La spéciation, et le flou du concept d’espèce
Suite à un commentaire vraiment trop long dans l’article Préfixe "évoluer" de l’Enfoiré, voici un article sur l’un des facteurs qui a mis Lamarck dans le doute vis-à-vis du concept d’espèce fixe, puis a nourri Wallace et Darwin sur le sujet de l’Evolution des espèces. Avec, en exclusivité sur Agora Vox, des extraits du dialogue entre Dieu et Adam lui-même lors de la distribution de nom à toutes les espèces.
Mais avant tout, un scoop qui n’en est pas un :
Le concept d’espèce... n’est rien d’autre qu’une commodité pratique. Déjà Lamarck, qui occupait la chaire de zoologie des animaux inférieurs, en observant des séries de fossiles de mollusques présentant des changements graduels, se demandait s’il s’agissait vraiment d’espèces différentes, ou alors si des mollusques avaient pu être modifiés au fil des couches géologiques qu’il observait. Ce qui l’amena à énoncer « La nature n’a fourni ni classe, ordre, ni genre, ni espèces constantes [...] les espèces se fondent les unes dans les autres. »
Darwin, lui, en lieu et place des pinsons (qui ne sont là que pour amuser la galerie de l’évolution) s’est intéressé aux pigeons. Membre d’une société colombophile de Grande-Bretagne, il se rend compte que présenté comme des individus sauvage, un ornithologiste hésiterait certainement à les classer tous dans la même espèce. Il consacre d’ailleurs plusieurs pages à leur sujet dans l’origine des espèces. Pareil pour les botanistes : l’un de ses collègues dénombre cent quatre-vingt deux plantes anglaise, et un autre deux cent cinquante et une. L’un de ces messieurs serait-il distrait ou l’autre fumerait-il certains de ses sujets d’étude ? Même pas. Simplement, de nombreuses formes sont dites « douteuses » faisant qu’on a du mal à dire si ce sont vraiment des espèces ou juste des variations. (Dans le même ordre d’idée, on pense tous savoir ce qu’est un chien, mais comment prouver sans les croiser qu’un caniche nain et un molosse sont de la même espèce ?)
D’où cette affirmation du grand Charles :
« [le concept d’espèce] est arbitrairement donné par pure commodité. »
Mais pourquoi faire un article là-dessus me demanderez vous ? Si une bande d’autistes se met à baver parce qu’une piéride du choux ressemble comme deux brins d’herbe à la piéride du navet ou l’inverse, il n’y a pas de quoi le crier sur les toits. Me direz-vous. On paie vraiment les chercheurs à rien foutre ! Et bien, justement, si.
Les plus dévots d’entre vous et les hellénophilles auront néanmoins détecté une odeur de soufre : les espèces, dans les deux cas, sont supposées parfaites : pour les croyants fidèles car elles ont été crées par Dieu, qui fait forcément les choses à la perfection, et pour les Grecs qui concevaient l’espèce comme un concept abstrait plus ou moins bien incarné par tous ses représentants.
Lamarck, puis tous les transformistes après lui, tireront la même conclusion : S’il y a un flou c’est qu’il y a des variations parfois très importantes entre individus. Si elles sont si importantes que ça, pourquoi pas des transformations au fil du temps ?
Ça y est, le sujet est lancé, et ça va donner un sacré chaos, à défaut d’un chaos sacré comme nous allons le voir.
Reconnaissons au moins un point positif au concept d’espèce : de mon strict point de vue d’étudiante, il préserve la santé mentale des biologistes débutants, en particulier pour les spécialistes de la cladistique. Depuis Dobzhansky, on définit souvent une espèce comme « un ensemble génétiquement fermé », mais les choses se sont de temps à autre (en fait, souvent) révélées plus compliquées que ça.
