Rocard : un patch de plus pour l’éducation ?
La nomination aujourd’hui de l’ancien Premier Ministre Michel Rocard comme « haute autorité » d’une commission d’évaluation de l’enseignement ne doit pas faire oublier l’ampleur de la tâche pour réformer cette institution malade. On peut même craindre que ce ne soit encore qu’un effet d’annonce destiné à calmer le jeu et masquer l’inaction du gouvernement.
On apprend aujourd’hui du journal Le Monde que le comité chargé d’organiser la concertation sur la revalorisation du métier d’enseignant sera placé sous l’autorité de Michel Rocard. L’ancien Premier Ministre de Mitterrand (avec lequel il n’entretint pas vraiment de bons rapports) constitue à coup sûr un symbole fort pour un corps éducatif qui se situe encore largement à gauche (du moins culturellement) sur l’échiquier politique et rajoute une pierre à l’édifice du président, à savoir le déboulonnage progressif de son opposition en lui retirant personnalités fortes et têtes pensantes. Cependant, la vraie question, d’un point de vue pragmatique, est de savoir ce que tout ceci va changer.
Il est certain que le modèle éducatif français a perdu beaucoup en quelques années. Un chapelet de mesures a contribué à faire perdre de sa superbe à ce modèle qui fut autrefois si fier. On pourrait évidemment citer le vœu pieux et foncièrement démagogique des fameux 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat imposé par Chevènement en 85 ; les fortes disparités régionales entre des populations défavorisées et des enseignants inexpérimentés, le manque de moyens (ou, en tout cas, leur utilisation inappropriée), la crispation systématique des syndicats d’enseignants dès lors que l’on touche à quoi que ce soit qui les concerne (à force de grèves systématiques et sans discernement, ils ont eux-mêmes perdu une bonne part de leur crédibilité au sein du monde éducatif). Bref, malgré des résultats au bac qui semblent très bons chaque année, le constat sur le terrain est amer.
Ainsi, dans l’enseignement supérieur, on constate bien souvent que les étudiants de première année arrivent avec une préparation minimale, si ce ne sont pas parfois des lacunes graves en orthographe et en grammaire par exemple. La culture générale est, elle aussi, bien souvent au ras des pâquerettes et l’un des problèmes majeurs reste le manque de lisibilité des filières en termes de débouchés et de préparation : on entre à la fac un peu par hasard, mal renseigné, mal préparé en termes d’autonomie de travail, et on en sort bien vite. L’écrémage qui se faisait autrefois au lycée a maintenant lieu durant le cycle licence (les trois premières années), ce qui laisse les étudiants avec trois années coûteuses derrière eux, le tout sans diplôme autre qu’un bac qui n’a plus aucune valeur dans le monde du travail, vu que tout le monde l’a. De même, les effectifs en première année de certaines filières comme la psychologie, la sociologie ou les arts du spectacle sont très inquiétants au regard des faibles possibilités de trouver un emploi en lien avec ces études. Cependant, la question d’un numerus clausus (comme en médecine) ou d’une sélection à l’entrée reste un tabou sacré pour les syndicats étudiants au nom du libre choix des études. Certes, c’est un choix noble, mais à 5000 euros l’année[1], combien de familles modestes peuvent se permettre une erreur de parcours ?
Dans l’enseignement secondaire, l’inquiétude est latente et
due en grande partie au système, aux rouages d’une machine qui ne représente
plus un ascenseur social. Cette panne d’ascenseur est connue de tous, et
surtout bien sûr des élèves. Or ceci représente un manque à gagner en termes de
motivation. Comment se convaincre de la nécessité de travailler, de se constituer
un bon dossier scolaire pour faire de
bonnes études (ou, en tout cas, avoir le luxe de choisir ce qu’on veut),
lorsque autour les exemples de surdiplômés sans emploi se multiplient ?
