Bombarder la Lune
... Afin d’y déceler de l’eau ou de la glace. Telle est la double mission-suicide du LCROSS conçu par la Nasa qui compte vivement établir des bases lunaires vers 2020.
On the Moon for Love
A cause d’une atmosphère inexistante et d’une géologie ennuyeuse, la Lune ne suscite plus aucun intérêt majeur depuis les missions Apollo. Ces dernières décennies, les rouges gorges de Mars n’ont cessé de capter la libido de « la communauté astrobotique » au point que celle-ci nous est désormais plus familière que notre satellite naturel. Depuis peu, la Nasa se réconcilie avec ce brillant et discret amour d’antan, envisageant sérieusement d’y établir une première station habitée vers 2020.
En effet, la Lune est un endroit idéal pour des manufactures à zéro gravité, des mines à l’hélium-3 alimentant les prochains réacteurs à fusion et des sites de lancement plus ergonomiques vers Mars, s’extraire de l’attraction lunaire nécessitant beaucoup moins de poussée que sur Terre. Pour peu que son sol désolé dispose d’eau ou de glace, celle-ci peut être transformée en oxygène pour les stations habitées et en combustible pour les martionefs et les vols retours vers la Terre.
Auparavant, les sondes Lunar Prospector et Clémentine recherchèrent des indices de la présence d’hydrogène (signature chimique de l’eau glacée) dans les pôles lunaires, régions rarement voire jamais exposées à la lumière solaire, autrefois bombardées par des comètes et des météores, parsemées de cratères suffisamment escarpés pour cacher quelque chose. Mais, les investigations des deux sondes ne permirent guère aux scientifiques de se prononcer fermement : peut-être, peut-être pas...
La première étape vers une base lunaire consiste donc à déterminer un site d’alunissage adéquat. D’où le développement du Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) chargé de cartographier l’astre en détail. Réalisant que son lanceur Atlas-5 disposait d’environ trois tonnes de capacité inexploitée, la Nasa passa le mot à ses dix centres de recherche tenus de respecter le dogme : « faster, cheaper, better ».
Ancien de la Silicon Valley passé ensuite chez Ames Research Center, Dan Andrew réunit plusieurs ingénieurs dans un local désaffecté de l’US Navy à San José (Californie). Les membres de la toute nouvelle Blue Ice Team rêvaient tous de créer un engin prospectant quelque eau glacée sous les pôles lunaires. Quel trip ! Grâce au talent relationnel et managérial du chef, l’équipe se trouva un partenaire de poids appelé Northrop Grumman. L’idée d’un rover à la martienne fut d’emblée écartée : dans des pôles sombres oscillant de 300 degrés Celsius, le robotoïde ne survivrait pas. D’où le concept du Lunar Crater Observation and Sensing Satellite (LCROSS) finalisé en 2008, composé de deux modules : le vaisseau-mère Shepherding Spacecraft (S-S/C) et son propulseur Earth Departure Upper Stage (EDUS) ou Centaur qui n’est que le segment fusée du lanceur Atlas-5.
Deep impact
Logé dans l’étage supérieur du lanceur, le LRO sera d’abord satellisé autour de la Lune. Libéré de son compagnon, usant de la force gravitationnelle, le LCROSS pilotera et manœuvrera le Centaur – « telle une VW Coccinelle remorquant un bus scolaire », illustre Dan Andrew – vers une orbite suffisamment étendue pour assurer une collision avec un pôle lunaire. À 36 000 km de la surface lunaire, le Centaur/EDUS se sépare du S-S/C, fonce vers un cratère polaire qu’il percutera à deux fois la vitesse d’une balle de fusil. Equivalent à la détonation d’une tonne de TNT, l’impact provoquera un panache de plus de 6 000 mètres d’altitude dont les rejets retomberont ensuite sur un périmètre de 40 km.
Positionné sur une orbite rapprochée, bardé d’une panoplie d’instruments ultrasensibles (spectomètres, caméras, etc.), le S-S/C analyse la matière éjectée et transmet ses données en temps réel à la Nasa. Sous l’effet de la lumière solaire, les éventuelles molécules d’eau en suspension émettront dans les gammes de l’infrarouge et de l’ultraviolet. Quatre minutes après l’impact, avant que la matière éjectée ne replonge dans l’obscurité, le S-S/C déclenche son programme kamikaze et fonce à son tour vers le point d’impact, « tous ses systèmes à leurs niveaux nominaux » jusqu’au crash final.
Plus loin, le télescope spatial Hubble, divers télescopes terrestres et maints chanceux amateurs ouest-américains en astronomie vivront et analyseront également l’événement entier.
Sonde-suicide à prix cassé
Pour en arriver là, le LCROSS défit plusieurs propositions émanant de centres de recherche à la fois concurrents et partenaires comme le Jet Propulsion Laboratory et le Goddard Space Flight Center. Il fut assemblé en trente mois pour la bagatelle de 79 millions de dollars. Son réservoir provient des surplus d’une société fabriquant des satellites de télécommunications, son avionique est intégralement calquée sur celle du LRO. Les panneaux solaires, les batteries et les protections en aluminium ont été acquis auprès d’un projet multi-satellites abandonné par l’US Air Force, premier client de Northrop Grumman.
La Blue Ice Team et la Nasa savent que la mission ne devra pas nécessairement être parfaite, mais réussir un minimum. Sur ce projet de faible priorité (« classe D » dans la nomenclature interne), l’agence spatiale peut se permettre quelques risques, avec très peu tests préliminaires et de solutions de rechange. Directeur de la division exploration de la Nasa qui accorda son feu vert au LCROSS, l’ex-astronaute Scott Horowitz estime « qu’il faudra s’habituer à procéder ainsi au fur et à mesure de notre progression vers la Lune. Je pourrais tripler le coût du projet pour garantir son succès... Ou introduire trois projets différents. »
En outre, le LCROSS fait office de démonstrateur technologique pour des solutions réadaptables et des modules reconfigurables lors du grand retour de l’Oncle Sam sur la Lune. Afin de paver la voie aux futures colonies, de plus en plus de sondes automatiques et de trains spatiaux orbiteront ou aluniront dans les dix prochaines années. Lancement du LRO et LCROSS prévu pour le printemps-été 2009.
Se rapprocher de la princesse lunaire pour mieux approcher la comtesse martienne, tel serait le credo du marquis terrien.
À propos du LCROSS dans Wikipédia
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