Le spécisme ordinaire
Il tue le loup, frappe l’âne, caresse le chien et mange l’agneau. C’est l’homme.
Le spécisme est une drogue dure
« Les animaux du monde existent pour leurs propres raisons. Ils n'étaient pas faits pour les humains pas plus que les noirs étaient faits pour les blancs, ou la femme pour l'homme. » Alice Walker
Le spécisme est une drogue dure qui conduit au sexisme, à l’homophobie, au racisme, à l’apartheid. En prônant une attitude irrespectueuse sous le prétexte de différences, il est à l'espèce ce que le sexisme et le racisme sont au sexe et à la race. Ces idéologies, héritières de la mauvaise foi des religions monothéistes, obscurantistes et taxinomistes, justifient la ségrégation, la soumission, l’exploitation tant de l’animal, que de la femme et de l’homme d’une autre race, culture, croyance ou sexualité. La lutte contre le racisme ou le sexisme est inséparable de celle contre les méfaits de l’animalisation, ce mode injurieux utilisant certains travers prêtés aux animaux. Le regard évaluatif d’une hiérarchie au sein du Vivant est directement induit par l’erreur de croire que l’évolution va du plus simple au plus sophistiqué, de l’inférieur forcément stupide au supérieur doué d’une intelligence donnant prérogative à tous les pouvoirs. L’évolution se fait dans tous les sens et ne poursuit aucun objectif, certainement pas celui de conduire de l’irresponsable au conscient, de l’algue à l’homme, mâle et Blanc comme par hasard et de préférence. L’intelligence et la société de l’homme sont une intelligence et une société parmi toutes les autres de cette Terre. Voir l’espèce porcine comme inférieure (et non différente) parce qu’elle marche à quatre pattes et que nous en avons fait une machine à saucissons est un point de vue brutal, subjectif, zoophage et bien arrogant. Jugement qui nous arrange si nous aimons déguster en saucisses la viande morte et les tripes du cochon. Pour qu’au nom du rapport de force, l’esclavagiste ou le soldat colon puissent asservir des populations autochtones, il leur suffisait de les soumettre au rang d’animaux non-humains. Les sept femmes qui meurent en France chaque mois sous les coups de leur conjoint sont simultanément traitées de salopes, de chiennes en chaleur ou de truies lubriques. Tous les machistes sont spécistes et tous les spécistes sont sexistes. Il n’y a qu’un pas de la sale bête à la salope, et de la salope au pédé, puis au sale nègre, dans l’ordre !
Se référer aux animaux comme si nous n'en étions pas nous-mêmes autorise de détenir prisonniers dans des batteries d’élevage aux conditions infrahumaines quelque 100 milliards d’animaux dans le monde, de ne pas avoir le moindre état d’âme en sachant que trois animaux à la seconde périssent dans des laboratoires d’expérimentation, de tirer à l’année 250 millions d’autres sujets Terriens péjorativement étiquetées gibiers, d’abandonner annuellement 25 millions d’animaux de compagnie, de se vêtir de peau et de fourrure impliquant la souffrance annuelle de 70 millions de « mammi-frères » et d’emmener nos enfants à des spectacles dégradants exhibant des animaux rendus fous par la captivité, le dressage et les frustrations. Comme il faut toujours payer d’une façon ou d’une autre la facture, outre la destruction des écosystèmes par le surpâturage et le déboisement au profit de l’extension des surfaces pâturables, de plus en plus de maladies émergentes et liées à la consommation carnée sont peut-être là pour nous rappeler que nous agissons mal, que celui qui sème le vent récolte la tempête. Aux États-Unis 70 % des céréales sont destinés aux animaux d'élevage, contre seulement 2 % en Inde. Il faut 7 kilogrammes de céréales pour produire 1 seul kilogramme de bœuf, et si toutes les céréales utilisées pour le bétail états-unien étaient consommées directement, elles nourriraient 800 millions d'humains. Tiens, c’est juste le nombre des personnes qui souffrent de sous-nutrition ! Les mêmes États-Unis transforment chaque jour mille tonnes de viande de bœuf en viande hachée, et chaque citoyen nord-américain dévore durant sa vie 9 bœufs de 500 kilogrammes. Seule une vision erronée et manichéenne du statut de l’animal peut permettre ces chiffres de la honte.
