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Accueil du site > Actualités > Technologies > « e-Homo » : retour sur une anticipation

« e-Homo » : retour sur une anticipation

Sur le site armees.com, consacré aux questions militaires, on trouve, entre inquiétudes sur les possibilités de guerres atomiques, articles de généraux salivant à la pensée d’essaims de nano-robots combattants et l’inévitable rubrique « total forme », un article intitulé : « e-Homo : le nouvel homme du futur proche ». Il est signé par Alexandre Nariniani, de l’Institut d’intelligence artificielle de Russie. Je ne suis pas un grand familier des sites militaires, mais je dois avouer que cet article m’a beaucoup impressionné et que je me suis senti obligé d’y réagir.

Que dit-il ? En deux mots, quelque chose dont on entend beaucoup parler depuis déjà un certain temps : que la fusion entre l’être humain et les technologies de l’information (TI) va donner naissance à une nouvelle catégorie d’êtres que l’auteur appelle « e-Homo ». Ce n’est pas très nouveau, de nombreuses œuvres de science-fiction se sont essayées à dresser le portrait d’une telle créature avec plus ou moins de talent. Ce que je trouve nouveau dans cet article est son ton : on ne se situe pas dans le domaine de la fiction, mais dans le domaine de l’induction, assénée avec beaucoup d’autorité par un homme de science (je ne peux malheureusement lire le russe, aussi ne puis-je confirmer si cet homme existe réellement, le seul Alexandre Nariniani dont j’ai trouvé la trace sur internet est un spécialiste russe du bouddhisme).

À bien des égards, je suis d’accord avec son diagnostic, qui vient confirmer et élargir mes intuitions et mes peurs ; la mutation a déjà commencé, les interfaces homme-machine se développent. J’ajouterai à titre personnel qu’un vecteur privilégié de cette mutation est la médecine, selon un schéma dorénavant bien rodé : un cas « héroïque » (maladie, handicap...) justifie la mise au point de nouveaux médicaments ou d’une nouvelle technologie qui sera par la suite étendu à l’ensemble de la population. Le cas symbolique par excellence : le viagra, qui a été introduit pour pallier aux déficiences des hommes âgés et qui est aujourd’hui utilisé comme dopant sexuel par une population beaucoup plus large. On peut se demander ce qu’il adviendra des électrodes implantées dans le cerveau pour soigner les malades atteints de Parkinson ou pour permettre aux amputés de manipuler un curseur d’ordinateur directement depuis leur cerveau.

L’e-Homo : le surhomme, enfin ?

Mais ce ne sont là que balbutiements en comparaison de ce qui, selon A. Nariniani, nous attend :

« 
L’e-Homo » aura accès à toutes les informations et connaissances accumulées par l’humanité, aux technologies globales de calcul et de recherche, aux systèmes d’expertise dans tous les domaines pour faire des analyses, des évaluations, tirer des conclusions et faire des généralisations. En possédant le potentiel d’un individu moyen, cet homme nouveau pourra disposer d’autant de connaissances et de possibilités qu’un (ou même plusieurs) institut de recherche contemporain.
Des micro-robots à l’intérieur de l’organisme humain auront pour tâche de corriger de fond en comble son fonctionnement, d’optimiser le travail de chaque organe, voire de reconstruire l’ensemble du corps humain pour le rapprocher de l’idéal sans faire recours à de longs et fatigants exercices de bodybuilding. »

L’e-Homo est vraiment le rêve de la puissance qui aurait enfin accouché de son « idéal » : omniscience, immortalité et... ubiquité potentielle grâce à la dissolution des frontières entre réel et virtuel  :

« La réalité virtuelle s’impose : aujourd’hui déjà, en tournant un film, on peut représenter tout l’arrière-plan à l’aide de l’ordinateur et ce sera moins onéreux (et plus naturel en apparence) que d’organiser un tournage en extérieur. Attendons encore un peu, et les acteurs vivants seront aussi rarissimes et extraordinaires que l’étaient hier des dinosaures virtuels.
Il n’y a aucun doute que la culture de masse possède tout le nécessaire pour devenir le principal commanditaire de l’informatisation totale de cette sphère, c’est-à-dire, d’elle-même.

La virtualité empiète sur l’univers du toucher et des odeurs, dans la sphère des émotions. Dans l’avenir, il sera possible d’établir un contact direct avec votre proche (ou avec son imitation) à n’importe quelle distance. La nécessité d’une expérience directe se réduit au minimum. Un conducteur débutant pourra avoir ses premiers acquis en sillonnant une Moscou virtuelle dans des conditions qui diffèrent peu des conditions réelles. À l’exception de la possibilité d’avoir un vrai accident de la route.

Demain, une expérience réelle ne sera nécessaire que là où l’objet de l’étude n’est pas encore assez bien analysé pour pouvoir créer sa simulation électronique. »

Il est proprement grisant, pour un journaliste ou quiconque travaille dans la recherche, de lire pareilles perspectives de développement des capacités individuelles de traitement de l’information. Mais le prix à payer sera à la hauteur des bénéfices attendus, comme l’indique le paragraphe suivant :

« Ici, comme toujours, les limites entre l’influence exercée dans l’intérêt de la personne, de la société ou d’une « partie tierce » sont très conventionnelles et présentent des possibilités de manipulation de plus en plus larges.
Dans la civilisation électronique, on observe des éléments manifestes d’anti-utopie : la transformation de l’Homo en « e-Homo » rend la vie d’un membre de la société transparente dans presque tous les domaines, ce qui fait de l’individu un objet idéal d’influence psychologique ou morale visant à le retourner dans le sens voulu
. »

Où les rêves de « transparence » de nombreux groupes contestataires prennent tout à coup des accents étranges... En parlant de contestation, il semble d’ailleurs que la tendance de ma génération à vouloir se réfugier dans la fonction publique pour échapper à la brutalité du marché du travail ne soit pas une très bonne idée : qui dit fonctionnaire dit fonction, et qui dit fonction, aujourd’hui, dit de plus en plus ordinateur :

« Le fonctionnaire ne survivra pas à cette transformation, devenant un élément virtuel d’une bureaucratie électronique, qui sera virtuelle elle aussi : même les bureaux des personnes habilitées à prendre et à concerter des décisions disparaîtront. Ceci est inévitable, car le volume et l’inefficacité de la bureaucratie s’accroissent à des rythmes fulgurants. Elle devient le problème numéro un pour une évolution stable et raisonnable de l’humanité. »

L’extension toujours croissante des domaines à réglementer du fait de la progression exponentielle des connaissances et des techniques corrobore ce qu’il dit. J. Rifkin évoque déjà ce remplacement des salariés par les ordinateurs dans « la fin du travail », bien que l’on puisse reprocher à cet ouvrage une vision trop statique des choses ; plutôt que l’apparition d’un chômage de masse né du remplacement du travail humain par celui des machines (en), il me semble plutôt que ce qui est à redouter, comme le travail et l’utilité restent les valeurs sociales largement majoritaires, est que tout ce qui est encore gratuit dans le monde humain devienne l’objet de relations marchandes. Par exemple, le monde anglo-saxon, en avance de ce point de vue, connaît à la fois une progression terrible de l’isolement individuel (en) et le développement tous azimuts de nouvelles professions du type « life coach » et autres « thérapeutes » ; la relation entre les deux me semble assez évidente. Une relation marchande est une relation fondée sur le contrôle de l’accès à un bien, et il n’y a potentiellement pas de limites au phénomène autres que la capacité de circonscrire et d’exploiter toujours davantage de « champs » (où l’on constate entre industrie pétrolière, agriculture et sociologie une homonymie qui ne doit rien au hasard).

