Bonjour, merci pour l’article que je
trouve intéressant, et qui rejoint à bien des égards mes propres
irritations.
Je veux seulement réagir et commenter
la partie « psy », que je trouve caricaturale.
Je suis psychologue. Je bosse depuis 10
ans dans des services d’urgence et de réa, entre autres. Ma
formation de départ est plutôt dans le domaine des neurosciences,
de la neuropsychologie (la relation cerveau/comportement ou
cerveau/cognition, si vous préférez). En fait, je travaille encore
pour le service de neurologie, mais c’est un domaine très différent
de celui que vous évoquez.
Mon boulot dans les services soins
intensifs et urgences est variable. Il s’agit le plus souvent de
gérer le stress des patients et de leurs familles. Il y a toutes
sortes de situations et toutes sortes de techniques, ce serait long à
expliquer. Disons que je sers souvent d’interface entre le monde
médical et le monde « civil ».
J’ai bien entendu souvent eu affaire à
des gens victimes de traumatismes, d’agressions, de deuils, de
catastrophes. Très souvent en individuel, rarement en groupe. Mon
intervention est requise par le personnel médical (médecins,
infirmiers, paramédicaux), parfois par les patients ou par les
familles.
Le boulot de psychologue est complexe.
La psychologie en tant que domaine d’étude et de réflexion regroupe
une multitude de disciplines souvent parallèles et indépendantes
les unes des autres. Certaines disciplines obéissent à des
protocoles de recherche rigoureusement scientifiques, avec mise à
l’épreuve d’hypothèses dans un cadre expérimental strict (par
exemple, les sciences cognitives, les neurosciences du comportement,
les travaux sur l’apprentissage, sur la psychologie sociale...).
D’autres domaines, souvent plus cliniques, sont disons, plus
spéculatifs (par exemple, nombre de méthodes thérapeutiques, parmi
lesquelles des démarches très intéressantes comme les thérapies
brèves). Certains courants sont carrément farfelus et ne possèdent
aucune légitimité scientifique (comme la psychanalyse ; cf
http://www.pseudo-medecines.org/articles.php?lng=fr&pg=26,
par exemple). La perception du travail psychologique est
malheureusement très souvent associée à ce dernier segment de la
profession, et donc, dénigrée. Tout le monde est psychologue chez
lui, donc nous, les hommes de métier, sommes très souvent
critiqués, pour le meilleur et pour le pire.
Il n’y a pas de consensus sur les
méthodes et les objectifs de prise en charge de stress traumatique
(le stress dit « post-traumatique » survient en principe
plus tard, à retardement). Mon sentiment est qu’il y a beaucoup
d’empirisme en la matière, nonobstant la mobilisation systématiques
de « spécialistes » sur les lieux de tragédies. Je ne
parlez donc ici qu’en mon nom.
Le but de mes interventions à
l’hôpital n’est ni la suppression d’un fait, ni son embellissement.
Disons qu’il s’agit d’offrir à une personne une opportunité
d’aborder une réalité a priori choquante et inacceptable,
« indigeste » et « incompréhensible » (accident,
agression) dans un cadre « sécurisé », avec un
interlocuteur attentif et averti. Mon but est de permettre à la
personne d’affronter cette réalité, ou du moins son souvenir. De ne
pas s’en cacher. Ce qui pourrit la vie de quelqu’un, c’est de
consacrer beaucoup d’énergie à ne pas penser à quelque
chose, par peur panique. Beaucoup plus que l’inverse, qui existe
aussi, mais qui est moins grave. L’évitement, c’est la fuite. Et la
fuite, c’est l’angoisse. On peut vivre avec, c’est juste moins
confortable.
Intervenir, c’est tenter de remettre
quelques pendules à l’heure, donner du sens, des sens, permettre un
choix. Par petites touches, par suggestions. C’est semer le doute
dans le malheur, la honte, la culpabilité. C’est semer des petites
graines pour plus tard.
