés ;
- Lutter contre l’étalement urbain en favorisant le regroupement de personnes au lieu de multiplier les initiatives individuelles ;
- Favoriser des habitats écoresponsables afin de préserver l’environnement.
Quel est le principal inconvénient de l’habitat participatif ?
Le frein le plus important est d’ordre psychologique. Pour beaucoup, l’habitat participatif se résume à une joyeuse communauté de hippies sur le retour. Rien n’est plus faux, mais les clichés ont la vie dure et se nourrissent probablement du fait que les rares initiatives sont, jusqu’à présent, l’apanage du tissu associatif. Or, le grand public observe la déduction suivante :
Habitat participatif = associations = artisanal = marginal = public de hippies… C’est là tout le cœur du problème… et toute la contradiction des porteurs de projets. S’ils vouent un désamour insensé envers les promoteurs immobiliers, ils sont finalement conscients des limites posées par la prise en charge associative de leurs projets. Faites sauter ce verrou mental et l’habitat participatif français n’aura plus rien à envier à ses voisins suisses ou allemands.
Que manque-t-il à l’habitat participatif pour décoller en France ?
Si l’habitat participatif intéresse de plus en plus de monde, médias inclus, son explosion au plus haut niveau dépend de la résolution de 4 problématiques tenaces :
- L’absence d’acteurs majeurs au niveau national
Une multitude d’acteurs gravitent autour de l’habitat participatif, la plupart étant issus du secteur associatif. Un gage de valeur pour une poignée de porteurs de projets, une source de méfiance pour l’immense majorité.
La solution ? L’essor de nouveaux acteurs majeurs au niveau national, s’ouvrant à de nouveaux publics permettrait sans doute de créer un engouement massif autour de l’habitat participatif.
- La complexité du montage de projet
L’habitat participatif ne pourra pas se développer tant que la phase de conception des projets demeurera aussi complexe. Les possibilités offertes par l’habitat participatif sont nombreuses, trop nombreuses. Qu’est-ce qui est préférable ? La conception théorique d’un habitat idyllique sous tous rapports, avec de nombreux projets qui ne voient jamais le jour, ou des possibilités moins nombreuses et 100 % des projets qui aboutissent ?
Simplifier la conception des projets passe sans doute par une offre plus restreinte en termes de solutions, sans pour autant renier l’essence même du concept.
- L’absence de soutien de la part de l’État
Sans le soutien de l’État pour faire connaître le concept au plus grand nombre, peu de monde s’y intéressera. Tout simplement parce que le grand public ne se doute même pas de l’existence du concept d’habitat participatif.
C’est d’autant plus regrettable que de plus en plus d’élus locaux sont demandeurs de ce type de projet, l’objectif étant d’offrir aux habitants un cadre de vie plus qualitatif et plus durable.
L’absence de promoteurs impliqués dans l’habitat participatif
Il est impossible de miser sur le développement à grande échelle de l’habitat participatif sans l’implication des promoteurs. Ils possèdent le savoir-faire constructif en plus d’avoir une fine connaissance du terrain national et régional. Tout dépend d’eux. S’ils donnaient l’élan qui fait cruellement défaut à l’habitat participatif, l’État ne pourrait pas rester un simple spectateur, passif.
Malheureusement, l’offre des promoteurs dans le domaine de l’habitat participatif est encore timide. L’absence du grand public ne les encourage pas à se jeter à l’eau, réalité économique oblige. L’un d’eux, Icade, vient cependant de lancer une solution innovante d’habitat participatif, l’Appart’ici’pation. C’est un premier pas encourageant.
Dans les grandes lignes, cette solution semble gommer les principaux inconvénients propres à l’habitat participatif, à savoir :
- La complexité du montage de projet, tout étant orchestré par le promoteur ;
- L’aboutissement des projets puisque l’achat se fait sous le statut classique de VEFA, garantissant prix et délais ;
- Les options de personnalisation demeurent, les résidents participant à la conception de leur logement et intervenant sur les destinations des espaces communs.
Un premier projet est en cours à Châtenay-Malabry (92), dans l’écoquartier de La Vallée. Fait notable, le promoteur se targue de commercialiser les logements participatifs au même prix qu’un logement classique, dans le même secteur. Si une solution d’habitat participatif, viable et encadrée, ne revient pas plus cher dans le Grand Paris, on peut en déduire que cette perspective est envisageable à l’échelle du territoire.
Cette initiative est à souligner car c’est, peut-être, celle qui va changer la donne.
Conclusion
S’il parvient à séduire au-delà d’un cercle d’initiés, à se simplifier et à mieux se structurer, nul doute que l’habitat participatif pourra se développer auprès du grand public.
Une certitude, les promoteurs et l’État doivent faire preuve de pédagogie et de patience afin de démontrer l’intérêt du concept. La perspective de logements plus qualitatifs et d’une vie de quartier plus agréable, sans conflits de voisinage, sans triste anonymat, devrait être l’étincelle qui met le feu aux poudres. Alors, et seulement alors, la France pourra espérer y puiser une solution d’avenir et rattraper ses pionniers de voisins. Chiche ?
Laurent CRIADO
Site internet : leguideimmobilier.com
Cet article peut volontiers être repris, sans coupures, pour informer le plus de monde possible. La photo illustrant l’article doit rester la même. Le nom de l’auteur doit figurer distinctement en début d’article, un lien doit renvoyer sur la page Agoravox de l’article. Merci à toutes et à tous.
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