Mais revenons à nos deux stars comme promis : Dieu et Adam. Dieu va rendre visite à son protégé, qui a beaucoup de boulot depuis qu’Il lui a confié la tache de trouver un nom à toutes les créatures qu’Il a créé. Aujourd’hui, Adam a juré comme un charretier en guise de convocation, ce qui ne place pas Dieu dans les meilleures dispositions de son esprit saint. En plus, la première chose qu’il aperçoit dans l’Eden, c’est Adam, s’épongeant le front, les yeux cernés par la fatigue, qui fait vite connaître au Seigneur son petit souci :
« - Voilà... J’ai d’abord établi deux espèces de platanes : l’une en Amérique du Nord, Platinus occidentalis et Platinus orientalis en Europe de l’Est.
- Pas mal. C’est du bon travail, mais pourquoi m’appeler pour ça ? Tu sais que je n’aime pas qu’on invoque mon Nom à tort et à travers !
- Oui, bien entendu, mais voilà heu... les deux ont l’air bien distinct comme ça : Séparés par un océan et des milliers de kilomètres. Mais mis accidentellement en contact... » Adam respire un grand coup « - Elles se croisent très bien. Et ce croisement donne des plantes fertiles avec des caractéristiques intermédiaires. »
S’ensuit un petit silence sur l’Eden, uniquement entrecoupé par le petit gazouillis des oiseaux qui ont tout l’air d’avoir été lobotomisés pour l’occasion.
« - Et alors, gros malin ? Mets-moi tout ça dans une même espèce, et ça ira aussi bien !
- Enfin... Séparées par un continent entier... Pas du tout la même allure » Adam marmonne dans le vide. Dieu est retourné à ses anges chantant ses quantiques. Adam se gratte la tête en se disant quelque part, que s’il est fait à l’image de Dieu, ça soulève des questions concernant leurs capacités intellectuelles réciproques.
Un peu plus tard, Lilith, sa première épouse, vient le trouver. Dans ses bras, elle porte quelques dizaines de tritons qu’elle dépose sur l’herbe. Ceux-ci, s’alignent devant le premier homme. (En ces temps là n’oubliez pas que tout est au service de l’Homme pour qu’il en ait le moins à faire possible à part donner un nom aux délires personnels du créateur. C’est pourquoi Lilith est venue le trouver plutôt que de l’appeler sur tout les tons pour qu’il vienne la voir.)
« - Je crois qu’on a un problème. » Fait-elle sans préambule.
« - Comment ça ? » Adam est encore chamboulé par la dernière intervention divine et n’a vraiment envie qu’elle lui rajoute des soucis. Mais trop tard, Lilith a déjà commencé.
« - J’ai examiné deux de tes espèces de tritons », explique-elle. « Triturus marmoratus et Triturus cristatus. Tu vois de quoi je parle ?
- Je dois déjà les nommer tous alors pour ce qui est de retenir les noms ensuite ... Mais vas-y. Qu’est ce qu’ils ont ?
- Ils se croisent entre eux et ça donne des hybrides ». Elle désigne du doigt deux couples de tritons, puis deux autres qui se placent devant eux. « ça, ce sont leurs descendants. Le mâle est stérile...
- Ouais, normal » Répond machinalement Adam. Réalisant soudain que si elle avait précisé le mâle, c’est qu’il y avait un problème quelque part. « - Et la femelle ?
- Elle est fertile. Si elle est croisée avec un membre d’une espèce, puis ses filles avec les membres d’une autre espèce et ainsi de suite, on aboutit au bout d’un moment à des mâles fertiles. Je crois que ça fait une troisième espèce faisant la moyenne des deux, ou quelque chose comme ça. Il y en a un sur deux milles tritons, à peu près. Je propose qu’on l’appelle Triturus blasii, ça sonne bien...
- Non, mais ça va pas la tête ? » Adam est horrifié. « -Tu sais que tu critiques Son travail ? Il est très susceptible ! Oh, et puis qu’est ce que tu as à me piquer mon boulot et à encourager les croisements contre nature entre tritons franchement, t’as que ça à foutre ? Casse-toi pauvre conne ! »
Sur quoi, Lilith lui colle une baffe retentissante, prend ses tritons sous le bras et va rejoindre les démons qui depuis déjà un moment lui promettaient une place en or dans leur start-up.