Cette tendance vers toujours davantage de contrôle, consubstantielle au développement du système technicien, est d’ailleurs clairement envisagée par A. Nariani dans son introduction :

« [...]la dépendance croissante de « l’e-Homo » vis-à-vis de son milieu, allant jusqu’au contrôle total. »

Inutile de se projeter jusqu’en 2050, en effet, pour comprendre de quoi il est question ici. Je me souviens très bien de mon premier téléphone portable, il y a dix ans, et de cette angoissante question qui est née avec lui : sonnera-t-il ? Aurai-je la preuve physique, tangible, démontrable, d’avoir des amis ? Ce qui jusqu’alors pouvait être caché ou laissé de côté se voyait tout à coup révélé et affiché avec une précision d’horloger.

Si la dépendance n’était que de type psychologique, elle serait réversible : il est toujours possible, quoique douloureux si la dépendance est forte, d’éteindre son portable ou d’avoir assez de force de caractère pour ne pas se laisser dévorer par ses nouveaux amis numériques (ça n’est pas toujours évident, je crains d’être en train de perdre un ami pour cause de dissolution de celui-ci dans l’univers du jeu virtuel).

Mais elle est, de plus en plus, professionnelle : de nombreux travailleurs ne peuvent que très difficilement se passer des TI pour exercer leur activité ; je passe moi-même la moitié de mes journées devant un écran d’ordinateur pour cause professionnelle et aurais bien du mal à m’en passer sans changer de contexte (quitter la ville). Du reste, nombre d’entreprises offrent ainsi gentiment à leurs salariés des téléphones mobiles, histoire d’être sûres de pouvoir les joindre à tout moment.

Mais dans le cas du cœur de notre sujet, l’implantation de machines dans le corps humain, la dépendance est potentiellement totale, comme l’indiquent Nariniani et le Dr Patrick Barriot, un colonel spécialisé dans les questions de sécurité, qui traçait en annexe d’un article récapitulatif sur les nouvelles technologies l’évolution probable de l’interface homme-machine :

1. La machine restitue des aptitudes perdues ou détériorées
2. La machine améliore les capacités sensorielles ou cognitives
3. La pensée dirige la machine
4. Le cerveau communique avec la machine
5. La machine décrypte les pensées
6. La machine dirige le cerveau

L’on se situe actuellement entre les phases 3 et 4, la suite est encore de la science-fiction. Quoique (en)...

Évaluer les risques

Les auteurs de ces deux articles, qui s’accordent pour signaler l’existence de risques fondamentaux dans cette évolution (le contrôle total de la personne humaine par des dispositifs techniques), se bornent à souligner l’existence de ces risques, sans les détailler. Il faut pourtant le faire ! En gardant à l’esprit que de telles spéculations flirtent dangereusement avec le ridicule compte tenu de l’échelle des problèmes considérés. Je sollicite donc l’indulgence de mes lecteurs... et essaie tout de même.

Un premier point, culturel, concerne ce que je soulignais précédemment au sujet des privatisations successives permises par les progrès de l’exploration techno-scientifique et l’exploitation marchande de ses découvertes (un dicton du business : « once it’s measured, it’s done »). Dans la mesure où qui dit relation marchande dit relation de contrôle, on peut se demander ce qu’un sentiment comme la confiance, la paix intérieure qu’elle procure et la qualité de relation qu’elle permet pourraient devenir dans un monde où chacun sera obligé de contrôler l’intégralité de ses relations aux autres, en permanence. « En politique, tes meilleurs amis sont toujours tes pires ennemis... » (Harry Mullisch, À la découverte du ciel). C’est fondamental, au moins pour moi ; je me sens tout à fait incapable de vivre dans ce genre de société, à moins d’être anesthésié/drogué en permanence de façon à ne plus souffrir du manque de possibilités d’empathie. Je pense ne pas être le seul ; en fait, je pense même que la faculté de se relier « gratuitement » est à la base de toute société. Peut-être est-ce pour cette raison que la nôtre est jugée aussi sévèrement dans le texte de Rajagopal sur les vrais enjeux du « développement » et les ONG du Nord vues par le Sud. Il paraît que seuls les psychopathes sont capables d’avoir des comportements absolument rationnels : ils n’ont pas de conscience, que des intérêts. Cela dit, ce qui est considéré comme une pathologie aujourd’hui pourrait bien ne plus l’être demain et inversement. L’ennui d’être aujourd’hui attaché à des choses anciennes, c’est qu’elles disparaissent vite...

Un second point : les problèmes sanitaires posés par le voisinage de plus en plus étroit entre nos corps et les machines posent la question de la possibilité brute d’une cohabitation entre eux. La polémique qui enfle actuellement sur les effets des micro-ondes hertziennes (GSM, WI-FI et autres standards de la communication sans fil), de la pollution génétique et hormonale, etc. ne présage rien de bon. Pourrons-nous supporter nos implants, ou, à terme, faudra-t-il tout remplacer pour cause de dégénérescence des tissus intermédiaires ?