Au sens le plus large, l’antispécisme désigne le refus systématique de baser une éthique sur la notion d'appartenance à une espèce donnée, et ce, sans définition de critères pertinents. Il est hélas inapplicable dans notre civilisation et ne relève que de l’attitude exemplaire affine au jaïnisme. Dans le concept du système non ascète – et donc forcément injuste - adopté par le plus grand nombre de Terriens, la déontologie antispéciste pratique peut être justifiée par le neurobiologiste, affirmant que tout animal doté d’un système nerveux est simultanément doté d’une sensibilité. Cette capacité lui permet de ressentir le bien-être jusqu’au plaisir et le mal-être jusqu’à l’affect de la souffrance et de la douleur. On n’exercera donc pas la moindre pitié à l’égard des plantes et on poursuivra l’asservissement des animaux (domestication, élevage) lorsqu’elle est estimée indispensable à notre survie et dans le plus grand respect de ceux-ci. C'est-à-dire que l’on établit une échelle de valeurs entre l’huître et le gorille. Dans les contraintes de la coexistence qu’implique une civilisation conduite par l’espèce humaine, l’animal que l'homme croit avoir l’obligation de détenir sous sa dépendance a droit aux mêmes soucis d’entretien et d’attentions que tous les êtres incapables de se défendre par eux-mêmes, comme le sont le bébé, les personnes âgées ou celles victimes d’un handicap cérébral ou physique limitant. Le mépris de ces droits naturels correspond à un crime de non-assistance. Au Moyen Âge, on se riait tout autant du fou que du singe, dans notre Moyen Âge actuel, certains se rient encore du singe. Le fait que nous ne sachions pas grand-chose de l’état d’être d’une tortue ou d’un chardonneret ne nous autorise pas au déni du libre-arbitre de leur liberté, ou de leur confort relatif si l’on commet l’impudent délit de les incarcérer. Tous les êtres vivants ayant une origine commune, les différenciations intervenues au cours des millénaires de l’évolution n’autorisent pas des destins iniques, a fortiori lorsque ceux-ci ne sont motivés que par des sentiments d’égocentrisme ou de frivolité d’une espèce endoctrinée s’autoproclamant maître et souveraine du monde. Avec leur propension à conférer tous pouvoirs à l’homme vu comme couronnement de la création, les trois monothéismes créationnistes portent une très lourde responsabilité dans la cruauté exercée contre la Nature, les animaux et par ricochet contre l’homme lui-même, sa compagne et ses frères. Aujourd’hui, les pays d’Europe où l’Église a encore son mot à dire sont quotidiennement en infraction avec les législations de protection de l’animal. Chardonnerets et sereins chanteurs dans leurs geôles minuscules, cailles pondeuses détenues à l’étroit, sont encore massivement présents dans les foyers espagnols. Animal ! est en Espagne une insulte courante et qui se traduit par imbécile !
Le zoomorphisme tend à attribuer aux personnes des caractéristiques animales, sans mauvaise intention particulière. Le processus inverse est l’anthropomorphisme. Les deux modes correspondent à des pastiches, abusent de l’hyperbole et ont toujours travesti la vérité, notamment au détriment de la connaissance zoologique et du respect envers les espèces. La mythologie religieuse, avec sa fréquente thériantropie, l’univers des légendes, des fables (pour l’éducation du jeune animal humain…) et de la bande dessinée en firent un large usage. Jean de La Fontaine et Walt Disney recoururent outrancièrement à ces procédés et selon des modes souvent grotesques. Notre incapacité à renverser la perspective anthropocentriste fait que nous sommes bel et bien menacés par le Nuremberg de l’écologie que certains avaient prédit.