Cela dit, Adam commence à se demander si Dieu ne se foutait pas un peu de sa gueule. En plus, il lui reste encore les insectes à faire et d’après un travail préliminaire, il y en a un million d’espèces, au bas mot. Il n’est pas sûr d’avoir tout compté. Mais bon, c’est sa mission et il doit la mener jusqu’au bout : même s’il veut bien entendre qu’il y a des problèmes il n’a aucune intention de modifier les définitions en cours d’application.
Quelque temps plus tard, Dieu lui présente Eve, version un peu plus réussie selon lui : belle pour qu’il puisse l’aimer, et stupide pour qu’elle puisse l’aimer. Bon, par contre elle n’est pas aussi efficace que Lilith quand il faut s’occuper des animaux. Sa spécialité semble plutôt aller à la botanique, sans doute parce qu’elle-même est une belle plante alors que Lilith était une vraie tigresse. Adam par précaution, planqua derrière un séquoia géant l’histoire des platanes.
Alors qu’il règle laborieusement leur compte aux Argus (pour être classé, ces papillons des montagnes doivent généralement être tués, sinon il n’est pas possible de distinguer les différentes espèces qui se ressemblent très fortement), il sent une drôle de présence à côté de lui. Et devant lui se matérialisa un très bel ange mais aux ailes noires comme le ventre d’une Drosophila melanogaster. (Il en savait quelque chose, ça avait été un vrai chemin de croix pour distinguer les drosophiles, des mouches très proches les une des autres). Mauvais signe ça, il avait reconnu Lucifer. Le Porteur de Lumière avait chuté il y a déjà un moment et n’était donc pas en odeur de Sainteté auprès du patron.
Pire encore, il était suivit par une dizaine de souris du genre Peromyscus. Adam poussa un gros, gros soupir.
« - Ouais, c’est pour quoi ?
- ça fait plaisir de voir tellement de joie à me voir arriver. Bonjour également », répondit Satan. Il tiqua un peu en se rendant compte qu’Adam n’avait pas encore été confronté au concept d’ironie.
- Ton ex tenait absolument à te montrer quelque chose. Je me suis proposé pour faire la commission.
- La salope. Je suppose que je n’ai pas le choix ? Vas-y mais fait vite s’il te plait, j’ai encore les piérides à distinguer après.
- Alors laisse-moi te rafraîchir la mémoire : Peromyscus maniculatus a 4 sous-espèces : borealis, nebrascensis, artemisiae, sonoriensis. Cette souris vit en Amérique du Nord. Artemisiae et borealis ne se croise jamais, on est bien d’accord ? »
Adam sentait qu’il allait bientôt subir un revers monumental sans pouvoir l’éviter. Il acquiesça prudemment :
« - Oui, et alors ? C’est normal.
- hé hé, tous les autres croisements sont possibles par contre et vont donner une descendance fertile : nebrascencis avec artemisiae, sonoriensis avec borealis, borealis avec nebrascencis, nebrascencis avec...
- C’est bon merde j’ai compris : Artemisiae et borealis, si elles ne s’envoient pas en l’air, fricotent indirectement par leurs voisines qui déjà, ne devraient pas ! Bref c’est un vrai capharnaüm !
- Tu m’ôtes les mots de la bouche. Et dire que Lilith prétend que Dieu t’as rendu stupide afin de pouvoir faire ce travail de romain, quelle mauvaise langue... »
Sans lui laisser le temps de répliquer, Satan disparaît dans un nuage de soufre du plus bel effet mais qui ne sent pas la rose. Adam sent qu’il n’en peut plus.
« - Non » gémit-il. « - Tant pis : maintenant je m’en lave les mains !
- Ce n’est pas une très bonne idée mon cœur » Répond Eve qui elle non plus ne comprend pas très bien le second degré ou le sens figuré. « - Elles poussent dans l’eau de mer. Et je crois qu’on a de gros problèmes.