C’est que, au même titre qu’il est illusoire de parler d’identité strictement limitée à l’individu (nous sommes, corporellement, le fruit de l’interaction entre notre génome et son environnement, et, psychiquement, le fruit de notre insertion dans la culture humaine), il est illusoire de séparer le corps de l’environnement qui le fait vivre. Une différence essentielle entre l’Homo et l’e-Homo, au-delà de leur composition, réside dans le milieu qui permet leur existence. Nous avons avant tout besoin d’un milieu vivant, l’e-Homo a avant tout besoin d’un milieu technique, artificiel (au sens de : créé exclusivement par l’homme)... Les frontières entre le vivant et le non-vivant sont difficiles à tracer et souvent arbitraires, mais une définition revient : est vivant ce qui a la propriété de s’auto-entretenir et de se reproduire en fabriquant ses propres constituants à partir d’énergie et/ou à partir d’éléments extérieurs. J’ajouterais : dans la limite des connaissances actuelles, est vivant ce qui correspond à la définition précédente tout en appartenant à la biosphère terrestre. Notre e-Homo, totalement dépendant de ses producteurs pour la maintenance de ses organes de substitution, me paraît aux antipodes de cette définition puisqu’il ne fabrique pas lui-même ses propres composants. Il n’y a qu’à penser à la durée d’utilisation moyenne des téléphones portables pour comprendre à quelle fréquence il nous sera nécessaire d’aller racheter une oreille - pardon, un implant auriculaire. De plus, s’il est possible de faire survivre de façon autonome un certain temps - et parfois même un temps long - des machines en milieu non-vivant, comme des satellites sur la Lune ou Mars, les hommes n’y parviennent pas de manière autonome : trop d’éléments dont ils ont un besoin vital n’existent qu’au sein de la biosphère, ne serait-ce que les innombrables bactéries avec lesquelles nous vivons en symbiose et qui nous rendent d’innombrables services (sur la peau, dans le système digestif...), et doivent donc être importés de cette dernière.

Depuis que nous considérons que la Terre nous appartient au lieu de l’inverse, nos créations techniques ne cessent de dégrader un environnement dont pourtant nous ne pouvons nous passer, pas plus que nous ne le maîtrisons puisque nous sommes incapables de le dupliquer (cf l’échec du projet Biosphère II (photo)). Les nombreuses espèces que l’on continue de découvrir attestent de ce fait : non seulement nous détruisons, mais nous ignorons ce que nous détruisons. Mais, répondront Nariniani et tous les tenants du transhumanisme, quelle importance ? La technique nous promet enfin de dépasser nos limites corporelles, pourquoi s’interdire de le faire ? Se dépasser, progresser : une vieille lune pourtant ! Qui rappelle l’absurde et éternel combat entre l’épée et le bouclier. Aujourd’hui que l’épée est en mesure de détruire la planète pour de bon, pouvons-nous en tirer les conséquences adéquates ? Le pouvons-nous vraiment L’hypothèse la plus probable aujourd’hui est que même ceux qui ne s’y résoudront pas seront poussés à dépendre toujours davantage des machines puisque nous sommes de toute façon en train de détruire un milieu vivant dont nous ne sommes qu’un maillon et dont nous dépendons absolument sous notre forme actuelle. La vie est mouvement et évolution, la technique est clôture : deux élans de plus en plus contradictoires au fur et à mesure que la technique parfait et étend son emprise.

Une « Migration de la Conscience » ?

Si le milieu change, alors nous devrons changer à sa mesure si nous voulons survivre. Le pourrons-nous ? Cette question en amène deux autres si l’on parle d’un changement radical : existe-t-il une « nature humaine » qui soit indépendante du corps humain, et si oui cette entité est-elle transposable à d’autres « supports » ?

Ce que l’on considère en général comme indiscutablement humain, c’est la conscience de soi, ou représentation de sa propre existence. Ce n’est pas exclusivement humain non plus : on a pu constater l’existence d’un tel phénomène à l’état embryonnaire chez les grands singes anthropoïdes, la notion même de « propre de l’homme » n’est plus considérée sérieusement par les scientifiques (indépendamment de toute considération religieuse). Cette conscience de soi et du monde aboutit à ce que le psychanalyste et philosophe M.  Benasayag nomme joliment la « fragilité  », la perception à la fois de son existence et de la possibilité de sa non-existence. La conscience de la conscience, en quelque sorte. Cette perception de la fragilité des choses, de leur complexité, de leur mystère, de leur beauté... fait tout le sel de la vie humaine, au moins de la mienne. Pourtant, la forme, la nature, la composition, la structure de cette conscience sont l’objet de davantage de questions que de réponses : pour certains psychologues, notre conscience est divisée en conscience langagière et conscience pré-langagière, la première constituant une séparation d’avec la seconde. L’on pourrait ajouter à cela une conscience dite collective, sur le modèle de ce que proposent les psychogénéalogistes (voir à ce propos l’amusant Théorème du Singe)... D’innombrables oeuvres littéraires et philosophiques, et plus récemment scientifiques, traitent de la question : la réponse, et la possibilité même de cette réponse, restent un mystère.

À la question de savoir si cette conscience pourrait être indépendante du corps humain, il me semble que la seule possibilité qui puisse valider une telle hypothèse serait celle d’une conscience purement langagière - ou au moins basée sur un langage, sous forme de programmation - adossée à une puissance de calcul brute. Pensée étrange : notre langage - et ce qu’il permet - est ce qui nous différencie le plus des autres animaux, mais a-t-il encore un sens sans son soubassement animal non-verbal ? Peut-on même l’en séparer ? On ne cesse de découvrir l’importance des formes non verbales de communication : postures, mimiques, gestes, phéromones, coloration de la peau, taille des organes... Une conscience purement langagière serait donc la conscience non d’un corps humain, mais uniquement de l’hémisphère gauche du cerveau, siège supposé du langage et du raisonnement logique, couplée à des appareils de perception et d’émission. Il me semble qu’une composante majeure de notre conscience est absente de ce schéma : le temps. Nous sommes, humains, hantés par le spectre de notre finitude ; croissance, maturation, dépérissement, les trois âges de la vie sont notre lot commun ; ce temps vivant est à la fois cyclique et linéaire, une sorte de spirale... Alors que le dispositif de perception-communication que représente e-Homo ne fonctionne, comme toute machine, qu’au long d’un temps linéaire. Une « migration » de cette conscience du corps humain vers un dispositif technique suppose donc, en l’état des connaissances actuelles (pour autant que je puisse en juger), une perte, un assèchement.

Une autre approche de la « migration de la conscience » consiste à s’intéresser au désir, qui joue un rôle fondamental dans la psyché humaine. G. Deleuze et F. Guattari, dans leur livre L’Anti-Oedipe, parlent d’une structuration machinique de l’inconscient par l’intermédiaire du concept de « machine désirante » ; si ce qui produit le désir est machinique, alors il devrait être possible de reproduire sa structuration. Mais sa teneur, son sens (au sens de sa direction) ? Le désir se forme et s’articule en fonction d’une configuration spécifique, intégrant à la fois sa production immanente et l’objet vers lequel il tend et qui lui est apporté par son environnement (aussi bien naturel que culturel). À nouveau surgit cette question de l’environnement : si celui-ci diffère, alors le désir diffère évidemment aussi. Toute « migration », si « migration » il y a, implique donc une modification profonde de l’objet de désir.

