Victoire de la laïcité pour la crèche Baby Loup : la reconnaissance d’un remarquable exemple de notre vivre ensemble
La décision prononcée en première instance le 13 décembre 2010 qui avait donné raison à la directrice de la crèche privée Baby Loup dans le conflit qui l’opposait à une employée licenciée pour avoir refusé de retirer son voile en regard de la prise en charge collective d’enfants dans le cadre d’une mission d’intérêt général, a été confirmée en appel. C’est un grand soulagement pour tous les laïques attachés aux droits de l’enfant et résolus à ne pas voir se développer sans limites dans notre société une pression religieuse et communautaire inacceptable, un droit à la différence imposant la différence des droits niant la laïcité.
Après que Mme Baleato ait reçu le prix national de la laïcité 2011 du Comité laïcité République1, le 30 septembre dernier dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris, peu habituée à ce type d’honneur qui marquait l’intérêt des milieux laïques pour sa position courageuse, en ces temps de remise en cause de la laïcité jusqu’à la loi de séparation de 1905 gravement menacée, cette décision a résonné d’un écho tout particulier. Une décision appelée à faire jurisprudence qui se montre d’une portée qui dépasse largement le cadre de cette seule affaire en regard d’une laïcité qui ne cesse d’être attaquée sous le signe des affirmations identitaires.
Une décision exemplaire pour une crèche reflet de ce que notre vivre ensemble a de meilleur
En décembre 2008, une salariée de la crèche Baby Loup à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), de retour d'un congé parental, a fait part à la directrice de sa volonté de porter le voile. L'employée, qui avait le statut de directrice-adjointe, est alors mise à pied après une « altercation », selon les responsables de la crèche, et licenciée pour faute grave le 19 décembre 2008. Le règlement intérieur de la structure interdit le port de signes religieux au nom du principe de « neutralité ».
Dénonçant un licenciement abusif, elle avait saisi le conseil des prud'hommes et réclamé plus de 100.000 euros de dommages et intérêts. Une somme qui, si la crèche avait été condamnée aurait entraîné la fermeture de cette crèche inscrite dans le tissu social local, essentiel à cette ville du 78. Rappelons le caractère exemplaire de cette crèche tel qu’il est souligné dans le jugement : « Elle propose dans un milieu défavorisé une offre d’accueil à la petite enfance et œuvre pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, tout en favorisant le maintien du lien social par des activités ouvertes aux parents et aux habitants de la commune ; qu’ainsi pour répondre aux besoin des parents , la crèche est ouverte 24 heures sur 24. » Elle accueille pour beaucoup des mères seules avec enfants souvent de nationalités étrangères dans le respect des croyances et de la diversité de tous grâce à l’obligation faite au personnel d’un principe de neutralité qui est la manifestation d’un contrat de haute responsabilité citoyenne. Le conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) avait validé en décembre dernier le licenciement pour « faute grave » de la salariée voilée qui avait créé des remous jusqu'au sommet de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde).
La salariée avait ainsi saisi la Halde qui, en mars 2010, avait rendu à contre sens un avis en sa faveur, haute autorité ayant de façon générale malheureusement été dans le sens des revendications identitaires. Contrairement à cette Haute autorité une autre, le Haut conseil à l’intégration (HCI) avait pris une attitude radicalement opposée en soutenant, dès qu’avait été connue cette situation, la directrice de la crèche et son personnel. La Halde avait inversé sa position après que sa nouvelle présidente, Mme Jeannette Bougrab, ait pris ses fonctions.
La crèche a heureusement obtenu gain de cause. A l'audience le 12 septembre, qui avait mis en délibéré sa décision au 27 octobre suivant, la crèche avait reçu le soutien du parquet général qui avait fait valoir le « respect du principe de laïcité mais aussi la vulnérabilité des enfants ». Il avait réclamé la confirmation du jugement de première instance. « C'est une grande victoire pour la laïcité mais c'est avant tout la victoire de Baby Loup. On peut choisir d'imposer la neutralité religieuse et on étend la laïcité à tout le domaine privé, il n'y a pas de discrimination », s'est félicité l'avocat de la crèche, Me Richard Malka. Natalia Baleato, s'est dite de son côté « soulagée après trois ans de procédure. »
La laïcité ce n’est pas la tolérance tous azimuts, c’est l’application d’une règle commune de respect et de modération : « la liberté de chacun commence là où s’arrête celle des autres ».
En septembre dernier, l'avocat Me Michel Henry de la plaignante avait affirmé : « En fait, il ne s'agit pas d'un problème religieux mais d'un problème culturel et même générationnel envers cette première génération d'intégration. Il faut être tolérant (…) Certains veulent faire de cette affaire un combat pour la laïcité mais la laïcité n'est pas l'absence d'expression de ses convictions, c'est la tolérance ».