- Allons donc.
- Tu te souviens des Spartines : Spartina maritima a 60 chromosomes, et est européenne. Spartina alterniflora est Nord-Est américaine avec 62 chromosomes. Elles peuvent avoir un descendant : Spartina anglica, à 122 chromosomes, parfaitement viable et si fringant qu’il menace de combler tout les estrans vaseux où il s’installe et je me demande comment on va s’en débarrasser ! Il menace les autres plantes présentes !
- Je vois qu’on va devoir en appeler au Patron. Tant pis...
- Et ce n’est pas tout : nous utilisons du blé tendre qui est hexaploïde : six jeux de chromosomes au lieu de deux. Le blé dur a 4 jeux (et pas des petits chromosomes en plus, mais des très gros !). Comme si plusieurs graminées avaient réussi à se croiser et à donner un truc viable et fertile ! Tu y crois à ça ?
- Par pitié, lâche ce tas de plante, c’est tout ce que je demande... Tiens c’est quoi en dessous ?
- Une pomme. Oh, ne te fâche pas elle n’a pas grand chose d’extraordinaire. Mais elle a un bon goût et depuis j’ai le cerveau qui picote, alors je te conseille de goûter...
- J’en ai marre des végétaux et du reste. Fais-moi fermenter tout ça, ce soir ce sera cuite pour Bibi. »
Sur cet intervalle, vous aurez sans doute saisi le principe : si chacun a une idée de ce qu’est une espèce (les chiens n’accouchent pas de chat paraît-il) au niveau des espèces très proches, les choses se compliquent grandement, car un début de spéciation a déjà pu se produire sans se terminer ! Mais comment en arriver à des situations pareilles ? Et pourquoi est-ce possible ?
Alors déjà voyons ce qui empêche l’hybridation :
Il y a deux grandes catégories : l’isolement avant le zygote (l’embryon quoi) et après le zygote. Pour fabriquer un hybride, il faut passer déjà toutes ces barrières :
Isolement pré-zygotique
- _isolement géographique : les deux espèces ne sont pas au même endroit (votre contact sur internet vit en Nouvelle-Zélande, vous en Islande)
- isolement écologique : sur un même milieu, les deux espèces vont occuper deux microenvironnements différents : Un gammare (petit crustacé) vivra dans l’estran vaseux dans la zone de marée, et un autre en dessous de celle-ci. Vous adorez les cafés les soirs de foot, votre amour inconnu et impossible ne jure que par les musées.
- isolement temporel : elles ne sont pas au même endroit au même moment (vous fréquentez le café les soirs de foot, lui lors des soirs de rugby). Variante : vous êtes du soir, il est du matin = ceinture pour les deux.
- _isolement mécanique : chez les espèces ayant besoin d’un accouplement seulement : quelque chose rend l’accouplement impossible : C’est assez rare. J’aimerais bien qu’un spécialiste canin me dise si le croisement chihuahua /saint-bernard est encore possible. Pour le reste, inutile, je pense, de vous faire un dessin.
- _isolement éthologique : quelque chose ne correspond pas dans le signalement pour l’accouplement : l’odeur, la parade sexuelle, le chant. (Vous savez maintenant pourquoi le militant de l’UMP que vous aviez réussi à rencontrer depuis Meetic n’a pas l’air emballé devant votre sérénade reprenant magnifiquement l’Internationale : les signaux ne correspondent pas...)
- _Isolement gamétique : au niveau de Mr spermatozoïde et Mme ovule, ça manque d’atomes, de molécules pardon, crochues : elles ne « collent pas » et la fusion est impossible. Cas chez des oursins par exemple. Heureusement pour eux, en un sens, car en lâchant leurs gamètes à tout vent dans l’eau de mer, il n’y a pas beaucoup d’autres isolements possibles.