La question d’une « nature humaine spécifique » essentielle et constante, que l’on pourrait du même coup transposer à notre convenance, me paraît ainsi nulle, non avenue et relever d’une forme de superstition ; parler de l’homme comme d’une entité individuelle se suffisant à elle-même n’a pas de sens (sauf pour la propagande publicitaire, mais c’est un autre sujet). Notre e-Homo n’aura de toute évidence ni les mêmes besoins ni les mêmes désirs ni la même conscience que nous. Lui restera-t-il, me restera-t-il, si je suis contraint d’évoluer sous cette forme, quelque chose de ce que j’aime dans ma vie actuelle : la beauté, la fragilité, la joie, l’amour, les illusions à perdre ? Cet e-Homo pourra-t-il encore comprendre ses ancêtres avant de les reléguer au musée ? Notre espèce, l’espèce humaine, pourra-t-elle lui survivre sous une forme purement biologique ?

On peut cependant, et je suppose que c’est ce qui est espéré, imaginer des solutions intermédiaires, comme ne conserver du corps humain que le système nerveux et entourer ce dernier d’artefacts techniques plus puissants que notre organisme actuel (ou au moins capables de résister à des conditions de vie plus dures), en attendant d’« améliorer » ce système nerveux de l’une ou l’autre manière. Peut-être y a-t-il moyen de trouver un modus vivendi entre le règne biologique et le règne technique, le fameux « développement durable » (pour le moment, une blague de très mauvais goût sous forme d’oxymore). Le défi est sans exemple : nous sommes la première société de l’histoire - corrigez-moi si c’est une bêtise - à tenter de s’auto-limiter... Mais, même dans le cas où l’on parviendrait à trouver un équilibre, peut-on réellement penser qu’un système nerveux relié en permanence à des dispositifs techniques et dépendant absolument d’eux pour sa survie pourrait maintenir un semblant d’autonomie ? Croire que ce système nerveux pourrait demain maîtriser son environnement technique revient à faire la même erreur que de croire que nous maîtrisons aujourd’hui notre environnement naturel : nous sommes en interaction avec lui, et il nous maîtrise tout autant que nous le maîtrisons. Pour preuve, les sueurs froides que chacun éprouve en constatant l’ampleur des dégâts que nous lui infligeons et de leurs conséquences... pour nous. La soumission aux lois de la nature n’a jamais été une partie de plaisir, inutile de tenter de dresser le portrait d’une nature généreuse, douce et désintéressée comme on la raconte aux petits enfants des villes. La nature est et reste un endroit aussi beau que dangereux. Mais à quoi bon quitter ce maître exigeant si le prix à payer est un esclavage définitif ? Il n’y a qu’à penser à l’esclavage psychique qu’entraîne la dépendance aux drogues et autres antidépresseurs pour avoir une idée de ce que peut être la dépendance technique...

Si « migration de la conscience » il y a, on peut d’ores et déjà affirmer un certain nombre de choses à son sujet :


- elle sera une modification profonde de ce qui est perçu, assèchement probable de la diversité des sensations contrebalancé par une montée en puissance de celles qui feront l’objet d’une médiation technique ;

cette modification sera sans retour en arrière possible du fait de l’altération de l’environnement vivant qui aura été nécessaire à sa fabrication et à son maintien ;


- cette montée en puissance se fera au prix d’une dépendance considérablement accrue vis-à-vis du système technique ambiant dans lequel nous vivrons.

Assèchement et dépendance collective comme prix de la puissance individuelle : y gagnons-nous ? Une soumission aussi totale au système technicien nous rend-elle réellement plus puissants ?

Surtout : sortir de l’humanité pour se fondre dans la technique sera-t-il possible sans mourir pour de bon ? La question se pose au fur et à mesure que nous développons l’intelligence artificielle. Comme le dit très bien E. W. Dijkstra (en), «  La question de savoir si un ordinateur peut penser n’est pas plus intéressante que celle de savoir si un sous-marin peut nager  », autrement dit compter sur l’éventuelle empathie d’une intelligence artificielle - ou d’un e-Homo entièrement soumis à des impératifs techniques - pour nous préserver est commettre une lourde erreur, du même genre que celle consistant à prêter des sentiments humains à des animaux (l’exemple de Grizzly Man(en), ce militant de la cause animale américain tombé amoureux des grizzlis d’Alaska et dévoré par l’un d’entre eux est éclairant). Même dans le cas où nous parviendrions à reproduire les processus à l’œuvre dans le désir et la conscience sous une forme artificielle, pourrions-nous entrer en empathie avec le produit de notre travail et, surtout, réciproquement ? C’est le rêve esquissé dans le magnifique manga Ghost in the Shell où un programme d’espionnage et de manipulation politique, le projet 2501 (en), atteint ce stade de conscience de soi à force de collecter et recouper des informations. L’issue de la rencontre entre les êtres humains et le projet 2501 est pacifique... mais il pourrait en être autrement. Il s’agit-là d’un pari sur l’avenir, consistant à dire que la conscience résulte d’une puissance de calcul
- ou de formalisation - supérieure. Cela reste à prouver. Rien, aujourd’hui, ne permet d’affirmer qu’une conscience de soi compréhensible par les humains et pouvant comprendre ceux-ci pourrait exister au sein d’un environnement purement technique et donc garantir, sous une forme ou l’autre, la perpétuation de la spécificité humaine sous une forme non biologique...
Au contraire.

« La nouvelle civilisation des "e-Homos" est trop proche pour classer cette question dans la catégorie de la science-fiction. Elle approche, on le sent déjà très bien aujourd’hui. Nous apportons nous-mêmes une contribution à sa formation. »

[...]

« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. »

Cela vaut-il la peine de sacrifier la proie pour l’ombre ? Peut-on empêcher cela ?


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24 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 18 septembre 2007 12:19

    Article que je n’ai pour l’instant que parcouru rapidement(j’y reviendrai),mais il paraît bien informé , en mettant bien en évidence les dangers des technologies développées sans contrôle :

    Les dogmes du « transhumanisme » sont tout simplement terrifiants :

    "Le transhumanisme est une approche interdisciplinaire qui nous amène à comprendre et à évaluer les avenues qui nous permettrons de surmonter nos limites biologiques par les progrès technologiques.

    « Les transhumanistes cherchent à développer les possibilités techniques afin que les gens vivent plus longtemps et en santé tout en augmentant leurs capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles. » (extrait du site "transhumanisme’, cité par l’auteur)

    Dépasser la « finitude humaine », c’est tout simplement délirer...vieux fantasme !



      • LE CHAT LE CHAT 18 septembre 2007 13:22

        Heureusement qu’Arnold est déjà en Californie pour contrer les noirs deseins de Skynet ! John connor avec nous ! smiley


        • Peterson Peterson 18 septembre 2007 14:05

          Le bon vieux mythe de Frankenstein qui revient... Le golem, tout ça... Ça faisait longtemps !

