Le livre de M. Behe sur l’intelligent design enfin disponible en version française
Le grand public a certainement entendu parler de l’intelligent design et du livre publié en 1996 par Michael Behe, biochimiste américain par qui le scandale est arrivé. Il aura fallu attendre 13 ans afin que le texte soit accessible dans une traduction française proposée chez un éditeur dévolu aux livres portant sur les questions religieuses et spirituelles. En octobre 2009 est paru aux Presses de la Renaissance le livre intitulé « La boîte noire de Darwin », dans la collection Science et quête de sens ; avec comme sous-titre, L’intelligent design, un sous-titre inventé dont on devine qu’il a été suggéré par l’éditeur pour booster les ventes. Le procédé est courant et n’a pas à être condamné. Un bandeau présente cet ouvrage comme le livre qui a osé défier Darwin et provoquer la controverse. Rien de tel qu’une bonne controverse pour apparaître dans les médias et se faire connaître. Hélas, je crains que la célébrité de ce livre ne repose pas sur une avancée scientifique majeure mais une controverse dont on sait qu’elle se déplaça sur le terrain de l’enseignement de l’évolution aux Etats-Unis. Au final, le succès de ce livre, vendu à quelques centaines de milliers d’exemplaires aux States, tient au scandale qu’il a provoqué et non pas à son contenu scientifique qui de fait, se trouve mis à l’index. En France, une certaine pensée unique a pilonné les idées de Behe sans que le lecteur puisse disposer du livre pour qu’il se fasse une idée. C’est là un mal bien français. Les intellectuels médiatiques livrent la doxa et l’hérésie. L’affaire est maintenant réparée et chacun pourra se faire une idée du contenu scientifique proposé dans la boîte noire.
Encore faudrait-il qu’il y ait vraiment un contenu scientifique méritant une attention soutenue. Je donne un avis personnel. Ce livre est en fin de compte plutôt classique et convenu. Je m’en suis procuré un exemplaire dans l’édition anglaise il y a quelques années et j’avoue l’avoir survolé, n’y trouvant rien de bien extraordinaire. Sans vouloir dénigrer l’ouvrage, je dois dire qu’il expose, dans de longues pages, des données biochimiques assez évidentes et connues de tout étudiant de licence en biologie. Néanmoins, ces exposés assez roboratifs servent une thèse centrale originale. Cette thèse, c’est celle de la complexité irréductible. En quelques mots, cette notion signifie que l’état complexe d’un dispositif biochimique ne peut être expliqué à partir d’antécédents moléculaires soumis à des transformations progressives. Autrement dit, un système irréductiblement complexe n’a pas de précurseurs fonctionnels, ainsi que l’explicite Behe (Darwin’s black box, chapitre 2) en usant d’images techniques simples, comme peut l’être un piège mécanique à souris, instrument fait d’assemblage d’éléments dont l’articulation mécanique réalise une fonction. Behe évoque alors un autre piège à souris, par exemple l’usage d’une trappe contenant de la glue. Il n’y a pas de transformation conduisant du piège à glue vers la tapette. Et c’est pareil pour la motocyclette qui, réalisant une tache équivalente à celle de la bicyclette, ne peut être issue d’une transformation effectuée en modifiant le bicycle. Il faut ajouter un moteur. En ce sens, si la bicyclette est un précurseur conceptuel de la moto, elle n’en est pas un précurseur au sens physique, et darwinien. Ainsi, on peut comprendre que l’homme puisse construire des systèmes irréductiblement complexes, mais la nature, si elle est régie par les règles darwiniennes, ne peut créer ce type de systèmes. Il faudrait alors trouver une instance concevante, capable de construire les premières molécules douées de vie. Pour le dire autrement, l’explication de la vie a besoin d’un principe étranger au darwinisme pour devenir clair aux yeux de l’entendement. Il existe donc une « puissance concevante » dans la matière. C’est tout ce que l’on peut déduire de l’exposé de Behe.
