Le Progrès contre les femmes
Le mouvement moderne de libération que nous célébrons lors de la "journée des femmes" n'est qu'un rattrapage à la suite d'une immense régression, celle du 19ème siècle. Contre la vision d'un Progrès linéaire de la condition féminine, inspiré du marxisme, une autre lecture de l'Histoire est possible. Elle montre ainsi que la Révolution française représente une catastrophe pour le statut politique de la femme, que la gauche s'est opposée au vote des femmes et que l'époque contemporaine voit apparaître de nouvelles formes de souffrances féminines, qui n'avaient jamais existé auparavant.

Le XIXe siècle, âge d'or du "Progrès", est le siècle noir de la condition féminine. Jamais avant, jamais après, jamais ailleurs qu'en Occident, et au XIXe siècle, la femme n'a été traitée aussi mal. Corsetée, gantée, ficelée dans ses robes qui lui déforment le corps, embourgeoisée, infantilisée, écartée de la vie publique, privée de droits politiques par l’État, prisonnière dans la maison de son mari lorsqu'elle est riche ou cantonnée aux métiers les plus pénibles quand elle est pauvre, la femme est la première victime du Progrès (considéré ici commme la croyance en un mouvement général, universel et nécessaire vers le mieux).
Dans Le monde d'hier, Stephan Zweig raconte qu'à Vienne avant la première guerre mondiale, patrie de Freud et de ses complexes, les hommes ne savaient pas, avant leur mariage, si leur femme était corpulente ou mince, petite ou grande, blonde ou brune, tant la mode féminine avait pour mission d'enfermer et de cacher les corps. La redoutable « Baronne Staffe » (qui n'était ni baronne, ni Staffe), dans ses Usages du Monde, Règles du savoir-vivre dans la société moderne , bible des convenances bourgeoises, commande à la femme de sacrifier son bonheur à celui de son mari et de ses enfants.
Les maris, il est vrai, n'étaient pas beaucoup mieux lotis. Ces messieurs les bourgeois, désormais vêtus de noir comme des pasteurs puritains, portent le deuil de l'élégance masculine et de la galanterie des anciens temps. Les femmes ont donc été les premières à devoir payer, sur le champ, la « rançon du Progrès ».
Les droits de la moitié de l'homme
Politiquement, le sort de la femme est scellé dés 1789. La Révolution française, proclamant les droits de l'homme abstrait et sans doute asexué, organise aussitôt la mise sous tutelle politique des femmes, en leur retirant expressément le droit de vote, alors qu'elles l'exerçaient, dans certaines circonstances, sous l'Ancien régime. On prévoit que la « citoyenneté active » est réservée aux hommes adultes. Les femmes, les enfants et les étrangers sont considérés comme des « citoyens passifs ».
Tous les révolutionnaires, à l'exception notable de Condorcet, acceptent ce déni, s'ils n'y applaudissent pas. Seule, la courageuse Olympe de Gouges (elle demanda par ailleurs à défendre Marie-Antoinette lors de son procès) osa se révolter, avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, aujourd'hui redécouverte, mais longtemps occultée, pastiche acide de la Déclaration des droits de l'homme :
« Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements... »
Une telle insolence lui valut la guillotine et les insultes d'un certain Chaumette, dit Anaxagoras pour faire antique, procureur de la commune de Paris, qui reflètent bien le point de vue des sans-culottes sur les femmes :
« Rappelez vous cette virago, cette femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer (sic) et commit des crimes. (...) Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »
Il s'agit bien là d'un parfait exemple de pseudo « vertu domestique » gréco-romaine, imposée aux femmes via la conception rousseauiste, et application sexiste du dictatorial « on le forcera d'être libre » du Contrat social. Il n'y aurait donc pas, à tout le moins, de Progrès nécessaire, général et universel pour la moitié de l'Humanité. Mais l'idée d'une émancipation irrésistible de la femme au cours des siècles, notamment en France, pourtant totalement remise en cause par les travaux de Régine Pernoud et de bien d'autres, a la vie dure. Le statut de la femme dans la société chrétienne du XVe siècle est infiniment supérieur, d'une part à celui de l'Antiquité, d'autre part à celui du XIXe. Il commence d'ailleurs à s'éroder dés la Renaissance, sous l'influence du droit romain, mais l'effondrement date de la Révolution. Le christianisme est un progrès indéniable par rapport aux deux traditions dont il est issu. Contre la tradition d'Israël (et celle de tous les peuples sémites) il refuse la polygamie. Contre la tradition gréco-romaine, il impose le consentement dans le mariage et interdit les relations sexuelles non-consenties.