Enfant, aux cours de catéchisme des curés parisiens que mes parents m’imposaient pour mon plus grand mal, on nous projetait souvent, sous le regard du Crucifié, des films du Far West où les Indiens étaient mal traités. J’ai subi des passages obligés aux cirques Bouglione, Pinder et Medrano, au zoo de Vincennes, au jardin des plantes où je restais pantois devant nos frères gorilles incarcérés (et encore aujourd’hui non défendus par Amnesty international…), aux projections de films lénifiants de Disney. On ne m’a pas, non plus, épargné le spectacle édifiant de la Venus Hottentote, nue et empaillée, dans sa vitrine du muséum. Déjà, je voyais les curés, les gens du cirque et Wald Disney comme des voyous. Au temps de Maurice Papon et du métro Charonne, j’entrais dans l’adolescence. J’étais formé, formaté. Entomologiste, il ne me restait plus qu’à tuer des papillons toute ma vie. Au nom de la science.
« Les juifs sont des singes et les chrétiens des cochons. » Dans une école islamique de l’ouest de Londres, la King Fahad academy, les enseignants utilisent des livres qui décrivent les juifs comme des singes et les chrétiens comme des cochons. L’info fut diffusée le 6 février 2007 sur BBC2, et la directrice de l’établissement a affirmé, sur le plateau du journal Newsnight, que la traduction était sortie du contexte, Les traducteurs consultés ont tous pourtant lié les mots juifs à singes, et chrétiens à cochons.
Le non-Blanc pour le Blanc, le non-Noir pour le Noir ou le non-Chinois pour le Chinois, sont à mépriser, à dégrader du rang humain, à abaisser au rang animal. Les cultures non-occidentales sont primitives. Même type de dénigrement pour l’adversaire politique, le contradicteur idéologique, voire le joueur de l’équipe sportive opposée ! Comme les animaux, les Iroquois de la conquête de l’Ouest étaient sauvages et à loger à la même enseigne. Un singe ne construit pas des cathédrales. La vision machiste et conservatrice de l’autre sexe, le sexe faible, dont on dénigre les qualités intellectuelles pour justifier du non-droit de vote, de chéquier, de liberté et de plaisir sexuels ou de visibilité au salon des hommes, participe de ce raisonnement abject.
C’était au nom de la science ou du spectacle qu’on exhiba longtemps les êtres humains hors normes ou les sauvages les plus exotiques, telle la Vénus hottentote. Elle était née l’année des droits de l’Homme, qui n’étaient ni ceux de la femme, ni ceux de l’indigène, et ne le sont toujours pas vraiment. Fille d'un père Khoisan et d'une mère Bochiman, elle était dotée de stéatopygie (fesses surdimensionnées) et de macronymphie (organes sexuels protubérants). Un médecin de la Royal Navy l’embarqua pour l’Europe et, à Paris, elle devient un objet d'exposition des music-halls et des salons de la haute bourgeoisie. Elle termina sa vie dans les bordels. Du statut de bête curieuse, Baartman Saartjie passa aussi à celui de cobaye humain. Elle était exposée nue sous les yeux avides de scientifiques et d’artistes peintres. En 1815, le célèbre naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire comparait dans un rapport le visage de l'infortunée à celui d'un orang-outang, et ses fesses à celles de la femelle du singe mandrill. Georges Cuvier, père de l'anatomie comparée sous Napoléon Bonaparte, estime quant à lui qu’elle est la preuve indéniable de l'infériorité de certaines races. Peu après sa mort et… pour le plus grand bien des connaissances, Cuvier la disséqua et présenta les conclusions de ses recherches devant l'Académie de Médecine : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité. » Ce n’est qu’en 1974 qu’un directeur du laboratoire d'anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle fit retirer le corps de la vitrine où il était exposé, pour l’entreposer à l’obscurité des caves du musée. En 2002, après de très longues tergiversations diplomatiques et une évidente mauvaise volonté des collections nationales, sa dépouille fut restituée à l’Afrique du Sud. « La Vénus hottentote conquit donc sa renommée en tant qu'objet sexuel, et la combinaison de sa bestialité supposée et de la fascination lascive qu'elle exerçait sur les hommes retenait toute leur attention ; ils avaient du plaisir à regarder Saartjie mais ils pouvaient également se rassurer avec suffisance : ils étaient supérieurs » (Stephen Jay Gould, Le Sourire du flamant rose, 2000).