De même, la « machine » a perdu toute cohérence. Autrefois, si un élève n’avait pas de bons résultats, on lui proposait un redoublement ou une réorientation. L’omniprésence du collège unique et la dévalorisation des filières techniques (là encore, un problème bien français si l’on compare avec nos voisins allemands) conduisent tous les élèves dans un même goulet d’étranglement : la filière générale. Le coût moyen d’un élève de collège pour l’Etat est de 7401 euros (données Wikipédia) donc le ministère traîne les pieds en matière de redoublement. Celui-ci ne peut non plus être une réponse systématique dans la mesure où il induirait un phénomène d’engorgement au fur et à mesure que l’on avance dans les niveaux. Ainsi, les principaux de collège et proviseurs de lycée ne sont bien souvent autorisés par le rectorat à ne faire redoubler qu’un ou deux élèves par classe (même si ce dernier, si c’est un premier redoublement, est de droit pour les familles). La décision du conseil de classe au troisième trimestre est donc bien souvent de faire redoubler un élève travailleur dont les résultats sont un peu justes et de laisser passer dans la classe supérieure des élèves bien plus faibles. C’est l’évacuation par le haut. Mais cette pratique, justifiée par le fonctionnement complexe de tout un système, reste bien énigmatique pour un élève de onze ou quinze ans pour qui le passage en classe supérieure reste l’objectif final de son année.
Au sortir du collège, l’élève a donc le choix entre poursuivre dans le général au lycée ou choisir un établissement proposant des filières professionnelles. Or ceux-ci ne proposent des places qu’en nombre limité, ils opèrent donc une sélection parmi les dossiers reçus et ne choisissent bien sûr que les meilleurs. De cette situation découle donc un autre paradoxe : un élève aux résultats faibles, afin d’être scolarisé au moins jusqu’à l’âge légal, peut donc se retrouver au mieux dans une filière professionnelle qui ne l’intéresse pas du tout, au pire en lycée général, avec l’assurance d’échouer dès la seconde. Cet échec en classe de seconde est extrêmement fréquent et dramatique car, en cas de redoublement, il ne sera plus prioritaire s’il veut bifurquer à nouveau vers une filière pro.
En ce qui concerne les premières années au collège, on constate là encore sur le terrain de graves problèmes lors de l’accueil des élèves de sixième. Comme l’a récemment pointé le dernier rapport du Haut Conseil de l’éducation, si 60 % des élèves arrivent avec des acquis solides, un bon quart arrive en grande difficulté dans l’enseignement secondaire. On observe souvent des lacunes patentes en termes d’écriture, d’orthographe, de compréhension, de connaissance de la grammaire (matière ô combien rébarbative au premier abord, mais indispensable dès lors qu’il s’agit d’aborder une langue étrangère, et là je sais de quoi je parle) et de mathématiques.
Comment aider ces élèves dont les difficultés ne feront qu’empirer si rien n’est fait durant leur début de scolarité ? M. Darcos veut mettre en place des études dirigées, pourquoi pas ? Mais ceci pose un autre problème. Beaucoup de collèges en proposent déjà sur la base du volontariat (à la fois des élèves et des professeurs), que constate-t-on ? Seuls les bons élèves, ceux qui a priori n’en ont pas besoin, y assistent. Il faut donc rendre ces études dirigées contraignantes, avec le risque de se heurter aux parents d’élèves qui n’accepteront pas (et l’enfant traînera des pieds, même si on lui dit que c’est pour son bien, car il percevra cette heure supplémentaire comme une injustice ou une punition) que leurs chérubins fassent une heure ou deux de plus. En outre, il faudra bien payer ces heures d’études obligatoires, donc soit trouver des enseignants pour le faire (et donc engager à nouveau des profs, ce qui n’a pas l’air d’être au goût du jour), soit débloquer des fonds pour les rémunérer. Cependant, on peut avoir un doute à ce sujet lorsqu’on sait que les fameux remplacements de courte durée mis en place à la rentrée 2005 (et tant décriés car cette mesure soulevait un nombre hallucinant d’aberrations telles que le remplacement dans une matière par un prof d’une autre discipline !) n’ont presque jamais lieu, faute de moyens débloqués par les rectorats et attribués aux établissements pour rémunérer ces heures supplémentaires ! Pour simplifier, là encore on fait une réforme sans se donner les moyens financiers de l’appliquer. Alors pour les études dirigées, on peut raisonnablement avoir quelques doutes.
