Terrorisme : un certaine vue de l’esprit
Un citoyen français a davantage de chances de périr dans un accident de la route que dans un attentat-suicide. Cette précision peut paraître absurde mais elle a un premier mérite : souligner la nécessité de reconsidérer la question du terrorisme en Occident. Cet article ne s’intéresse pas aux origines des terrorismes, pas plus qu’il n’est destiné à les juger : il s’intéresse à étudier l’importance croissante qu’occupe ce « phénomène » en Occident. Bien sûr, cet article ne saurait nier ou minimiser, pour autant, la souffrance des victimes des terroristes.
En cinq ans, le terrorisme islamique a tué un peu moins de
3500 personnes dans les pays occidentaux. 3500 personnes, c’est peu en
comparaison du nombre des victimes de la précarité, des catastrophes naturelles ou des maladies
infectieuses. Pourtant, ces trois derniers phénomènes sont bien moins médiatisés
que le premier. L’explication de cette intense médiatisation tient pour partie
dans la définition que donne Raymond Aron du terrorisme : « Une
action violente est qualifiée de terroriste quand ses effets psychologiques
sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques. » En vérité, les pertes humaines et les destructions
matérielles des attentats du 11 septembre 2001 sont extrêmement faibles en
comparaison d’une guerre. Pourtant, au même titre qu’une guerre, nombreux sont
ceux qui perçoivent ces attentats comme un événement majeur de notre histoire.
L’impact des attentats d’Al-Qaïda peut également être perçu au vu de l’exceptionnelle importance de la production documentaire, audiovisuelle et cinématographique qui
leur a été consacrée au cours de ces cinq dernières années. On peut donc
considérer que la victoire finale demeurera celle des terroristes, dans la mesure où
ceux-ci sont parvenus à marquer durablement les esprits.
Toutefois, ce n’est pas
la seule image des attentats qui est exagérée : c’est toute la symbolique
qui s’y rattache. L’expression « choc des civilisations » a consacré
cette vision d’un Occident menacé par le péril oriental. Pourtant, dans les
faits, force est de reconnaître qu’il n’en est rien. Selon les experts, les intégristes musulmans seraient
au maximum plusieurs centaines de milliers et les fanatiques tout au plus
plusieurs milliers sur une population estimée à un milliard de musulmans.
L’homme de la rue égyptien ou marocain, lui, ne s’émeut probablement pas d’un prétendu choc
des cultures. De fait, Al-Qaïda n’aurait pas besoin d’avoir recours à des actions
violentes et éclatantes, s’il se savait suivi par l’ensemble du monde musulman.
Arme des minorités, le terrorisme est un aveu de faiblesse.
Le terrorisme apparaît
donc davantage comme un phénomène occidental qu’oriental et
les raisons de sa « popularité » sont davantage à chercher à l’Ouest
qu’à l’Est. Al-Qaïda n’aurait jamais tenté des attentats aussi coûteux s’il
n’avait pas pressenti être à même de marquer durablement les esprits
occidentaux.
En premier lieu, la
force du terrorisme islamique revêt en effet une dimension culturelle. Se faire
déchiqueter pour entraîner dans sa mort un maximum d’innocents est un acte qui
ne peut pas rencontrer plus d’échos que dans les sociétés occidentales. Dans
ces dernières, la culture s’uniformise, cependant que s’amenuise l’acceptation
d’autres modèles de société et d’autres formes de culture. Par conséquent, la
retransmission en direct d’avions s’encastrant dans des tours, sur des millions
de télévisions plus habituées à retransmettre des programmes de divertissement
de masse, a eu le même effet qu’une apparition d’OVNI. L’attentat suicide
surpasse notre volonté d’entendement culturel : c’est la première arme des nouveaux
terroristes.
Le phénomène terroriste
revêt également une dimension sociologique plus traditionnelle : la
nécessité de l’altérité. Du temps de la Guerre froide, l’Occident se
définissait par son opposition avec le monde communiste. Cette altérité
confortait le monde occidental dans la construction de son identité et surtout, elle permettait à l’ensemble des citoyens de relativiser les problèmes
internes : chômage ou récession pesaient moins à l’ombre du conflit
nucléaire. Le terrorisme islamique et au-delà, la croyance en un futur choc des
civilisations réoccupent le vide laissé par l’effondrement du monde communiste.
Nombreux sont ceux pensant désormais pouvoir mettre un nom et un visage sur ce
qu’ils identifient comme l’une des plus grandes menaces pour leur monde ;
l’existence d’un ennemi canalise toutes les angoisses collectives et permet de
surpasser ses divisions internes. Dès lors, le terrorisme ne pouvait qu’occuper
une place de choix dans l’imaginaire collectif occidental.
Si l’hyperterrorisme - terme inventé il y a peu - n’existe donc pas, le phénomène d’hypermédiatisation est lui, à l’inverse, totalement pertinent dans le cadre de cette analyse. En effet, le terrorisme contemporain n’aurait pas pu voir le jour sans le poids et les valeurs des médias occidentaux. Le développement d’un journalisme en quête d’une information-spectacle, tant dans ses formes esthétiques que dans sa signification, est un facteur de taille. A la fin du XIXe siècle, il fallut attendre le développement de la presse moderne pour que retentisse l’explosion des bombes lancées par les anarchistes. Aujourd’hui, le principe est le même, mais à la différence d’hier, on peut se demander - non sans impudence - qui, des terroristes ou des médias, fait le jeu de l’autre.
Le terrorisme et son horreur sont des faits qui ne peuvent être niés. Toutefois, il est grand temps que ce terrorisme soit perçu à travers une analyse critique, libérée des émotions et des fantasmes. Ce n’est pas tant en Irak ou en Afghanistan qu’il faut traquer les racines du terrorisme que dans nos angoisses et dans les failles de notre modèle sociétal et culturel.
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