L’animalisation est un zoomorphisme à dessein malfaisant, toujours dépréciatif et dénigrant, d’autant plus affligeant qu’il correspond à une chosification, tant pour l’homme que pour l’animal concernés. Fort de son incurable méconnaissance de la zoologie, c’est pour dénigrer son prochain que l’homme utilise certains travers prêtés aux animaux. Les invectives, insultes, injures et calomnies du genre ont toujours été très présentes dans les mœurs politiques, rarement reluisantes. Dans l’objectif d’animaliser, de mettre à quatre pattes l’adversaire, la violence verbale née de luttes intestines et les diatribes contre l’opposition ne manquent jamais de noms d’oiseaux. Il convient d’haranguer l’électeur badaud en stigmatisant et en raillant prosaïquement le protagoniste. La méthode relevant du symbolisme et ne parlant qu’au psychisme, l’animalisation connut son heure de gloire durant le nazisme et le fascisme. C’est surtout pendant les guerres et pour construire l’altérité qu’on se regorge de formules zoomorphiques, particulièrement à base de l’espèce porcine. Lors de la Grande Guerre, la caricature s’en donna à cœur joie en instrumentalisant le cochon, ce dernier étant assimilé à la barbarie teutonne, et notamment à sa goinfrerie alimentaire pour la charcuterie, en opposition à la civilisation française. Le cochon allemand était alors l’animal de la fange. Dans l’histoire des colonisations, le colon, son soldat ou son curé stigmatisaient par l’animal l’indécrottable infériorité du sauvage. La presse soviétique stalinienne, professionnelle de la haine, invectivait les écrivains qu’elle n’aimait pas en les qualifiant de vipères lubriques. Lors du congrès de la Paix à Vienne en 1952, Jean-Paul Sartre fut traité d’hyène dactylographe ! Dans Les damnés de la Terre, Sartre avait rappelé que la métaphore zoologique traduit toujours la marque du fascisme, mais le même Sartre est l’auteur de la sentence fameuse : « Tout anticommuniste est un chien ». Même l’ami Alain Badiou use sans retenue de métaphores zoologiques : « Tout antisarkozyste est-il un chien ? » écrit-il dans le Monde du 24 juillet 2008, répondant à Pierre Assouline et à Bernard-Henri Lévy.
Hier et aujourd’hui, le langage xénophobe fait un large usage de l’animalisation. Les pires insultes à l’égard d’une personne d’origine arabe (et supposée comme tel parce que plus souvent Kabyle ou Berbère !) sont raton ou bicot. L’hymne à l’amour de Jacques Dutronc est une intelligente parodie du genre. Comme les chants nazis, les cris de singes poussés par les hooligans quand un footballeur Noir de l’équipe adverse touche le ballon sont désormais poursuivis par la loi.
Bonnet d’âne et autres têtes de mules…
Le bestiaire de ces insultes, injures, offenses, vexations et autres incontinences verbales est infini, en voici un florilège français non exhaustif.
Animal : se comporter comme un animal en dit long dans notre psychologie.
Bête : définit à la fois tout animal autre que l’homme et le manque d’intelligence, la stupidité, le fait d’être étourdi : « Être bête comme ses pieds », « Que je suis bête ! », etc. Quant à l’expression « Nos amis les bêtes », souvent utilisée par les amis des animaux (donc zoophiles dans la première acception du terme…), elle sous-entend bien une certaine commisération pour un monde inférieur, dont l’homme se positionne comme le protecteur, alors que Selon Théodore Monod : « Les animaux ne demandent pas qu'on les aime, ils exigent qu'on leur fiche la paix ».