Le problème, c’est que cet argument de la tolérance au nom de la religion, ou quand cela ne passe pas, de la culture voire de la compréhension d’une certaine génération issue de l’immigration comme l’induit cet avocat, sert en permanence à faire reculer le respect que l’on se doit au sein de notre société en regard des convictions religieuses ou non, les uns envers les autres. Il se trouve que nous vivons dans une société fondée sur le principe de laïcité et non d’une addition de différences se faisant concurrence. C’est bien cela que certains refusent d’admettre à travers cet argument de la tolérance.
Ne nous trompons pas quant à ce que nous devons tirer comme enseignement relativement à cette affaire, qui dépasse effectivement largement le simple conflit de droit conséquent à un motif de licenciement. La demande de celle qui se posait en victime et voulait obtenir la nullité du licenciement le faisait non seulement sur le motif de « discrimination » mais aussi d’« atteinte aux libertés fondamentales ». On voit les conséquences qu’auraient pu avoir une décision de justice qui lui aurait été favorable.
Il était temps qu’une telle décision vienne rappeler les principes de notre Républiques pour laquelle l’égalité des droits est essentielle, et doit suggérer à chacun la modération en matière de manifestation de ses convictions, dans cet esprit de nos institutions qui a nourri ce fameux creuset français façonnant une France de l’intégration et du mélange. C’est ce progrès de la conscience humaine inscrit dans nos institutions à travers la laïcité qu’un certain islam conservateur, dont le voile est le porte-drapeau, entend mettre en cause, que le rejet de se mêler à travers l’obligation par exemple de s’unir uniquement entre musulmans met en lumière. La voilà l’intolérance qui oppose le rejet à l’autre comme l’impur et nourrit comme système le communautarisme et les tensions sociales qu’il engendre.
La liberté effectivement commence là où s’arrête celle des autres en même temps que comme principe collectif elle est aussi un bien commun et donne une responsabilité collective. Il n’y a, de ce point de vue, de démocratie réelle que lorsque le peuple est conscient de ses responsabilités collectives dont la laïcité fait partie sous le signe du triptyque républicain « Liberté-Egalité et Fraternité ».
Le Haut conseil à l’intégration qui a soutenu depuis le début Mme Baleato, a rendu récemment un rapport qui doit pouvoir changer les choses dans le sens de cette décision.
L’interdiction du port de signes religieux dans le règlement d’une crèche privée est licite, a annoncé l’avocat de la crèche Baby Loup, après avoir pris connaissance jeudi d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles sur le sujet. « C’est une grande victoire pour la laïcité mais c’est avant tout la victoire de Baby Loup. On peut choisir d’imposer la neutralité religieuse et on étend la laïcité à tout le domaine privé, il n’y a pas de discrimination », s’est félicité l’avocat de la crèche, Me Richard Malka.
Le jugement se présente sous un jour effectivement d’un grand intérêt. Après avoir rappelé le fonctionnement de la crèche et sa vocation, il poursuit : Considérant que (…) la crèche doit assurer une neutralité du personnel dès lors qu’elle a pour vocation d’accueillir tous les enfants du quartier quelle que soit leur appartenance culturelle ou religieuse ; que ces enfants, compte tenu de leur jeune âge, n’ont pas à être confronté à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse (…) que le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de a crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche (…) que les restrictions ainsi prévues apparaissent dès lors justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail ; (…) La cour, statuant par arrêt contradictoire, confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 décembre 2010… »
Non seulement le jugement valide le règlement intérieur de la crèche qui affirme le principe de laïcité en son sein et par voie de conséquence valide le comportement de neutralité que ce principe commande, mais il l‘établit en rapport avec la tâche à accomplir en reconnaissant ainsi cet article du règlement intérieur comme conforme au code du travail. Il donne tous les arguments pour que cette jurisprudence fasse flores.