          C’est bien de rester vigilant, mais... ça reste de la même valeur scientifique que « l’abeille tueuse » voir « l’attaque de la moussaka géante ». Le terme l’Intelligence Artificielle, brandit comme le monstre effrayant qui va venir prendre le contrôle de l’humanité pendant votre sommeil n’est qu’un terme grand publique de vulgarisation. On parle beaucoup d’intelligence artificiel dans le jeu vidéo. 90% du temps, il s’agit de scripts. Des séquences d’instructions qui permettent de donner des comportements à un agent de telle manière que l’on pourrait croire à de l’intelligence.

          Certains systèmes sont capables d’apprendre, c’est vrai. On peut citer les réseaux de neurones (champs d’algorithmes très vaste), ou encore les algorithmes génétiques, pour les plus populaires. Ça fait peur ! Ça apprend et c’est inspiré des modèles biologiques comme... l’humain !

          Certes... Sauf que... Là encore, ce ne sont que des modèles mathématiques que l’ont peut dérouler avec un papier et un crayon... Affirmer ou suggérer que l’ordinateur pourrait acquérir une conscience de cette manière, c’est la même chose qu’affirmer que le papier et le crayon pourraient acquérir une conscience...

          Le truc, c’est que lorsqu’un scientifique veut faire parler de lui, c’est toujours pratique de faire dans le spectaculaire.

          Non, comme l’aborde l’auteur, mais de manière assez confuse, au milieu de beaucoup de choses en amalgame, je trouve, le réel danger vient de la confiance que l’on place dans l’outil et dans le média. Ce n’est pas seulement valable pour l’informatique. Quelqu’un qui placerait toute confiance dans la photographie vivrait dans un monde fantastique aberrant.

          Ce qui rentre en ligne de compte, c’est la volonté qu’il y a derrière le média. L’informatique est un média, de plus en plus accessible, il convient donc de rester critique à son égard, mais... c’est tout...

          À moins de se faire lobotomiser, le cerveau humain gardera son sens critique. Et il sera influencé par l’information qui lui est apportée... Il ne s’agit que d’une question de contrôle de l’information.

          Enfin, si ce que vous craignez, c’est une invention humaine qui asservira l’humain au point d’avoir droit de vie de et mort sur lui, de diriger sa pensée, jetez un œil dans votre portefeuille...

          bien cordialement,

          Peterson


          • W. Nepigo W. Nepigo 18 septembre 2007 15:08

            Deux choses dans ce que vous dites :

            - les possibilités de créer une « intelligence artificielle » digne de ce nom. Il s’agit en effet du mythe du Golem, créer ex-nihilo un être vivant ; à ce jour, aucun ordinateur n’a pu passer avec succès le test de Turing. Les choses en sont donc toujours au même point, avec une nuance : il est tout à fait possible de mettre au point des artefacts techniques non dotés de conscience mais dotés de capacités destructrices semi-autonomes. L’armée américaine parle de tester des robots combattants en Irak ; que ces artefacts soient « vivants » ou non n’a d’importance que pour nous, pas pour eux. Un « simple script » peut détruire beaucoup, aujourd’hui...

            - La confiance que l’on place dans l’outil : c’est le scientisme, penser que la technique résoudra nos problèmes, voire même faire de nous plus que ce que nous sommes déjà ; c’est l’option transhumaniste. Le problème n’est pas tel ou tel savant fou, même s’il s’en trouvera toujours : c’est l’étendue politique de cette conception (le « progrès », la « croissance »...) et ses conséquences sociales et environnementales aujourd’hui que nous sommes « mondialisés » : il n’y a plus de zones vierges extérieures, reste l’exploitation à outrance de qu’il y a encore à exploiter et les frontières intérieures. L’invention humaine capable de faire de nous des zombies existe déjà dans nos portefeuilles, c’est absolument exact. Est-il pour autant légitime de lui en donner toujours davantage les moyens ? Quand on voit la capacité de la mentalité marchande à recycler toute contestation en nouveaux marchés... Vous savez, je critique, mais je ne suis pas du tout sûr qu’il soit possible d’y couper, à l’e-Homo...


          • Peterson Peterson 18 septembre 2007 17:35

            Bonjour, tout d’abord, merci de votre réponse, c’est un plaisir que de pouvoir débattre de cette manière, argumentée, plaisante et constructive ! Voilà qui change de précédents articles qui m’avaient mis mal au ventre...

            Un bout d’avis à vos réponse smiley :

            « il est tout à fait possible de mettre au point des artefacts techniques non dotés de conscience mais dotés de capacités destructrices semi-autonomes. L’armée américaine parle de tester des robots combattants en Irak ; que ces artefacts soient »vivants« ou non n’a d’importance que pour nous, pas pour eux. Un »simple script« peut détruire beaucoup, aujourd’hui... »

            En ces termes nous sommes d’accord, mais ce problème n’est pas nouveau : une bombe est un artefact technique non doté de conscience mais doté de capacités destructrices semi-autonomes (voir même complètement autonomes à partir de son largage...)

            Et il n’y a pas même besoin de script pour qu’une charmante « Daisy Cutter » fauche bien plus que des pâquerettes... Nombre de bombes utilisent effectivement des systèmes électroniques de guidage, mais ce n’est pas vraiment ce qui fait la différence en matière de destruction (la bonne vieille peinture - couleur pack humanitaire - des bombes à fragmentation américaines sont bien plus rentables smiley ).

            Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’une arme high tech de plus, ce qui est déplorable, mais qui ne pose pas de nouvelle question par rapport à la bombe atomique ou, bien avant ça, l’usage de l’arbalète... À savoir doit-on utiliser la technologie pour produire des armes...

            Je crois qu’il s’agit d’une fausse question, parce que je crois qu’il est difficile de prôner le combat à poings nus.

            Enfin, peut-être serait-il intéressant de déconnecter le problème de « toujours plus de croissance » du problème « toujours plus de progrès ». J’avoue qu’au vu des ressources malgré tout finies (pas infinies, en somme) que notre planète reçoit je serais d’accord pour remettre le premier en question, mais aller dans le sens d’une progression, ça me semble intéressant.

            Je suis plutôt d’avis qu’une croissance modérée, basée sur l’amélioration (le progrès) de notre capacité à bien exploiter les ressources que notre planète reçoit et non basée sur notre capacité à en consommer toujours plus pourrait avoir sa valeur, même si à ce jour ça ressemble à une douce utopie.


          • W. Nepigo W. Nepigo 18 septembre 2007 18:02

            Merci et... de rien smiley

            Sur votre « douce utopie » : je n’aime pas beaucoup le mot « utopie » (http://jacbayle.club.fr/livres/Utopie/Lapouge.html ), mais je suis d’accord avec vous : il faut trouver d’autres modes comptables.