La philosophie des Lumières du XVIIIe siècle était le produit de cerveaux essentiellement masculins. Comme tous les systèmes philosophiques d'Occident, depuis toujours, nous dira-t-on ; les Lumières ne sont que des « dead white males » comme les autres. Mais ceux-ci ont la prétention, comme jamais auparavant, de faire le bonheur de l'Humanité, femmes comprises, de définir le Progrès universel, général. Ils veulent changer la vie et réécrire nos histoires personnelles. Le XIXe siècle allait réaliser sur tous les points le programme des Lumières et imposer à tous les niveaux un pouvoir exclusivement masculin : libérer l'homme, sans libérer la femme. Celle-ci est très légalement réduite au statut de mineur permanent. Les femmes sont exclues des affaires publiques et n'y jouent aucun rôle, sauf lorsqu'elles incarnent symboliquement les valeurs familiales, comme la reine Victoria, ou lorsqu'elles savent influencer les hommes dans leurs salons littéraires et politiques (ce qui n'est pas négligeable). Mais le pouvoir concret leur échappe.
Au Moyen-âge et sous la Renaissance, les femmes chef d’État, titulaires d'un fief important, Reines ou régentes, ne sont pas majoritaires, mais elles sont infiniment plus nombreuses que les femmes de pouvoir au siècle du Progrès. Jusqu'à la Révolution, l'abbesse de Fontevraud, près de Saumur, dirigeait un ensemble monastique immense, comportant des communautés d'hommes et de femmes. Une telle situation de pouvoir d'une femme sur les hommes, assez fréquente dans les sociétés féodales ou monarchiques, est inconcevable au XIXe siècle. Sur le plan économique, la régression est toute aussi évidente. Dans la société rurale et paysanne, les femmes ont toujours travaillé, les tâches étant réparties en fonction de la force physique de chacun. La transformation et la conservation de la nourriture revêt une importance primordiale, dont les femmes sont souvent chargées. La cellule familiale peut y être comparée, sans craindre l'anachronisme, à une sorte de PME agroalimentaire, très souvent dirigée par des femmes, qui, en outre, « tiennent les cordons de la bourse ». Dans la société industrielle, les femmes, comme les enfants, ont le « droit » de travailler dans les usines et les mines, dans les pires conditions. Mais les nouvelles hiérarchies qui se mettent en place au sein de la société du salariat, réservent tous les postes de responsabilité, les mieux payés, aux hommes. Les femmes sont privées du droit d'ouvrir un compte en banque, mais pas de l'alimenter, par un travail épuisant.
Un cercle vicieux
De suffrage féminin, il n'en est pas question, et pour longtemps. En France notamment, on considère que les femmes sont trop attachées au catholicisme (ce qui est vrai) et qu'elles ne reçoivent pas, du moins pour l'instant, les Lumières de la Raison comme les hommes. Sous la IIIe République encore, le vote féminin aurait sérieusement menacé la régime en place. Cette vision purement électorale recouvre une réalité plus profonde. Les progressistes anticléricaux ne s'y trompaient pas. A leurs yeux, la femme est naturellement moins individualiste que l'homme, plus liée par ses attaches familiales, par la maternité, à sa famille, à ses communautés traditionnelles Comme nous l'avons vu, les révolutionnaires rousseauistes, puis les bourgeois progressistes eux-mêmes, ont encouragé cette situation jusqu'à la caricature. Ils reprochent donc aux femmes un état qu'ils avaient d'abord souhaité. Nous dirions plutôt, sans tomber dans cet excès : la femme est moins "néo-pélagienne", moins soucieuse de faire son salut, individuellement, sur terre ou dans le ciel, armée de sa seule liberté, sans l'aide de Dieu. C'est vrai, la femme, dans la société traditionnelle, est moins individu que l'homme.
L’Église catholique saisit, non sans un certain opportunisme, cette occasion de conserver quelque pouvoir sur la société. La vogue, sans précédent dans son histoire, du culte marial, bientôt adossé au dogme de l'Immaculée conception (1854), en témoigne. On a pu parler, à cette occasion, de la création d'une « déesse »...Il faut bien reconnaître, hélas, que la question de la condition féminine repose sur un des pires cercles vicieux qui verrouillent le sens de l'Histoire propre au long XIXe siècle.