Le livre de Behe gravite autour de cette notion de complexité irréductible, et s’avère stimulant mais il enfonce peut-être des portes ouvertes car son argumentation n’est pas nouvelle. On peut la déceler chez un critique de l’évolution comme Denton, que Behe occulte, comme il le fait avec Kimura qui lui, a proposé une théorie neutraliste qui elle, lance un défie au sélectionnisme darwinien. La théorie de l’intelligent design porte sur l’essence et l’origine de la vie et se situe sur un autre champ conceptuel que l’évolutionnisme. Behe n’a pas défié Darwin contrairement à l’effet d’annonce. Que ceci soit clair, Darwin ne s’est pas posé la question de l’origine de la vie. Le ressort de la pensée de Behe tient en une idée. C’est l’allégorie de Paley qui est reprise, non pas au niveau de l’organisme mais sur le plan des macromolécules. Paley avait imaginé un promeneur rencontrant des pierres, puis une montre, et saisi d’étonnement, au point de conclure que ces rouages précis supposent qu’il y ait un créateur. Behe nous sert le même raisonnement. Il ne nie pas l’évolution mais déplace la conjecture de Paley, évacuée par Darwin grâce à l’évolutionnisme, au niveau moléculaire, c’est-à-dire au moment des origines de la vie. Et si c’est un Dieu qui intervient, alors ce Dieu est un grand architecte, comme au moment des Lumières, mais un grand architecte qui conçoit au niveau moléculaire, alors que celui des Lumières, vénéré par les Francs-maçons, réglait le mouvement des astres.
Si on voulait situer la thèse de Behe dans un contexte épistémologique, on la placerait au rang des réflexions d’ordre méta-physique telles celles conduites par un Trinh Xuan Tuan à propos du principe anthropique, conduisant vers une méditation sur le réglage des constantes physiques ajustées de telle manière qu’elles offrent les conditions d’apparition de la vie, et ce, au niveau des atomes. D’où la question : qui est ce Concepteur qui règle les constantes permettant de générer les atomes et leurs lois chimiques ? Et dans le cas de Behe : quel est ce Concepteur qui permet aux molécules de s’assembler en dispositifs macromoléculaires si complexes au points qu’on doive concevoir une complexité irréductible ? Si on veut trouver un Dieu dans ce type de réflexion, ce Dieu est physique, ou alors chimique, mais rien à voir avec le Dieu des Ecritures qui lui, parle à l’homme, se veut tantôt moral et juridique, tantôt mystère.
La boîte noire de Darwin ouvre des questions. C’est un livre tourné vers l’avenir. Il se peut qu’il n’y ait pas de réponses mais en aucune manière, ce livre ne justifie une régression scientifique et intellectuelle servant le créationnisme qui, en tant que doctrine sur l’origine des espèces, est absolument fausse. La récupération de Behe par les fondamentalistes s’est avérée improductive. Le livre a certes gagné en succès médiatique mais son propos et ce vers quoi il ouvre a été complètement occulté. Cet état de fait en dit long sur la confusion régnante actuellement, notamment aux States mais aussi en Turquie, pays où un autre fondamentalisme a récupéré l’intelligent design. La « boîte noire de Darwin » a été instrumentalisée pour satisfaire la frénésie intégriste de religieux ayant pris Darwin comme symbole de l’anti-religion et du déclin de la foi ; mais ils feraient mieux de s’interroger sur la responsabilité des prélats dans ce phénomène, tout en observant avec intelligence la société et sa nouvelle religion économiste. Quant à la France, elle a sa longue tradition rationaliste mais au lieu de servir de levier cognitif et de bouclier anti-dogme, c’est une raison étriquée, opérant dans des milieux déculturés en philo, histoire et épistémologie, qui a mis au rancart le livre de Behe.
En conclusion, l’étude livrée par Behe ne défie pas Darwin et d’ailleurs, pourquoi vouloir le défier ? Le seul enjeu de l’évolution est d’élaborer une théorie plus convaincante. Einstein a déboulonné Newton sans pour autant remettre en cause l’héliocentrisme. Si Darwin est le Newton de la biologie, alors, nous attendons le Einstein de l’évolution. Les marges de manœuvres théoriques, philosophiques et scientifiques sont présentes actuellement et le contexte est prêt à basculer pour un nouveau paradigme.
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