- Isolement post-copulatoire pré-zygotique : il y a accouplement, mais le sperme est toxique pour les voies génitales de la femelle, voir provoque des réactions allergiques.
L’isolement post-zygotique :
- Premier problème : le nombre de chromosomes ne correspond pas : ce n’est pas trop gênant chez les plantes qui là-dessus, sont beaucoup plus souples que les animaux (voir Eve et les spartines). Ça ne veut pas dire que ça va tout le temps marcher, mais on a la preuve sous le nez (les allergiques aux graminées me comprendront, merci le blé) que cette technique a réussi accidentellement plusieurs fois.
- Ce qui crée des ennuis, c’est que les chromosomes doivent s’apparier deux à deux lors des phases de division cellulaire et tout cela demande une bonne coordination. Si elle rate, l’embryon ne parviendra vraisemblablement pas à terme.
- Dans le même son de cloche : lors de la fusion des noyaux gamétiques, le noyau femelle peut être trop rapide ou à l’inverse, en retard sur le noyau mâle. La synchronisation n’aura pas lieu.
- Maintenant, si malgré tout l’embryon se développe : peut-être n’arrivera-t-il pas à terme de son développement (mort au stade fœtus, larve, têtard)
- Ou alors il sera stérile, pour la même raison que la division cellulaire : les chromosomes doivent pouvoir correspondre parfaitement pour un bon résultat.
Bon, maintenant que nous avons vu qu’Adam n’a sans doute pas existé (sinon le pauvre aurait certainement prôné la destruction du monde et refusé de faire des enfants à Eve), voyons le cœur du problème ou « comment arrive-t-on à un tel merdier ? »
Messieurs Mesdames, voici donc enfin la spéciation
Petit rappel ; il existe quatre forces majeures en génétique des populations :
La migration (si vous êtes fan d’Hervé Morin, c’est à peu près ça sauf que ça concerne tout déplacement avec échange de gamètes, si vous partez souvent en voyage diplomatique en Argentine et que vous rencontrer un bel argentin que vous ramenez dans vos valises, ça marche aussi).
Bref, elle homogénéise les populations par l’apport de nouveaux allèles.
La mutation : apparition spontanée de nouveaux allèles par des accidents dans le système de réplication cellulaire.
Sélection naturelle : les allèles améliorant la survie et/ou la reproduction augmentent avec le temps en proportion dans la population. A noter qu’il peut y avoir un équilibre mutation/sélection dans la population faisant persister des maladies génétiques, avec autant d’apparitions d’allèle que de disparitions : Ainsi, il y a plus d’une centaine d’allèles connus pour donner la mucoviscidose.
Dérive génétique : elle agit surtout dans les petites populations : l’histoire du « une chance sur deux » de transmission d’un allèle à vos enfants, ça ne marche pas à tous les coups car ce n’est qu’une statistique : le hasard fait que vous pouvez transmettre plusieurs fois le même allèle (et avoir plusieurs gamins handicapés par la même occasion, il faudrait en faire quelques dizaines pour vraiment observer la statistique prévue : une mal-chance sur quatre prévue pour la mucoviscidose par exemple). Si vous n’êtes pas convaincu, vous pouvez faire des jets de dés ou lancer des pièces en l’air un petit nombre de fois pour vous faire votre propre idée. La dérive implique qu’un allèle neutre, faiblement favorable ou défavorable peut se perdre/se fixer (avoir le monopole) dans une population de petite taille et ça par le seul hasard des croisements.
Ne vous inquiétez pas, j’arrive au cœur du sujet (ce n’est sans doute pas trop tôt)
1) population initiale : on part d’une seule espèce, bien définie en un lieu donné.
2) Séparation : elle peut être allopatrique (deux populations de taille équivalente) ou péripatrique (une grande population et une petite isolée).