L'affaire peut se décomposer en trois temps :
1) la société révolutionnaire rêve de Cité grecque et romaine, puis s'embourgeoise et se puritanise ;
2) l’Église catholique cautionne cet embourgeoisement, tout en se chargeant de l'encadrement strict des femmes, pendant que les hommes, ces fortes têtes néo-pélagiennes, passent leur vie au bistrot et désertent les églises ;
3) les républicains anticléricaux, eux mêmes bourgeois pour la plupart, férus d'humanités, en tirent prétexte pour empêcher le vote des femmes, soignant ainsi leur position tout en soulageant leur conscience.
Arrêtons-nous un instant sur ces bourgeois misogynes que l'on dit « conservateurs ». Ce sont les « radicaux » de la troisième République. Nouvelle et révélatrice contradiction. Ils ne veulent « conserver » que le progressisme bourgeois. Ils ne cherchent pas à briser le cercle vicieux qui emprisonne la condition féminine, mais à le renforcer. Ils veulent faire passer les femmes pour des ennemies du Progrès, alors que c'est, historiquement, le Progrès qui est l'ennemi des femmes.
Typiquement, le Front populaire fit entrer pour la première fois deux femmes au gouvernement, mais ne proposa pas le suffrage réellement universel. Seules les femmes « éclairées » par les Lumières de la Raison, progressistes elles mêmes, sont invitées à participer à la vie politique dans le sens du Progrès. Les autres, la grande masse des autres, doivent d'abord être éduquées, arrachées à leurs préjugés religieux, elles doivent être libérées avant d'exercer leur liberté. On attend que les femmes deviennent des hommes pour leur donner le droit de vote. Léon Blum et les socialistes, tout en affichant leur sympathie pour la cause féministe, ne cherchèrent même pas à affronter les « conservateurs-radicaux », très majoritaires au Sénat. Peut-être pensaient-ils que ces conservateurs-là n'avaient pas tort sur le fond, que le vote féminin irait bel et bien à la droite, et qu'il était donc urgent d'attendre.
Le Général De Gaulle n'eut pas ce scrupule : il profita de son passage au pouvoir, à la Libération, pour établir, enfin, le vrai suffrage universel, mettant fin à une exception française, assez fâcheuse pour l'image de la patrie des droits de l'homme. Un militaire issu de la tradition catholique mettait fin à une anomalie née du Progrès. Mais rien ne nous dit que le Général n'ait pas fait « d'une pierre deux coups », comme tous les grands politiques, et n'ait pas, lui aussi, suivi ses convictions aussi bien que ses intérêts : il n'aurait probablement pas à se plaindre du vote des femmes, songeait-il peut-être...
Le féminisme progressiste
Une fois encore, le Progrès moderne comportait en lui une contradiction et une injustice flagrante qui le rendait instable dans le temps. Il n'est pas aberrant de comparer le sort des prolétaires, hommes et femmes, et celui de la grande masse des femmes, de toutes conditions sociales. Ils et elles ont eu le même siècle noir, et l'origine de leur souffrance est commune : le puritanisme protestant ou la Révolution française. Dans les deux cas, la situation ne pouvait pas en rester là. Comment interdire au prolétariat ce que l'on accordait à la bourgeoisie ? Et comment retirer si violemment à la moitié l'Humanité, les droits que l'on accorde triomphalement à l'autre ?
Ce fut donc le long combat que l'on connaît pour les droits des femmes, politiques, économiques et sociaux. Mais, naturellement, ce combat s'inscrivit dans le mouvement dominant de l'époque, c'est à dire dans le cadre du Progrès. L'erreur fut le faire du féminisme un progressisme comme un autre, un segment, un sous ensemble du sens de l'Histoire, qui devait, étape par étape, libérer nécessairement la femme, comme devait être libéré l'être humain. Les désillusions et les effets pervers de l'idée de Progrès furent, de la même manière, au bout du chemin.