Bestial : qui ressemble à la bête, brutal, sauvage.
Bétail, bestiau : désigne péjorativement le cheptel, soit les animaux d’élevage autres que les oiseaux ; « Être traité comme du bétail » signifie sans le moindre ménagement.
Singe, macaque, guenon : pour se gausser d’une personne estimée non évoluée, la plupart du temps avec connotation raciale.
Chien : comme attribut de discrédit systématique (« N’être qu’un chien », « Une vie de chien », « Ce n’est pas fait pour les chiens »…).
Loup : pour qualifier une grande méchanceté (selon la sentence de Thomas Hobbes : « À l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme »).
Chacal : homme profiteur, avide tel un charognard.
Rat : renvoie à un univers sordide, à un comportement de lâcheté (la métaphore des rats quittant le navire…), tant d’intérêts mesquins que de milieu minable.
Porc : c’est l’animal le plus caricaturé dans l’animalisation verbale, écrite ou iconographique, à l’endroit de tout individu que l’on entend disqualifier et calomnier sous un quelconque prétexte, notamment celui de la vulgarité. Le cochon est pourtant un mammifère très intelligent, surtout son ancêtre sauvage, non amoindri par des siècles d’élevage.
Cochon, cochonne : « 1. Sale, dégoûtant. 2. Malfaisant, déloyal. 3. Égrillard, obscène » selon Le Petit Larousse. (Suivent dans la ligne : cochonceté pour obscénité, cochonnerie pour malpropreté).
Caractère de cochon, tête de lard : pour qualifier un mauvais caractère.
Ours : pour une personne peu avenante, qui fuit la société.
Ours mal léché : pour un individu bourru (« Ainsi que l'ours, à force de lécher son petit, le met en perfection, ainsi vois-je, etc. » Rabelais).
Âne, kif-kif bourricot (pareil à l'âne) ou buse : pour stigmatiser l’insuffisance intellectuelle, l’ignorance, voire une personne bornée. Les expressions péjoratives sont nombreuses : avoir un bonnet d'âne, être franc comme un âne qui recule, faire l'âne pour avoir du son, être un âne bâté, brider un âne par la queue, chantez pour un âne, c’est des crottes qu’il vous donne, etc.
Tête de mule : pour une personne têtue, à l’attitude buttée.
Cheval, jument : pour une belle femme, mais de grande stature.
Gros bœuf : pour un homme lourd, sans distinction.
Vache (peau de) est synonyme de salaud (« Une jolie fleur dans une peau d'vache. » Georges Brassens).
Veau : pour un abruti (« Les Français sont des veaux. » Charles de Gaulle).
Chameau : un « vrai chameau » est quelqu’un de méchant, désagréable.
Brebis galeuse : pour une personne rejetée, indésirable.
Bouc : pour un homme brutal et grossier.
Renard : pour une malignité peu honnête.
Blaireau : synonyme de ringard, de beauf.
Maquereau, maquerelle, morue : toutes invectives propres au monde de la prostitution.
Thon ou truie : à l’intention d’une fille laide ou grosse.
Grenouille de bénitier : pour qualifier une bigote.
Anguille : pour quelqu’un d’insaisissable.
Langue de vipère : pour une personne habituée à diffamer
Vipère, araignée ou autre animal lubrique : pour discréditer quiconque en lui attribuant un penchant excessif pour le vice et la luxure ; l’expression, très largement extrapolée dans les insultes politiques, est en outre inexacte car il n’y a aucune attribution scientifique de lubricité ni à la vipère, ni à l’araignée !
Scorpion : ennemi qui tue par derrière, malfaisant, hypocrite (« Comme le scorpion, mon frère, / Tu es comme le scorpion / Dans une nuit d’épouvante. » Nazim Hikmet).
