Rupture de confinement - le choix de la vie
Vous avez sûrement lu 1984 d'Orwell dans lequel les opposants à Big Brother étaient reconditionnés par le Ministère de l'Amour pour adhérer à la pensée unique d’Océania. Dans la Stratégie de Choc, Naomi Klein aborde l’abandon de toute opposition lors d’une situation de sidération ou de survie.
Jusqu’au moment où le point de rupture est atteint. Et nous y sommes.
Sauver des vies
Le Mossad a une technique bien particulière pour châtier un terroriste : il punit ses proches et rase la maison familiale. C’est terrible sur la conscience de celui qui tient le détonateur. Chez les militaires et dans certains pensionnats, au lieu de punir le fautif, on pénalise tous les autres sauf lui. C’est un châtiment indirect beaucoup plus cruel et culpabilisant, comme dans le film « Unthinkable » dans lequel, pour faire parler le terroriste, on torture son enfant.
Dans cette sidération mondiale autour du Covid-19, et peut-être pour lubrifier le principe du confinement, le même procédé est utilisé pour contraindre les citoyens à tout abandonner derrière eux : « Sauver des vies ». Celui qui sort pour courir dans un parc met les autres en danger. Celui qui va faire une randonnée en montagne condamne les faibles par son imprudence. Celui qui s'allonge sur une plage pour faire le plein de vitamines menace un malade à l'autre bout de la ville. La désobéissance fait de ces frondeurs de possibles assassins. C’est de leur faute si d’autres meurent dans les hôpitaux. Celui qui sort pour son plaisir est un délinquant. Et comme sous l’Occupation, toutes les belles-âmes dénoncent les insoumis aux barbouzes.
Les réseaux sociaux, qui sont aussi la caisse de résonance de la bêtise humaine, vont même plus loin. Les hash-tag « je sauve une vie » fleurissent comme les coquelicots au printemps. N’importe qui peut être à égalité avec une infirmière ou un médecin : eux, sur le terrain, l’autre devant Netflix ; eux avec leurs ventilateurs, l'autre avec sa télécommande, mais tous dans le sauvetage. Grâce à leur sacrifice relatif, chacun se donne la main et tous applaudissent. Après les estampilles « je suis ... », « j’ai pas peur », « vous n’aurez pas ma haine » le populaire en 2020 : « je sauve des vies ; je reste chez moi ». La peur a réconcilié tout le monde et a même anobli la couardise.
Interdiction de mourir
La génération des baby-boomers n’a connu que la paix et la prospérité. La guerre, elle l’a faite chez les autres et les crises, elles les a facturées aux plus jeunes. Leur « parenthèse sublime », leur « paradis sans mourir » a mérité son entrée au Panthéon ; gravé dans le marbre avec les régimes spéciaux.
Sous leur patronage, l’âgisme s’est inversé. Avant, la jeunesse était reine et enviée ; aujourd’hui, si tu as moins de cinquante ans, tu as raté ta vie. En Chine, on dit à un octogénaire qu’il a un bel âge pour mourir ; en Occident, on prétend que c'est là que çà commence.
Du coup, le Covid qui a la malice de s'attaquer principalement aux retraités blancs et aux bedonnants avec comorbidités, a mis les État-Majors devant un choix kafkaïen : « sauver les grabataires en laissant mourir l'économie, ou l'inverse ».
La déification de soi
Quand on n'a connu que la paix, quand l’individualisme outrancier a brandi les droits et piétiné les devoirs, chaque vie devient un trésor. Le selfie l’a même consacrée. Avant, la photo de classe nous inscrivait dans la société, comme un élément anonyme de l’ensemble. Aujourd’hui, c’est tout seul que l’on s’affiche au monde. Le patronyme devient une marque de commerce et chaque individu est à égalité avec son voisin sous le mantra : « parce que je le vaux bien ».
Du coup, la mort devient outrancière. « Ah non, c’est pas le moment, revenez plus tard ! » Le droit de vivre le plus longtemps possible est devenu absolu. Chaque vie compte ; l’homme, l’animal, l’insecte, chacun est important et tous doivent être sauvés. Même si la vie en bonne santé va rarement au delà de 65 ans, on exige désormais le droit d'être malade et de mutualiser la charge aux bien-portants. Les baby-boomers ont pris tellement de place qu'ils ont même réussi à convaincre les jeunes générations que sans eux, le monde s'effondrerait. Et les jeunes, élevés dans la honte et la repentance, dépourvus de confiance, vouent une admiration béate pour leurs aînés auxquels ils offrent croisières et retraite dorée, payées à même leur misère. Le « Syndrome de Stockholm » sur les airs des années 80.