La philosophe et psychanalyste Julia Kristeva avoue, à propos de Simone de Beauvoir :
« C’est la libération du groupe (de la communauté) des femmes dans sa totalité qui était visée : en cela, les féministes partagent les ambitions totalisantes des mouvements libertaires issus de la philosophie des Lumières et, plus en amont, de la dissolution du continent religieux, en promettant de réaliser le bonheur de tous sur terre. On ne connaît que trop aujourd’hui les impasses de cette téléologie paradisiaque, et de ces promesses totales et totalitaires. Le féminisme lui-même, quels que soient ses divers courants en Europe et en Amérique, n’a pas échappé à ces visées » .
Que dire de plus ? Nous remplacerions simplement « libertaire », terme un peu ambigu, par « néo-pélagien »... Dans Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir proclame « on ne naît pas femme, on le devient », ce qui suppose que « l'existence précède l'essence », et que Dieu n'existe pas. Beauvoir était une bourgeoise catholique du XIXe, ou plus exactement une aristocrate embourgeoisée, gibier favori des curés de l'époque, et, finalement, une grenouille de bénitier invertie. Elle fut étrangement soumise, sur le plan intellectuel, à Jean-Paul Sartre, et proclama que seuls les hommes ont du « génie ».
On atteint ici l'un des points de retournement de la civilisation occidentale. Lorsque les femmes, après avoir longtemps résisté au culte néo-pélagien de la liberté, y succombent à leur tour, lorsque l'Humanité devient une déesse, le Progrès s'attaque alors à la fibre la plus sensible de l'être humain, à la vie elle même, au « polype » que représente, selon le mot atroce de la Beauvoir, l'humain encore à naître. L'individu est alors raboté de tout lien vital avec la lignée humaine, qui entraverait sa divine liberté. Il devient un « dividu », comme disait Pierre Boutang pour exprimer ce résidu individuel ultime.
Ce progressisme là, féministe, à son apogée, se confond d'ailleurs avec le dernier grand mouvement néo-pélagien des sociétés occidentales non communistes : le mouvement de « libération des mœurs » des années 60 et 70. Symbole de cette libération de la société et des femmes, la pilule contraceptive est, effectivement, ce que l'on pourrait appeler une « technologie progressiste », c'est-à-dire une avancée de la science que la société sélectionne et dont elle assure le succès, parce qu'elle correspond à son état d'esprit. Il faut donc la mettre « en vente dans les monoprix » pour le chanteur hippie Antoine, tandis que Jean Ferrat chante :
Pour accoucher sans la souffrance
Pour le contrôle des naissances
Il a fallu des millénaires
Si nous sortons du moyen âge
Vos siècles d'infini servage
Pèsent encor lourd sur la terre
On a vu qu'une telle vision méconnaissait la réalité historique : le XIXe siècle est bien pire, pour la condition féminine, que les siècles précédents. Néanmoins, la contraception est sans doute l'un des sujets sur lequel les partisans du Progrès peuvent avoir tendance à retrouver de la couleur : « Vous ne voulez quand même pas revenir en arrière, nous diront-ils triomphalement, à l'époque ou les femmes se faisaient faire des enfants par les hommes, et en subissaient seules les conséquences ! »
Nous voulons simplement dire que, comme toutes les médailles du Progrès, celle-ci a son revers. Elle n'est pas une pure « conquête » intégralement positive. Elle à échoué dans son rôle de pilule du bonheur. Si les féministes « universalistes », héritières des Lumières avaient raison, si « la femme libre est seulement en train de naître », comme le disait Beauvoir, dans les années cinquante, la condition féminine aurait du inéluctablement s'améliorer depuis cette période, sous la seule réserve du combat « d'arrière garde » des hommes « conservateurs ». Or, il n'en a rien été.
Le bébé avec l'eau du bain
Après quelques années d'enthousiasme et de réelle sensation de liberté, l'embourgeoisement et le vieillissement aidant, on s'aperçut que cette libération était avant tout, une fois encore, celle du renard libre dans le poulailler libre. L'amour n'est pas un marché dans lequel l'offre équilibre la demande. Il ne suffit pas d'être libre pour être heureux. Il faut être jeune, beau, assuré et conquérant, pour profiter pleinement de la libération des mœurs, et si possible être un homme. La cruauté de cette montée supplémentaire de l'individualisme a probablement plutôt frappé les femmes. On s'aperçoit maintenant de ce qui a été détruit : des siècles d'organisation sociale, de tâtonnements, de lois non écrites, de prescriptions et de tabous judéo-chrétiens, obligeant la culture à dompter la nature, et les hommes à respecter les femmes. Le mariage civil, pâle copie du mariage chrétien, vole en éclat dans les années soixante-dix. Sans cette protection traditionnelle (que le XIXe siècle avait, il est vrai, rendu absurdement rigide) un très grand nombre de femmes et beaucoup d'hommes sont en quelque sorte laissés sur le carreau de l'amour et du plaisir. Seuls quelques prédateurs, en majorité de sexe masculin, profitent, pour un temps d'ailleurs assez bref, de la liberté sexuelle.