Toute personne « sinistrée »
n’est pas prête d’emblée à ce genre de travail. Ma première tâche
est d’établir un lien de confiance. En même temps, je m’efforce
d’évaluer la réceptivité, l’état de stress du patient. Toujours,
je laisse venir. Souvent, je préfère parler avec les proches, eux
même en demande de conseils. Je m’efforce de leur décrire les
mécanismes en jeu en termes simples, de leur suggérer des attitudes
à tenir, de proposer plusieurs possibilités. Très peu de
directivité, beaucoup de remarques a priori anodines. J’essaye de
créer des conditions où le thème du traumatisme reste malléable,
où il ne se fige pas d’emblée dans une forme menaçante,
culpabilisante. Toujours du sur-mesure, jamais de la confection de
série. Le but est de coller autant que possible au discours, aux
valeurs, aux croyances des gens, pour les tirer vers des zones plus
dégagées. Il ne s’agit pas de leur fourguer un prêchi-prêcha
passe partout, de série, mais de leur ouvrir des portes. Souvent, ne
pas comprendre, comprendre de travers, en touts cas ne pas adhérer
d’emblée aux lieux communs, est la meilleure manière de procéder,
de les aider à se positionner à titre personnel. Candeur et
spontanéité sont les deux mamelles d’une bonne relation de départ.
Il y a des variantes, mais ça serait long à détailler.
Est-ce que ça marche, est-ce que les
gens se sentent mieux ? Je n’ai pas de statistiques, mais j’ai souvent
eu des mercis, parfois longtemps après, au hasard des rencontres.
Parfois dans des cas où j’avais l’impression de m’être
magistralement planté. Et puis finalement, non, ça allait.
Est-ce que je me plante ? Oui, bien sûr.
Mais comme je reçois rarement des lettres d’insulte, c’est plus
difficile à estimer. Il faut vraiment de la maladresse pour empirer
les choses, mais ça a du arriver une fois ou l’autre, des mots
malheureux au mauvais moment. C’est un métier de funambule. Des fois
aussi, je me fais coiffer par des collègues ou par une technicienne
de surface. Le secret des interventions, c’est que les personnes
prennent ce dont elles ont besoin là où elles le trouvent, quand
elles le trouvent.
Est-ce qu’il y a des gens résistants à
la démarche ? Oui, parfois, des irréductibles. Est-ce que ça me
frustre ? Non, pas vraiment ; je suis payé à la journée, pas à la
pièce. Parfois un peu quand même, fierté professionnelle oblige.
Mais des fois, ça devient une private joke, un sujet de plaisanterie
entre le psy et sa proie évanescente.
Est-ce qu’on s’améliore avec le temps ?
Oui et non. On gagne en acuité et trucs du métier, on perd en
spontanéité. On finit par trouver banal ce qui pour l’autre est
tragique, et c’est plutôt un handicap. Mais je respecte toujours mes
patients, des gens ordinaires dans des circonstances extraordinaires.
Si ce n’était plus le cas, je ferais autre chose.
Est-ce que c’est indispensable ? Pour
certaines personnes, ça l’est. Ca leur permet d’avancer, de se
mettre en mouvement, de choisir une direction, d’agir plutôt que de
subir. Elles auraient perdu beaucoup plus de temps autrement.
Certaines personnes ne se relèvent jamais de certains traumatismes.
J’ai vu des vieillards pleurer des événements de leur enfance,
soixante ans plus tard.
Est-ce que c’est infaillible ? Non, la
médecine non plus, l’ingénieurie spatiale non plus. Pas de
complexe.
Est-ce que ça aide le personnel
soignant ? Souvent, la souffrance psychologique est difficile à
traiter, elle déconcerte. C’est difficile d’écouter attentivement
quelqu’un qui souffre et de lire entre les lignes. Mes collègues
sont parfois soulagés de savoir que c’est un autre qui s’y colle.
Une benzodiazépine ne ferait-elle pas
l’affaire ? Honte sur vous. En plus, il y a parfois des effets
paradoxaux. Ou secondaires.
Faut il envoyer les psys en première
ligne en hélico ? Non. Il y a un temps pour tout.
Faut-il attendre que le patient
demande ? Non, c’est bien de tendre une perche. C’est bien aussi de ne
pas insister quand on refuse. Il y a un temps pour tout.
Comment choisir son psy ? Par le bouche
à oreille, ou avec un pendule au dessus de l’annuaire.
Les autorités ont-elles tort de
vouloir bien faire ? Dit comme ça, non. Se dédouanent-elles à bon
marché ? Il faut leur demander.
Ont-elles tort de faire confiance aux
psys ? Hum. Ca dépend.
Voilà. Désolé d’avoir été si long.