On est donc bien loin de la revalorisation programmée du métier d’enseignant. Ces derniers souffrent d’une machinerie absurde et implacable, qui ne fait plus sens pour les élèves, et d’une déconsidération systématiquement organisée de leur profession par les médias et qui se reflète dans la population. Combien s’indignent des vacances des enseignants ? Parce qu’ils laisseraient peut-être seulement cinq semaines de vacances aux élèves ? Les élèves ont besoin de vacances, et les enseignants aussi... Passez deux mois en classe et vous verrez que c’est nécessaire. Combien s’indignent des dix-huit heures hebdomadaires d’un professeur certifié ? Une évaluation du Sénat rétablit ces chiffres au regard des préparations de cours, corrections d’évaluations, élaborations des moyennes, bulletins, comptes-rendus et rapports divers qui propose une fourchette entre 38 et 41 heures de travail hebdomadaire. Il apparaît donc qu’une heure supplémentaire n’est pas un dû de l’enseignant envers la société et se doit d’être payée, si elle est institutionnalisée via une loi ou un décret.
La politique de restriction budgétaire du gouvernement entre donc en conflit direct avec ces diverses annonces car il va bien falloir à un moment ou un autre financer ces mesures. Or ce n’est pas en supprimant des postes (une gestion à la petite semaine des effectifs qui finira à terme par augmenter le nombre d’élèves par classe, voir à ce sujet le graphique paru dans Le Monde d’aujourd’hui) qu’on y arrivera. Si la nomination de Michel Rocard peut éventuellement rassurer les syndicats, ceux-ci (et surtout l’ensemble des personnels de l’éducation) ne doivent pas se laisser berner par des effets d’annonce et des gesticulations gouvernementales. Le « travailler plus pour gagner plus » du chef de l’Etat est tout simplement hors sujet. Il s’agit surtout de travailler mieux et de répondre aux attentes des élèves et de la société. Or pour ce faire, il conviendrait non pas de nous séduire par diverses annonces accessoires (voire populistes, comme cette idée de renforcer le sport à l’école, c’est mignon mais je ne vois pas en quoi cela répond au problème) mais de repenser totalement le système éducatif et son organisation, de se donner de véritables moyens. Il y a quelques bonnes idées dans l’air, comme par exemple la progression non par classes, mais par groupes de niveaux, en validant l’acquisition des compétences par le passage au niveau supérieur dans chaque matière. Cela réduirait l’hétérogénéité des classes, mais cela réclame de moyens et une réorganisation totale du système scolaire, ainsi que des effectifs réduits par groupe.
Or il semble bien que tout porte vers une réduction des moyens attribués à l’enseignement. Ainsi, une série de rapports et de notes de l’OCDE publiés en 1996 montre clairement que la tendance serait à distinguer une offre publique d’enseignement vers les populations issues de milieux modestes (et qualifiées de « non rentables ») et une offre de type privé qui offrirait moyennant finances un enseignement de qualité préparant à la poursuite d’études qualifiantes. Ces rapports inquiétants sont à mettre en perspective avec le train de mesures de ces cinq dernières années où l’on a réduit le nombre de postes (prétextant d’une baisse démographique dans le secondaire, alors qu’il y a une hausse dans le primaire) et favorisé le développement des structures payantes de cours particuliers.
Bref, l’avenir est encore sombre pour l’éducation qui souffre à tous les niveaux de nombreux problèmes structurels. Les gouvernements successifs n’ont pas cherché à y répondre et même si la nomination de Rocard à cette commission aujourd’hui peut en rassurer certains, le prestige de ce politique au sein du corps éducatif ne garantit pas que l’on s’attèle à l’immense tâche de redresser la barre, de réparer une machine qui grince depuis longtemps déjà. Il y a même fort à parier que cette nomination n’est qu’une gesticulation supplémentaire pour séduire et anesthésier le corps enseignant, tout en affaiblissant encore un peu plus une opposition déjà bien moribonde.
[1] Evaluation approximative et au bas mot, en accordant à un étudiant boursier à l’échelon 0 une chambre de cité U à 290 euros, et un budget nourriture de quelque 200 euros.
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