          • Ed_lou 10 février 2012 12:08

            Je viens de prendre connaissance de cet article très intéressant.

            Toutefois une petite remarque concernant le test de Turing. Votre article datant de 2007, il semble nécessaire de le mettre à jour, même 5 ans plus tard :
            Je vous invite à parcourir ce lien.


            (on appréciera aussi l’emploi du conditionnel dans le titre ! pourtant...) 

            Bien à vous

          • alex75 18 septembre 2007 14:28

            Nous sommes dans une phase d’explosion des connaissances et de certaines technologies. Le phénomène nouveau est la biotechnologie et l’intrication de l’humain et du technique.

            D’où les inquiétudes qui apparaissent : contrôle des personnes par puces, fascisme bio-électronique etc...

            Cependant, on applique souvent un raisonnement arithmétique à ces sujets. C’est une tendance de l’esprit humain , on prolonge inconsciemment les lignes, comme en ce moment avec l’immobilier : plus les prix montent, plus les gens achètent (parce qu’ils « pensent » que ça va continuer à augmenter...).

            Or, si l’on raisonne de manière systémique (dans un système toute action produit des effets pervers et des effets de rétro-action contraires), on peut penser légitimement que l’humain l’emportera sur l’individu bio-tech.

            Pourquoi ? Parce que ce système ne sera pas fonctionnel. Les gens n’en voudront pas, le saboterons, deviendrons dépressifs ou malades, arrêteront de travailler etc.

            Donc, je pense qu’il y a un seuil de tolérance qui sera très vite atteint. Seuls les usages purement médicaux seront acceptés, car financièrement, socialement et culturellement acceptables.

            On voit déjà ce type de phénomène systémique dans le monde actuel : baisse de rendement de l’agriculture intensive par épuisement des sols, perte d’efficacité des antibiotiques qui ont créés de bactéries résistantes etc et donc peut-être bientôt, « gros ras-le-bol » des technologies « inafectives » chez beaucoup d’entre nous... et désir d’une vie plus vraie et naturelle ? Peut-être qu’un jour l’Amour va devenir le truc le plus hype !


            • ZEN ZEN 18 septembre 2007 14:37

              « Donc, je pense qu’il y a un seuil de tolérance qui sera très vite atteint »

              Alex, puissiez vous dire vrai. !..Mais on peut redouter aussi une redoutable anesthésie de l’esprit critique de l’homme. N’est-ce pas déjà en route ?...


              • alex75 18 septembre 2007 15:12

                @ Zen,

                Oui, je trouve que les gens sont particulièrement endormis en ce moment (oserais-je « abrutis » par les médias, la « techno-propagande » etc).

                Mais, la encore, je pense que ce n’est pas linéaire. Les consommateurs apprécient beaucoup les nouvelles technologies numériques, les salariés se posent des questions sur l’évolution du travail, leur mode de vie... rien ne bouge ... mais les changements se font souvent par rupture. Une rupture va t-elle se produire ? Je le crois personnellement mais je ne sais pas quand : dans 5 ans, dans 10 ans peut-être, mais je suis persuadé que l’on reviendra vers une société moins déshumanisée et individualiste.


              • Halman Halman 27 septembre 2007 16:27

                Les consommateurs apprécient beaucoup les nouvelles technologies numériques, les salariés se posent des questions sur l’évolution du travail, leur mode de vie... "

                Oui mais qu’en font ils et comment les utilisent ils ?

                Quand vous vous appercevez que la plupart des agent administratifs en sont encore à croire qu’ils feront de meilleurs documents parce qu’ils auront le dernier monstre quad core à la mode, alors qu’ils ont déjà du mal à se servir correctement d’Excel sur un antique Pentium II sous Windows 98...

                Combien en sont à réclamer un logiciel fabriqué maison en Delphi par le service info de la boite ou de l’administration, mais tellement mal foutu que quasi inutilisable, plutôt que d’apprendre à se servir d’Excel et vont jusqu’à ignorer qu’ils peuvent eux mêmes rapidement concevoir les logiciels dont ils ont besoin avec le Visual Basic d’Excel ?

                Quand aujourd’hui encore les agents que je forme en sont encore à me parler de leurs inquiétudes du genre « c’est pour mieux nous fliquer, c’est pour virer du personnel... ».

                Et les cadres de se pavaner avec leurs portables mieux que celui du chef et de ramener leurs sciences avec des termes technos à la mode bidons s’imaginant impressionner le sous fifre, sortant sans broncher des énormités du genre « je travaille en mode sans echecs c’est plus rapide... », alors qu’en fait ils en sont strictement au même stade d’apprentissage du logiciel que leurs agents de leurs services...

                Ils apprécients leurs gadgets qui leurs permettent de regarder des vidéos, écouter leur musique, mettre la photo en 32 millions de couleurs des gosses en fond d’écran, mais dès qu’il s’agit de ne plus se servir passivement du pc mais d’en prendre le contrôle et de concevoir soit même ses documents et applications, on se heurte à un mur chez 99% des agents.

                Faire un pps comique avec un ramassi de photos douteuses trouvées sur le net et le faire circuler dans la boite par email, là ça marche, ils adorent, ils savent tous faire.

                Mais leur parler d’Excel et VBA pour programmer ce dont ils ont besoin pour travailler, ça les gave.

                Malgré qu’ils travaillent avec Windows, la plupart sont incapables de mettre leurs documents en multi fenêtres et travaillent encore en document plein écran, exactement comme s’ils travaillaient encore avec des documents papiers.

                Quand ils passent devant mon bureau et qu’ils voient 4 applis différentes sur mon écran, tous épatés quand je leur parle du alt+tab.

                Quant à faire un glisser déposer d’une fenetre à l’autre sans passer par copier sur un papier les données, c’est encore exceptionnel de le voir faire.

                Résultat, l’informatique était censée rendre plus pratique et plus productif tout en rendant quasi inutile les documents papiers, mais comme la plupart des gens n’ont strictement rien compris à l’utilisation de leurs pc, c’est l’inverse qui se produit.

                Et on les entend le midi ou à la pause café, s’étendre en poncifs niais sur l’Intelligence Artificielle, ignorant jusqu’à l’existence des algoritmes génétiques.

                « Je crois que dans une cinquantaine d’années, il sera possible de programmer des ordinateurs de telle sorte qu’ils joueront si bien au jeu de l’imitation qu’un interrogateur moyen n’aura pas 70 chances sur 100 de faire la bonne identification après cinq minutes de questionnement.