Cette victoire converge avec les propositions du Haut Conseil à l’Intégration qui, dans son dernier rapport consacré au thème « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise »2 remis au Premier ministre ce 21 septembre, évoquait précisément la question de la place de la laïcité dans les établissements privés associatifs ou entreprise accueillant des enfants sur un mode collectif : « Dans le domaine particulier de la prise en charge de la petite enfance, qu'il s'agisse du secteur associatif ou de l’entreprise, le HCI, soucieux du droit des enfants et de leur liberté de conscience en formation, propose de prévenir les situations où ceux-ci ne seraient pas respectés. Dans le droit fil de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), et de l’article 371-1 du Code civil qui définit l’autorité parentale, le HCI propose d'affirmer clairement que l'enfant a droit à la neutralité et à l’impartialité. Par voie de conséquence, les personnels des établissements privés associatifs ou d'entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, dans des crèches ou haltes garderies ou, pour les enfants en situation de handicap, dans des établissements spécialisés du secteur privé –hors les structures présentant un caractère propre d'inspiration confessionnelle- se doivent d'appliquer les règles de neutralité et d'impartialité. Elles sont en effet les seules à pouvoir » satisfaire au respect des convictions différentes des enfants et de leurs parents, à l'égale considération de tous. »
De façon plus générale, le HCI défend que le principe de laïcité régissant les services publics doit être étendu aux structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance, chargées d'une mission de service public ou d'intérêt général, hors le cas des aumôneries et des structures présentant un caractère propre d'inspiration confessionnelle. » (pages.18-19)
On remarquera que ce jugement met aussi en lien le respect du principe de laïcité dans cet établissement comme valant pour l’accompagnement extérieur des enfants confiés. Ce qui renvoie au débat autour de l’accompagnement des sorties scolaires par des parents manifestant de façon ostentatoire leur appartenance religieuse comme c’est le cas du voile. Ce qui est interdit aux personnels ne saurait être autorisé pour les autres puisque c’est la nature de la mission, celle de service public laïque, qui induit la conduite et non l’exercice à cet endroit de la liberté individuelle. L’avis rendu précédemment par le ministre Luc Chatel allant dans le sens de l’interdiction se voit ici directement soutenu et trouver un point d’appui non négligeable3.
Les responsabilités de l’Etat en regard du principe de laïcité et l’hommage de J. J. Rousseau à Mme Baleato.
Prenant connaissance de la décision de la cour d'appel de Versailles de débouter la salariée de la crèche Baby Loup, Jeannette Bougrab, la secrétaire d'Etat à la Jeunesse et à la vie associative s'est réjouie de cette décision apprend-t-on par voie de presse. Espérons que cette réaction sera suivie de décisions favorables au respect du principe de laïcité si souvent bafoué sous l’argument d’un respect des différences, alors que l’interdiction de la burqa et du niqab est bien loin d’être appliquée, une pratique qui fait pourtant régresser la condition des femmes, dans le pays des droits de l’homme, au moyen-âge.
Nous préférerons toujours la laïcité qui fait des égaux et invite à se mélanger plutôt que le culte de la différence qui sépare et confine à la création de disparités, d’inégalités de fait entre les individus sous prétexte de reconnaitre le principe des identités comme supérieur à tous les autres. Laisser des corps intermédiaires telles que les Eglises se mettre entre le citoyen et la nation, c’est tout simplement accepter que les individus ne disposent plus de leurs droits et libertés propres mais que des chefs de tribus puissent s’exprimer à leur place. Une situation d’une gravité dont on ne prendra sans doute toute la mesure que lorsque sera pleinement constitué le communautarisme dans notre pays, comme instrument de désordre public.
Pour finir ce propos, cette courageuse directrice de crèche œuvrant avec sensibilité et des convictions bien accrochées dans un quartier difficile qui est un secours pour beaucoup de femmes seules avec leur enfant, qui trouvent auprès d’elle et son établissement associatif un recours vital, un espoir, mérite un hommage, celui d’un grand, un de ceux qui ont éclairé l’histoire de leurs Lumières pour tous les temps à venir. Vous avez la parole M. Jean-Jacques Rousseau ! « Je voudrais qu’on eût dans chaque Etat un code moral, une espèce de profession de foi civile qui contint positivement les maximes sociales que chacun serait tenu d’admettre, et négativement les maximes intolérantes qu’on serait tenu de rejeter, non comme impies, mais comme séditieuses. Ainsi toute religion qui pourrait s’accorder avec le code serait admise, toute religion qui ne s’y accorderait pas serait proscrite, et chacun serait libre de n’en avoir point d’autre que le code même ». (Extrait d’une lettre à Voltaire du 18 août 1756)4.
Bonne continuation à votre équipe et à vous même Mme Baleato.
Guylain Chevrier, formateur et historien, membre de la nouvelle mission laïcité du Haut conseil à l’intégration.
1-http://laicite-republique.org/
2-Rapport élaboré par le groupe de réflexion et de propositions de la nouvelle mission laïcité créée depuis le 14 décembre 2010. www.hci.gouv.fr.
3- http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/port-du-voile-de-parents-lors-des-96648
4- Le citoyen, textes choisis et présentés par Marie Gaille, Corpus, GF Flammarion, Paris, 1998, page 117.
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