La bêtise au front de taureau : sert à brocarder l’énorme bêtise (« Contristé, servile bourreau / Le faible qu'à tort on méprise ; / Salué l'énorme Bêtise, / La Bêtise au front de taureau. » Charles Baudelaire (L’examen de minuit, in Les fleurs du Mal).
On notera que rares sont les animaux ayant droit à un noble statut, c’est néanmoins le cas du chat, du lion, de l’aigle, du coq, du paon, de l’abeille…
Bien que donner à quelqu'un un nom d'oiseau signifie le traiter de tous les noms, l’injure apparaît aussi au premier degré :
Bécasse : pour une personne sotte.
Dinde, bécassine ou oie (blanche) : pour une fille niaise.
Grue : pour une prostituée.
Poule mouillée : pour un homme couard.
Poulet : pour un policier.
Pie : pour une personne bavarde.
Perroquet : pour quelqu’un qui répète.
Perruche : pour une femme bavarde.
Faire l’autruche : pour quelqu’un qui refuse de voir le danger.
Vieille chouette : pour une femme revêche (et non chevêche !).
Vautour : pour une attitude de bas profit qu’inspire l’oiseau charognard.
Corbeau : comme oiseau de mauvais augure, auteur de lettres anonymes.
Buse : qualifie l’idiotie, et triple buse signifie alors trois fois idiot (acception péjorative attestée depuis le XVIe siècle, selon le Robert).
Butor : pour un malappris.
Canard boiteux : pour un sujet mal adapté à la société.
Pigeon : pour quelqu’un facile à duper, à « plumer ».
Faisan : pour l’auteur d’affaires louches.
Tête de linotte : pour une personne écervelée.
Drôle de moineau : pour quelqu’un de méprisable.
Etc.
Si l’analogie à la Nature et aux animaux est le plus souvent négative et péjorative chez les monothéistes, elle est par contre gratifiante et positive chez les peuples natifs ou en Orient. En Chine, au Japon, on se prénomme « Premières neiges », « Hautes vagues », « Immense surface d'eau », « Fleur de Lotus », « Orchidée », « Perle précieuse », « Hirondelle », « Fleur de prunier », ad libitum..., autant de références homotéliques. Si vous avez rendez-vous avec un banquier chinois se nommant Jinsong, dont la secrétaire s'appelle Shao Lian, vous serez reçus par Monsieur « Pin droit » et Mademoiselle « Immense surface d'eau ». Tout le monde connaît les noms des Amérindiens, dont certaines traductions littérales donnent : Fleur éternel, Papillon, Faon, Oiseau bleu, Serpent à Fleurs, Castor, Soleil évident, Pluie tombante, Petit bison, Cerf commun, Coyote chassant des cerfs, Colombe sauvage, Une vigne sur un Chêne, etc.
Ainsi, les peuples premiers, et encore à ce jour les sociétés ayant échappé à l'anti-chemin des monothéismes révélés, vénèrent la Nature, la glorifient en étant fiers et dignes de se prénommer « Petit bison » ou « Serpent à fleurs », tandis que nous, les « porcs », les « truies », les « boucs », les « ânes », les « triples buses », les « vieilles chouettes », les « grues », les « poules mouillées », les « langues de vipères », les « hyènes dactylographes », les « têtes de mule », les « chiennes lubriques » et autres noms d'oiseau, c’est péjorativement que nous nous inspirons du Vivant pour avilir, calomnier, excommunier, etc. Quel Dupond-Durand, quel Schmidt, quel Smith, quel Gomez-Hernandez irait prénommer son fils « Petit bœuf » ? Même s'il n’est ni gavé par Mac-Do, ni obèse !
En détestant notre environnement naturel, en crachant sur le Vivant, nous avons fait notre propre malheur, et c'est pourquoi dans cet enfer crétin, pétri de haine, d'envies frustrées et de rancœur, nous nous voyons condamnés à perdre notre vie pour la gagner.
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