                Je crois qu’à la fin du siècle, l’usage des mots et l’opinion générale des personnes éduquées aura changé si complètement que l’on sera capable de parler de machines qui pensent sans s’attentre à être contredit. »

                Alan Turing, 1950.

                Pour la première phrase on y est (des agents administratifs ont été remplacés par des systèmes experts, et les collègues ne se sont apperçus de rien pendant des mois), mais pour la deuxième, en 2007 on en est encore si loin.


              • TALL 18 septembre 2007 14:41

                Militairement, dès qu’on aura la vraie IA ( intelligence artificielle ) les purs robots seront bien + efficaces et + costauds que les hybrides. Il n’y a donc aucune crainte à avoir, on sera tous exterminés par de vraies bonnes machines du terror smiley


                • TALL 18 septembre 2007 22:52

                  En me relisant, je constate que mon 2e degré est mal placé.

                  En réalité, moi je crois à la paix par la dissuasion. Et selon cette logique : au + l’arme est terrifiante et précise, au mieux c’est. Puisque l’effet de peur diminue le risque de devoir l’utiliser, et si on doit l’utiliser quand même, sa précision diminue les dégâts non voulus. Ainsi selon ce double critère, l’arme cybernétique s’avèrera nettement préférable à l’arme nucléaire. Le Cruise-missile est une bonne avancée dans ce sens. Mais ce n’est encore rien par rapport à ce qu’on pourra faire avec la vraie IA ( quand elle sera là ).


                • Halman Halman 27 septembre 2007 17:15

                  Machines fabriquées par des gens comme vous et moi, persuadés du bien fondé de leurs innovations technologiques qui permettront d’envoyer des robots se faire massacrer plutôt que des soldats humains.

                  J’en connais, quand je leur demande ce que cela leur fait de savoir que les missiles qu’ils fabriquent vont finir par tomber sur des civils et des militaires français, on me répond des choses du genre « oh tu sais avec de bons avantages sociaux comme la crèche pour les gosses on ne pense plus à ces choses là. »

                  On comprend donc comment la bombe atomique et les camps de concentrations ont pu être conçus, par toute une armée de gens faisant correctement leurs boulots à leurs niveaux, ignorant le but final.

                  Remarquez que les drones de combats aériens seront tellement faciles à abattre en combat tournoyant par un pilote de chasse un tout petit peu expérimenté.

                  Drones dont il faudra encore des siècles d’apprentissage et d’innovations pour être capables de se comporter avec doigté humain afin de ne pas envoyer ses missiles sur des civils, afin de savoir détécter une situation psychologiquement complexe, s’y adapter et réagir en conséquence et ne pas faire de conneries qui meneront à une agravation du conflit.

                  Et quand ces drones seront au service d’intentions du genre fabrication d’armes massives, de politiques d’erradications, que feront ils ? A moins que les concepteurs aient déjà imaginé ne pas les doter du moindre niveau de conscience, tellement plus faciles à manipuler. Comme le bon humain faisant son travail quotidien sans se demander à quoi cela sert il.

                  http://www.jean-michel-truong.net/

                  Aller à la page du livre Totalement Inhumaine dont le premier chapitre est en ligne.


                • zelectron zelectron 18 septembre 2007 20:04

                  C’est pourquoi prémonitoirement « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » reste la clé d’une sagesse que je commence à percevoir « mise à mal ». Le programme des militaires basé sur la justification du « si vis pacem » interprété à la seule aulne de l’ambition, devoyé par des politiciens sans scrupules peut amener effectivement un cataclysme en ce qui concerne l’humanité. Mais, il y a un mais, l’homme dispose d’une arme de paix redoutable : il est extraordinairement irrationnel dans la quête du bonheur et à ce titre peut déployer des trésors d’intelligence que même l’« IA » ne pourra jamais atteindre. In fine c’est le bien qui triomphe du mal, 1000 pas en avant de progrès avec 999 pas en arrière depuis l’aube des temps se soldent par un tout petit pas en avant malgré tout.


                  • ZeusIrae 18 septembre 2007 21:46

                    Avec tout le respect que je dois Rabelais,la science n’a pas de conscience.

                    Une machine a vapeur n’a aucun message moral ou politique quelconque.Elle existe,point. Son utilisation génère des effets certain voulu et d’autre imprévu.Les sociétés attribuant à ces divers effets une valeurs positives ou négatives.

                    De même que des auteurs ont passés leur vie à haïr la société industrielle,certain haïrons la société numérique.Celle-ci aura ses effets positifs et ses effets négatifs dont la perception dépendra de la culture de chacun.

                    Je ne vois aucune raison de craindre par avance l’avènement cet hypothétique e-Homo.Il ne plaira pas à tout le monde,le reste de l’humanité s’en accommodera ou posera les limites.

                    Personnellement j’applaudis à l’idée de pouvoir être branché en permanence à google.Ce serait très pratique même si j’aurais des motifs légitime pour m’inquiéter de la sécurité de mes données personnelles.C’est e-homo me rappelle étrangement Ghost in the Shell.


                    • W. Nepigo W. Nepigo 18 septembre 2007 23:04

                      C’est l’éternel problème quand on parle de la technique (la science, c’est autre chose, c’est l’ensemble des connaissances que l’on peut tenir pour vraies). Parce qu’elle n’est ni bonne, ni mauvaise en elle-même, on s’imagine qu’on a résolu le problème en disant que tout dépend des utilisations qu’on en a. Or elle n’est pas neutre, au sens où sa présence ou son absence ne changerait rien : l’ensemble des techniques, leur masse, leurs effets de système, ont des impacts énormes, aussi bien sur l’environnement au sens large (réchauffement climatique, extinction des espèces, etc.) que sur nous-mêmes (structuration du travail, « bougisme »...), pour revenir au sujet de l’article. Indépendamment de toute considération éthique ou morale. Personne n’a décidé d’exploiter l’ensemble des ressources naturelles de façon à les épuiser ! C’est pourtant ce qui arrive...


                    • Halman Halman 27 septembre 2007 17:29

                      Avec tout le respect que je vous dois, la science est au contraire un niveau de conscience supérieur acquis par une curiosité sur la Nature qui est tout à notre honneur par rapport aux animaux.

                      Je parle évidemment de la science de la curiosité des lois de la nature, comme par exemple l’astrophysicien qui se questionne sur le fonctionnement de l’univers.

                      Hors dans le mot science, la plupart des gens n’y voient que les applications technologiques barbares du quotidien, du genre de votre transistor qui vous a donné vos home vidéos, vos chaines hi fi, vos balladeurs pour vous couper du monde dans la rue, conçus à partir de lois de physiques qui ont valu des prix Nobels de physique.

                      Rabelais ne dit pas que la science est sans conscience, mais que la science FAITE sans conscience est ruine de l’homme.

                      Ce n’est pas du tout pareil.