Bébé à bord
Dès que les boomers ont passé le cap de la quarantaine, le « principe de précaution » est devenu le ciment de la vie en société. Le danger, le risque, l’insouciance, la liberté, le libre-choix (…) dont ils s'étaient pourtant enivrés jusqu’à la lie : interdits ou rabotés pour les autres, au nom de la sécurité rassurante. Quand on se traîne avec une canne, on aime pas que des jeunes nous frôlent en patins à roulettes. Ça énerve. Donc les patins, au placard !
Entre les associations de défense des malades et des handicapés, toute la société s’est placée sous le joug de la loi du plus faible. Avant, je vous parle des années 60, on disait aux traînards « magnez-vous le train, tout le monde est loin devant ». Aujourd’hui, c’est « arrêtez-tout ! Il y en a deux qui ne suivent pas ! ». Et cela, en Europe comme en Australie, comme aux États-Unis ou au Canada. Quand on parle à un enfant, l'adulte s’agenouille ; avant, il le prenait aux bras ou le gamin levait la tête. Terminé.
Les féministes sont aussi passées par là en tapant sur la virilité comme un ouvrier polonais sur une charpente. Une fois ressortie du hachoir, la belle et ferme viande de bœuf a fini en boulettes. L’homme moderne s’est retourné sur la « femme qui est en lui » et s’est dit « ben si ça peut faire plaisir... ». Bonjour la gentillesse, le consensus, les marches blanches et les bougies. Tous égaux dans la bonté, la tolérance, l'ouverture et l'avilissement.
Donc, quand les dirigeants de ces armées de plâtre se sont retrouvés face à une vague virale à laquelle ils ne s’étaient pas préparés, ils ont regardé les chiffres, constaté qu’ils n’avaient rien en stock et ont dû affronter le choix abominable : « les jeunes et les vaillants » ou « les vieux et les malades ». Bon, la réponse a coulé de source : « il faut sauver des vies, quoi qu'il en coûte ! » et la population s'est agenouillée devant tant de grandeur d’âme. Prince jusque dans la tombe. Une société qui aurait choisi l’économie, la prospérité et l’avenir de ses jeunes sur les mourants aurait mérité le mépris de l’histoire. Éthiquement, insupportable.
Il y a du bois dont on fait les flèches et d’autre pour le charbon. La génération actuelle est pétrie de tendresse et d'amour. Nos soldats sont des assistantes sociales. Nos armes sont des formulaires. Pareil en Europe, pareil au Canada. Excepté aux USA, bien que condamnés par la diaspora des bien-pensants, les Occidentaux se sont confinés tous seuls. Ils ont laissé aux pyromanes le soin d’éteindre l’incendie, ont fermé leurs entreprises, abandonné leur emploi, brûlé leurs économies, enterré l’avenir de leurs enfants et se sont calfeutrés dans leur chambre pour fuir l’effroyable bébé Godzilla.
Un confinement pour rien
Le monde a connu plusieurs pandémies et deux dans ce jubilé. En 1956, l’épidémie de grippe asiatique (H2N2) se répand sur toute la planète et tue plus d’un million de personnes dont de très nombreux adolescents. Pas de vaccin, pas de confinement ; les médecins disaient que ça passerait et c’est passé. Cent mille morts en France, presque une personne sur cinq malade. Mais pas de confinement ni d’urgence sanitaire. Ça a pris deux ans pour avoir un vaccin.
En 1968, même affaire. Grippe de Hong-Kong cette fois ; H3N2. Même chiffrage mortuaire, mais ni confinement, ni urgence sanitaire. Les gens étaient quand même plus forts, moins compassionnels, moins dans la pleurniche. Ils avaient connu la guerre. La mort ne les sidérait pas. Chacun trouvait logique que les parents décèdent avant leurs enfants et que ces derniers vivent mieux que leurs aînés ; que l’inverse était plutôt dégueulasse. Plus aujourd’hui.
Quand les boomers ont pris les commandes, ils ont changé les mentalités. En 2020, le Covid vient encore de Chine, sous la forme d’une grosse grippe, à la différence que son public est ceux qui sont protégés comme le lait sur le feu par l'acharnement thérapeutique, qui fait la fierté de l’Occident. Son talon d’Achille aussi. L’Asie ou l'Afrique, plus jeunes, auraient voulu le faire exprès, ils n’auraient pas trouvé mieux.
Impossible de dire que ça passera. Impossible de comptabiliser les décès en pertes comme on le faisait avec les jeunes en temps de guerre. Le terme pompeux est repris, mais le code a changé. On sait pertinemment que cette épidémie durera deux ans. On sait que le confinement laissera place à une désolation économique plus grande encore que les fosses communes. Mais on est incapable de dépasser le dogme. L'éthique paralyse nos « sachants » et nos décideurs. A tel point que l’on suppose même que nos dirigeants préféreraient le suicide collectif à la trahison de leurs principes. D’ailleurs, ils nous l’expliquent à chaque discours. L’arrêt de l’économie, le confinement général strict, la répression, le traçage de la population, la propagande des chiffres hurlés par mégaphones dans les rues désertes, c’est pour notre bien. Ça va « sauver des vies » et surtout certaines, on l’a bien compris.