On perçoit la marque de cette souffrance collective dans le monde des images, à travers le phénomène récent dit de la « dictature de la beauté ». On pourrait le résumer ainsi : il n'a jamais été aussi difficile, pour une femme, de ne pas être jeune et jolie, qu'en cette époque où les deux sexes sont censés être égaux. Les féministes auraient-elles raison, dés lors, de monter à nouveau au créneau, en dénonçant le pouvoir des hommes ou de leurs fantasmes ? Mais leur système est au contraire pris en défaut. Ces souffrances ne sont pas l'effet d'un « combat d'arrière garde » des hommes. Elles sont inédites. En admettant même qu'ils soient les responsables de la « dictature de la beauté », que celle-ci ne soit qu'une traduction de leur désir et non de celui des femmes sur elles mêmes, il n'y pas là « retour en arrière », mais effet pervers radicalement nouveau, conséquence imprévue de l'individualisme de la libération sexuelle et de ses représentations dans la sphère des images.
- Une femme-barbie russe
Pour la plus grande joie des hommes, les féministes ont jeté le bébé du mariage chrétien avec l'eau du bain de la morale bourgeoise. Sous prétexte que cette eau était froide et sale, ce qui est absolument vrai, mais qui ne justifie rien. Dans ce domaine comme dans les autres, inverser et subvertir les valeurs du XIXe siècle, c'est encore le prolonger. Une grande partie des « conquêtes » féministes, c'est à dire des petites reconquêtes arrachées de haute lutte à la grande régression du Progrès, y a fondu comme neige au soleil.
Petits progrès et grande régression
On retrouve des échos de l'universalisme féministe mais néanmoins anti féminin dans les diatribes d'Élisabeth Badinter contre les femmes qui souhaitent allaiter leurs enfants, qualifiées de « réactionnaires ». Il n'y a pas de réactionnaire sans progressiste, et Mme Badinter, peut ainsi s'autoproclamer avant-garde. En réalité, elle, s'inscrit clairement dans le courant des Lumières qui refusait le droit de vote aux femmes, précisément parce qu'elles étaient « réactionnaires ». Cette position pèse lourdement sur son crédit, lorsqu'elle dénonce dans son livre une régression dans la condition féminine depuis des années 80 (ce que faisait déjà Susan Faludi, dans Backlash, en 1991), elle oublie de dire que pour les femmes, l'immense régression, dont elles sont à peine sorties, est celle du XIXe siècle.
Il devrait donc être possible d'analyser la montée en puissance des femmes dans les entreprises et la politique, non comme leur irrésistible ascension vers le paradis de l'égalité (« la femme libre est seulement en train de naître ») mais comme la plus dure des condamnations du XIXe siècle dans lequel nous vivons encore et la remise en cause radicale du Progrès. C'est peut-être là la tâche des féministes « différencialistes ». La femme étant l'avenir de l'homme, il était bien naturel que nous anticipions un peu, dans ce chapitre, sur les autres effets pervers, retournements, trahisons dans lesquels se dévoile l'essence du Progrès.
Depuis deux siècles, les femmes sont les meilleures révélatrices des contradictions, de la tragédie, puis de la crise, et enfin de l'absurdité du Progrès-croyance, positif, universel, général et inéluctable. Mais elles ne sont pas les seules à en souffrir. Les femmes ont anticipé, dans leur chair et dans leur âme, les désillusions du Progrès. Elles regardent avec inquiétude la « planète que nous allons laisser à nos enfants », ce monde moderne construit puis détruit par des idéologies, des sciences, des techniques, des systèmes presque intégralement sortis de cerveaux masculins.
Le Progrès-croyance est masculin. Le Progrès est une croyance masculine.
Cet article est un chapitre de L'Apocalypse du Progrès, un essai inédit de Pierre de La Coste.
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