Elles peuvent être séparées par le changement de climat qui va séparer des populations (à la dernière glaciation, l’Italie, l’Espagne et les Balkans étaient des refuges pour les espèces tempérés qui de là ont recolonisé l’Europe), ou la dérive des continents (séparation de l’Afrique et de l’Amérique du Sud). C’est d’ailleurs si important qu’on a consacré une discipline entière à ce propos, la biogéographie, qui fait le lien entre les espèces et leur distribution spatiale (je dis les espèces mais on s’intéresse de fait plutôt aux niveaux au dessus : genre, classe, famille, etc)
Si vous avez bien compris les forces expliquées plus haut, à partir du 2) rayez la migration : les populations sont séparées, celle-ci n’agit plus. Et donc la mutation, la dérive (surtout dans le cas de la spéciation péripatrique) vont agir et modifier la composition allélique de manière aléatoirement différente sans contrepoids. La sélection naturelle, selon la nature de l’environnement, pourra éventuellement s’exercer dans des sens différents.
3) Au bout d’un certain temps, on peut obtenir deux espèces proches : si celles-ci se rencontrent à nouveau, ça peut donner :
_Une « zone de tension » : les deux espèces exploitent toujours les mêmes ressources et le même terrain mais sont génétiquement incompatible : elles ne peuvent cohabiter au même endroit : soit la ligne de démarcation ne bouge pas, soit l’une plus compétitive va supplanter l’autre.
_la fusion des deux populations (cas des corneilles qui en Italie ont un collier blanc et sont noires unies en France : il semblerait qu’elles vont finir par se fondre l’une dans l’autre).
_deux espèces qui exploitent des milieux un peu différent : un oiseau va préférer les arbres à écorce lisse, son cousin celles à écorce rugueuse.
_la spéciation peut ne pas être terminée et donner des hybrides. Si ceux-ci sont désavantagés, la sélection naturelle favorise les parents sachant discerner leur propre population. (observé chez des grenouilles australiennes : les grenouilles femelles du sud différencient très bien les mâles de leur population et ceux du Nord, avec qui les têtards n’arrivent pas à la fin de leur développement, tandis que les femelles du Nord faisaient la confusion plus facilement mais dont les hybrides parvenaient tout de même à finir leur développement).
A ce stade là, on emploie les termes de « complexes d’espèces », « semi-espèces », « races géographiques », « sous-espèces » pour parler de ces situations un peu compliquée où il est difficile de dire qui est quoi. Ce sont des cas qui n’ont rien de marginaux tant qu’on parle de groupes vraiment riche, malheureusement ceux-ci ne font pas partie de notre quotidien aussi sont-ils peu remarqués : le geai des chênes a 28 sous-espèces en 8 groupes, il y a 7 perdrix du genre Alectoris.
Je terminerai par un mot pour les racistes plus ou moins avoués d’Agoravox qui ne manqueront pas de rappliquer avec la subtilité et le tact qui les caractérisent « mais alors l’Arabe qui habite près de chez moi, il est d’une sous-espèce différente ? ».
Si vous avez suivi ce que j’ai indiqué dessus, et que les mots Poitiers, Le Cid, Caravanes marchandes, Reconquista et Colonisation vous parlent (au moins le dernier, ça doit quand même vous parler, ou alors je ne peux plus rien pour vous) vous disent quelque chose, ça veut dire qu’il n’y a jamais eu de démarcation nette suffisamment longue entre les différents peuples pour que l’on puisse parler de sous-espèce ou de début de spéciation. Après, le fait qu’il y ait des différences entre les humains ne veut pas dire qu’il y en a venant d’un groupe supérieur à un autre (ces groupes étant très flous : si vous pouvez remonter jusqu’aux celtes, j’ai le regret de vous apprendre que ce sont de sales envahisseurs venus faucher le terrain à d’anonymes habitants ayant laissé les dolmens).
Sur ce, j’espère avoir apporté ma contribution aux amateurs de biologie sur la façon dont se créent de nouvelles espèces.
Sources : Cours de biodiversité de Patrick de Laguerie, maître de conférence à Lille 1
Blondel : Biogéographie. Approche écologique et évolutive, 1995.
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