                      Une machine a vapeur n’est pas un simple tas de feraille qui se meut selon des lois mécaniques pour laquelle on l’a formatée.

                      Elle porte un message tellement plus lourd de conséquence que ce que la plupart des gens imaginent.

                      De la pierre de silice de l’âge de pierre au silicium des ordinateurs, entre les deux il y a votre machine à vapeur, qui permet la fabrication de machines outils permettant la fabrications d’ordinateurs.

                      Machines à vapeur autour desquelles toute une industrie, par conséquent toute une sociologie, se sont créés. Au passage industrialisation aussi des campagnes, avec des moissonneuses à vapeur.

                      Si, votre machine à vapeur est porteuse de bien plus de message que la plupart des gens ne l’imaginent.


                    • Halman Halman 27 septembre 2007 15:50

                      http://www.automatesintelligents.com

                      Excellent site sur l’actualité de l’intelligence artificielle.

                      Car quand je lis des choses du genre « aucun ordinateur n’a encore réussi le test de Turing... »

                      oups...

                       smiley


                      • W. Nepigo W. Nepigo 29 septembre 2007 12:22

                        Merci de vos réactions - je vais me procurer le livre de Jean-Michel Truong. Concernant le test de Turing, j’avais lu ici http://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Turing#Pr.C3.A9dictions_et_tests qu’aucun ordinateur ne l’avait jamais passé de façon satisfaisante ; le prix Loebner dont il est question spécifie la même chose... Vous avez des infos là-dessus ?


                      • Alexe 30 septembre 2007 08:51

                        Bonjour,

                        Je retiens entre autres de cet article une petite phrase concernant l’influence rétroactive de ce concept sur la culture de masse : « Il n’y a aucun doute que la culture de masse possède tout le nécessaire pour devenir le principal commanditaire de l’informatisation totale de cette sphère, c’est-à-dire, d’elle-même ».

                        Quand j’entends ces mots, je pense toujours à un bouquin utile et facile à lire de Christopher Lasch, « Culture de masse ou culture populaire », publié chez Climats.

                        Je ne résiste pas à l’envie de vous en citer quelque passage.

                        Celui-ci concerne un vif débat entre Lasch et Gans, un autre penseur qui ne voit pas le problème :

                        « Non seulement Gans surestime l’étendue des choix disponibles, mais il rend insignifiantes les questions en jeu dans le débat sur la culture de masse en les réduisant à des questions de goût. Les critiques de la culture de masse, pense-t-il, veulent imposer leurs propres goûts raffinés aux membres de la société qui sont moins aisés et moins éduqués, mais qui ont le droit d’avoir des goûts peu intellectuels et une culture qui »renvoie à leurs propres expériences" (...)

                        Entre d’autres termes, la culture de masse ne pourrait devenir une question politiquement préoccupante que si le ministère de la Santé certifiait, non seulement que le consommation de sous-culture est destructrice pour l’esprit, mais également que ceux qui fabriquent cette sous-culture la mettent délibérément au point pour qu’elle ait des effets mortifères". 1981

                        Qu’il y ait d’autres aspects développés par l’article dignes de s’inquiéter, je n’en disconviens pas. Mais cette terrible constatation que sous couvert de « nouvelle culture » on fasse gober n’importe quoi, au détriment de l’environnement et de la santé publique, à cette « culture de masse » qui, Mc Do à la main et Marc Lévy dans la poche (pour ceux qui trouvent encore le courage de lire), me désespère totalement.

                        Quid de la perfectibilité de l’homme qui n’atteindra jamais la perfection naturellement, n’étant pas là ce qu’on lui demande ? Quid du Beau, du Bon, du Juste, de l’Erreur aussi, parfaitement défendable du point de vue épistémologique et humain ? Se prendre pour Dieu, concept... humain, est vraiment ce qui me terrifie le plus dans la section des nouvelles technologies. On ne peut s’empêcher de se poser la question du progrès dans cette histoire, qu’est-ce que le progrès ? le progrès est-il nécessairement bon ? etc.

                        Si quelqu’un a des avis sur la question je suis preneuse, j’aimerais ne pas crever seule face à mon écran en attendant que l’on me le greffe au bout du bras, ce qui ne serait ni pratique, ni esthétique (j’ai déjà d’assez jolis bras, merci).

                        A bientôt,

                        Alexe


                        • zelectron zelectron 30 septembre 2007 15:54

                          Si j’ai bonne mémoire (je ne suis pas un e-homme) : voir un roman de SF le cerveau de Silstar de M.A. Rayjean (1965)

                          Rem. j’ai lu à l’époque un peu plus de 3000 romans, et feuilleté le double (tout en poursuivant mes études... ou l’inverse...)

                          Ceci m’amène à dire que l’originalité est très relative dans la prospective technologique, il suffit d’oublier 20 ou 30 ou encore plus d’années pour s’exclamer c’est nouveau ça vient de sortir ! On progresse oui mais d’une quantité epsilon, et sur des bases antérieures.


                          • Nek_Azul Ferratus 1er novembre 2007 19:29

                            Le contrôle, mot ou concept c’est une clé. On introduit une certaine distance n’est ce pas ? Avec vous même en vous greffant des bio ou nano- technologies. Tient donc des électrodes comme vous dites si ce n’est pour parfaire l’évolution c’est pour guérir. L’être humain ne se suffit plus à lui même il lui faut des trucs et des bazars pour s’inter- connecter ou appréhender le réel. Quant vous parlez d’expérience réelle et de simulation électronique, je vous dis que les choses sont déjà en cours. L’impasse a déjà été faite sur des devenirs possibles de l’espèce humaine au profit du choix de certains. Paranoïa ! , tu parles c’est la vielle rengaine du contrôle. Je m’amuse et je souris quant je me dis que la démocratie n’a servit finalement qu’a nous faire une transition douce vers je ne sais quel système totalitaire. En plus j’ai une certaine peine à constater que la propension humaine est la soumission plutôt que la liberté. Mystère de la Vie, de la Conscience, de l’Ego, de l’Ame. Simplifions les choses ! Au besoin par des mutations forcées ou accompagnées génétiques ou culturelles : Vive l’E- Sapiens Sapiens ! Mais franchement quant on réduit l’humanité à rien, quel et l’intérêt de contrôler Rien. Moralité les adeptes du contrôle sont au stade l’infantilisme, de la rétention et de l’expulsion anale freudienne. Honte à nous de nous laisser faire. Parenthèse : les école marxistes, néo- marxistes, ou encore l’école allemande ont bien décrit le devenir du capitalisme qui ressemble à sa caricature. Ceci dit le capitalisme est le système qui convient le mieux au Contrôle, (ressort principal du monde vivant), car il fait une place au plaisir.

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