Zemmour le Petit
Je ne sais ce qui m’exaspère le plus, de l’indigence réactionnaire du propos de M. Eric Zemmour ou de la connivence médiatique dont il bénéficie. L’ouvrage incriminé (Le Premier Sexe, © Denoël) appartient à une collection intitulée « Indigne ». Le mot est juste. Jugez-en plutôt.
Couple Karembeu : qui est la Belle, qui est la Bête ?
Imaginez un personnage public qui parlerait du couple Karembeu comme d’un « couple Benetton, archétype de fantasme politiquement correct du métissage. Un peu une resucée moderne de la Belle et la Bête. »[1] Ou qui affirmerait tranquillement : « Comme tous les petits mâles depuis le début de l’humanité, les jeunes Arabes ont peur des femmes. Peur de ces machines à castrer. »[2] A l’heure où les médias fustigent un Georges Frêche et ses propos insultants sur les harkis, comment expliquer leur silence sur des écrits aussi infâmants, autrement que par une confraternité coupable ?
Mixité anesthésiante
Selon M. Zemmour, si l’homme se féminise, s’il « a rendu les armes », si « le poids entre ses jambes est devenu trop lourd », c’est la faute à la « mixité généralisée » qui « anesthésie la virilité des petits d’hommes qui ont besoin de s’arracher à leur mère et à ses clones (...) pour trouver leur vérité virile. »[3] Ah ! le temps béni où les puceaux grandissaient à l’écart des filles...
Comme la laïcité un siècle plus tôt, la mixité scolaire constitue un bouleversement majeur : la fin d’un apartheid basé sur le sexe. La découverte que l’humanité est mixte. L’apprentissage nécessaire du vivre ensemble. Est-ce le fait que les filles réussissent mieux (84% des candidates obtiennent leur bac, contre 79% des garçons) qui gêne M. Zemmour ?
A moins que ce ne soit son corollaire, la mixité professionnelle. Aujourd’hui, 80% des femmes françaises de 24 à 49 ans sont actives, intégrant peu à peu tous les corps de métiers. Même le slogan des années 1980 « Police : un métier d’homme ! » est dépassé. En 2015, un flic sur trois sera une femme, contre 4% en 1987.
Les hommes travaillent désormais dans des environnements mixtes où les femmes peuvent être des subordonnées, des rivales ou des complices de même rang hiérarchique, voire des patronnes, développant ainsi une vision du monde et des rapports masculins/féminins plus riches que les générations antérieures. Quand notre auteur se rassure en constatant que les patronnes restent rares, les femmes mal payées, spécialistes de la précarité et du travail partiel, c’est pour en attribuer la cause à ce « modèle féminin qui rejette le pouvoir comme pulsion de mort »[4]. Bref, c’est de leur faute !
Pères "de trop près" !
Question paternité, M. Zemmour déplore que « les hommes [soient] des mères comme les autres. Ils peuvent langer, câliner, et cela les rend heureux, beaucoup plus heureux que leur travail ou leur donjuanisme habituels. (...) Les hommes assistent à l’accouchement de leur femme, sont même présents aux séances d’accouchement sans douleur. Ils découvrent la féminité qui est en eux, ils s’occupent des tout-petits, ils s’en occupent même parfois de trop près, comme le racontera honnêtement Daniel Cohn-Bendit. »[5]
L’homme politique appréciera sans doute le soupçon répété. Quant au lecteur, il goûtera le raccourci honteux qui fait glisser tout père moderne vers une pédophilie latente...
N’en déplaise à M. Zemmour, les hommes sont de plus en plus nombreux à assumer à parité leur rôle de parent. Ces révolutionnaires de l’intime appartiennent à la première génération dans l’histoire qui accède aux joies de la petite enfance. Certes, ils sont encore trop peu à partager les tâches quotidiennes, et de nombreux pères délaissent leurs enfants après la séparation du couple. Il n’empêche qu’une révolution masculine est en route, et qu’elle n’a rien à voir avec une « féminisation ».
Histoires de valeurs
Car il faut dénoncer ce discours sur cette « supériorité évidente » que notre société accorderait aux « valeurs » féminines, la douceur sur la force, le dialogue sur l’autorité, la paix sur la guerre, l’écoute sur l’ordre, la tolérance sur la violence, la précaution sur le risque [6]. L’homme ne vient ni de Mars, ni de Vénus quand il cherche le dialogue plutôt que la force, l’écoute plutôt que la violence, il est simplement plus riche de l’autre et finalement plus intelligent. Comment peut-on encore affirmer au XXIe siècle que le courage, le sens de l’honneur, la pulsion de mort, la projection dans le futur seraient des valeurs « masculines », cependant que la compréhension, la générosité, la pulsion de vie, le souci des autres seraient l’apanage des femmes ? Vivons-nous vraiment dans le même monde, ou l’horloge de M. Zemmour est-elle restée bloquée au XIXe siècle ?
D’ailleurs, c’est bien la nostalgie de l’ordre qui guide notre favori des médias lorsqu’il réclame « la restauration d’un ordre viril à la française »[7] et déplore : « Toutes les frontières sont ainsi abolies, tout vaut tout, plus de sacré et de profane, plus de privé et de public, plus d’indigène et d’étranger, de pur et d’impur. Plus d’homme ni de femme. C’est une société du désordre qui a supplanté une société de l’ordre. »[8]
Au secours, Jean-Marie Le et Philippe de ! Rétablissons l’octroi ! Que l’on rende la France aux indigènes ! Sus à l’impur et vive l’ordre ! Les femmes dans le rang et les hommes au pouvoir...
Comme de nombreux « petits mâles depuis le début de l’humanité » et comme tous les néo-machistes, Eric Zemmour a peur ! Tout simplement le trouillomètre à zéro devant l’altérité. Peur des homosexuels, peur des jeunes Arabes, peur des femmes enfin. Peur de grandir. Peur de partager. Peur de vivre ensemble. Sur ces peurs se sont nourries, durant des siècles, toutes les violences, tous les racismes, toutes les oppressions des hommes sur les femmes et des hommes sur d’autres hommes.
A Gandhi, que Michel Blanc, sur le plateau de Campus, lui suggère comme idéal d’homme, M. Zemmour oppose Bonaparte, confondant ainsi viril et guerrier. Napoléon-Zemmour ? Pourquoi pas, mais alors Zemmour le Petit. Et les journalistes qui ont encensé son talent de polémiste sans l’avoir vraiment lu n’en sortent pas grandis.
Christian Robin
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