Choisir l’avenir
Le confinement permet une chose : réfléchir. On n’a plus la tête dans le guidon. On regarde les nouvelles et on analyse les chiffres. De plus en plus nombreux se rendent compte que l’hécatombe est une imposture et que le problème est l’inadaptation du système de santé face a une population vieillissante et en mauvais état. Dans les vieux pays d’Europe, la pyramide des âges est plutôt inversée. Cela se serait produit de toutes façons, Covid ou pas. Le motton finira par passer le siphon. On ne peut pas prévoir les égouts pour les inondations centennales. On attend le reflux, que tout sèche et on nettoie.
Donc, de plus en plus de gens vont refuser le confinement. Pourquoi obéiraient-ils à des décideurs qui n’ont rien vu venir, qui n’ont rien préparé, qui se sont contredits d’une semaine à l’autre et qui n’ont rien trouvé de mieux que la fuite ? Pourquoi abandonneraient-ils une vie de labeur dans des faillites forcées ? Pourquoi verraient-ils leurs économies fondre dans une hyper-inflation ? Pourquoi accepteraient-ils que leurs enfants soient sacrifiés et lâchés dans un chômage de masse ? Pourquoi permettraient-il qu'un État brusquement totalitaire décide de qui doit sortir, qui doit travailler et où chacun peut aller et pour combien de temps ? Pour « sauver des vies » ? Mais lesquelles ? Celles d’aujourd’hui qui auraient fini demain, ou toutes celles qui se termineront demain à cause des choix d’aujourd’hui ? Combien de millions d’enfants vont crever de faim dans le monde suite à cette crise ? Quel sera l’impact catastrophique de cet arrêt économique sur les autres pays qui n’ont pas de banques centrales pour imprimer de l’argent à gogo ? Que feront ces milliards de gens privés de ressources, à part inciter leurs dirigeants à la guerre ? Est-ce que la raison peut l'emporter sur les violons avant de basculer dans le chaos ?
Pourquoi obéiraient-ils à des gens qui naviguent à vue, qui interdisaient le masque quand il n’y en avait pas et le rendent maintenant obligatoire parce qu’ils en ont trouvés ? Comment supporteraient-ils de se faire verbaliser parce qu’ils vont surfer en hiver ou qu’ils se promènent en montagne ? Comment pourraient-ils croire des spécialistes qui admettent ne rien savoir, mais savent ce qu’il faut faire, chiffres fantaisistes à l’appui ? Comment espérer une sortie de confinement alors que nos tauliers n'ont pas encore reçu les clefs ni ne savent à quoi elles ressemblent ?
La révolte
Hier la menace terroriste ne nous a pas confinés. Nous avons continué nos vies parce que la peur n'écarte pas le danger. Demain, ceux qui auront été infectés bénéficieront d’un certificat d’immunité ; sésame qui leur permettra de sortir de prison. Les autres devront rester dans leur chambre. Pour combien de temps ? Des semaines ? Des mois ? Alors j’imagine très bien qu'ils se révoltent et décident d'enfreindre la prohibition. Ils diront aux « grabataires » de se confiner, de se protéger mais qu'eux reprendront leur vie, avant que tout le monde ne meure guéri. Et s’ils tombent malades, et bien il aura deux issues, comme à la guerre puisque nous y sommes : soit ils survivent, soit ils y restent. Et puisque de toutes façons, il n'y a pas d'autre choix que l'immunité de groupe et que la contagion ne se règle pas comme un mélangeur à eau chaude, il faudra bien y aller. L'examen sera pour tout le monde et le virus sanctionnera. Et ceux qui ne tiennent debout qu'avec des médicaments prendront leur ticket pour Tobrouk.
L’été arrive. Le dé-confinement brutal suivra, comme avec un bouchon de champagne d'une bouteille trop secouée. La vie reprendra, les maires taperont sur la table, les préfets menaceront tout rouge, mais les gens finiront par braver le virus et les sanctions pour retourner à leur vie que l'impéritie des politiques leur aura volée. Et que feront ces derniers ? Ils ordonneront d’arroser à la mitrailleuse la foule désobéissante sur les plages ? Ils incendieront les commerces ? Ils verbaliseront les contrevenants comme on jette des confettis au 14 Juillet ? Ben non. Ce seront plutôt eux qui iront se confiner de peur des représailles. Parce qu'elle était finalement pas trop mal, cette vie d'avant, en comparaison de la dystopie qu'ils nous préparent, avec leurs drones, leur QR codes, leur traçage au smartphone et leur répression à la Robocop pour mieux nous mâter dans notre nouvelle misère, après nous avoir volé nos économies.
Il y aura certes des morts, mais il y aura surtout des vivants et le Covid passera, comme les virus sont toujours passés.
(image : Anne-Christine Poujoulat)
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