Micro-stocks et banque d’images, le juste prix d’une photo
Les "micro-stocks" proposant des images pour un ou deux euros jouent avec le droit. En essayant de s’exonérer de toute responsabilité, et de se poser comme intermédiaires, alors qu’elles sont vendeurs, soumises au cadre juridique qui protègent les consommateurs, elles prennent des risques financiers réels.
Mais peuvent-elles toujours vendre aussi bon marché en appliquant la loi ?
Très Web 2.0, la banque d’images en ligne propose une énorme collection d’images pour des prix "dérisoires", entre 1 et 3 euros.
Une révolution profonde dans le marché de la photographie, et une perte sèche pour beaucoup de photographes qui vendaient de la photo d’illustration. Leurs prix semblent tellement élevés, face à ces stocks tellement immenses de plusieurs millions de photos... le public se fixe une valeur "une photo pour mon site web, c’est 1 euro", et le petit webmaster refuse d’acheter plus cher.
Mais le client sait-il ce qu’il achète ? Et achète-t-il réellement ce qu’il croit ? Des photos libres de droits ?
Comme d’habitude, on ne lit jamais les petits caractères...
Les micro-stocks jouent avec la loi
Prenons deux exemples, Fotolia et Shutterstock.
Leurs conditions générales de vente reprennent la même clause essentielle, qui les dégage de toute responsabilité.
Pour résumer un paragraphe issu du droit anglo-saxon, "nous dégageons toute responsabilité de l’utilisation faite des images que nous vous vendons. Si vous êtes poursuivi par les auteurs ou les modèles d’une image que nous vous avons vendue sans en avoir le droit, nous n’y sommes pour rien. Si des gens utilisent une de vos images, en l’ayant achetée chez nous, sans en avoir le droit, nous n’y sommes pour rien, débrouillez-vous".
Ca ne marche pas comme ça.
Fotolia se protège encore plus, en disant "notre relation contractuelle est celle avec un entrepreneur individuel, et elle est soumise à la loi de l’Etat de New York", et quel petit webmaster "pris" pour quelques photos ira engager une procédure à New York ?
Or, on ne peut pas forcer la main comme cela. Il ne suffit pas de déclarer que votre partenaire est entrepreneur, un particulier le reste, aux yeux de la loi française. Pour être professionnel, il faut être légalement enregistré comme tel, avoir un numéro Siret, ou autres, pouvoir émettre des factures.
Un particulier peut même vendre des photos, en toute légalité, tant que sa cession de droits reste faible par rapport à son revenu total.
Et la loi française protège le particulier face au professionnel comme Fotolia, qui essaye de l’impressionner ou de lui forcer la main.
Donc un client particulier peut parfaitement se retourner contre son fournisseur d’images, choisir sa juridiction (la France en l’occurrence) comme l’y autorise le code de procédure civile, et se retourner contre eux.
Parce que lorsqu’on annonce partout sur un site qu’on vend des photos libres de droit, que c’est marqué en gros sur la page d’accueil, prendre un air dégagé et botter en touche lorsqu’il y a un problème, cela s’apparente à de la publicité mensongère.
La deuxième fragilité des micro-stocks, c’est la LCEN.
Celle qui a fait condamner Fuzz.
Comme les banques d’images sélectionnent les photos proposées à la vente, comme elles tentent de s’assurer des droits (avec, par exemple, des formulaires pour transmettre les autorisations des modèles), comme elles refusent des photos lorsqu’elles craignent que des droits ne soient pas respectés, elles sont manifestement éditeurs, et pas hébergeur.
Et donc n’importe quel photographe ou modèle peut les attaquer, au lieu de se retourner uniquement contre l’utilisateur final.
Pourquoi ?
Parce qu’il est sans doute plus intéressant de demander des dommages sur la base de la totalité des ventes, que pour une seule… parce qu’une banque d’images est plus solvable qu’un particulier, et parce que le juge a de fortes chances d’être plus sévère vis-à-vis d’un professionnel que d’un particulier.
Il pourra aussi les assigner en France, où la loi sur les droits d’auteurs est différente de celle du "copyright" américain (la première protège les droits de l’auteur, la deuxième gère l’utilisation et la "copie" d’œuvres publiées).
Leur irresponsabilité est une des conditions de base de leur modèle économique
Alors que faire ?
Il y a des banques d’images qui s’assurent des droits de ce qu’elles diffusent. Cela implique des vérifications a priori (par exemple, en demandant les fichiers RAW, avant retraitement, qui sont l’équivalent de la pellicule photo) et une très bonne preuve que vous êtes l’auteur de la photo.
Mais les vérifications demandent du temps, de la gestion, du personnel.
Adieu la photo à 1 euro !
Au client de choisir : acheter une photo 20 ou 30 euros, comme chez Licence Photo, avec un usage limité, acheter une photo avec un usage large chez Getty Images, ou acheter une photo sans être sûr de ce qu’on achète, ni de ce qu’on risque à l’utiliser chez un micro-stock ?
De la même façon, on peut, en fonction de ses besoins, acheter une Rolls, une petite Fiat, mais est-ce qu’on achèterait une voiture à un garagiste qui vous dirait "elle marche, p’tet ben qu’oui, p’tet ben qu’non, et la carte grise, elle est vraie, p’tet ben qu’oui, p’tet ben qu’non, mais de toutes façons moi je ne vous vends rien je n’y suis pour rien".
Place de marché ou vendeur ?
C’est le grand argument, Fotolia et les autres tentent de se présenter uniquement comme des intermédiaires, comme des places de marché, ils évoquent le modèle d’E-bay.
Mais c’est totalement faux.
E-bay met en relation des acheteurs et des vendeurs, et ne se rémunère qu’après que la transaction a été conclue entre eux, en facturant une commission au vendeur.
Les micro-stocks vendent eux-mêmes, en tout cas ceux-là, vendent des "crédits", que l’on utilise ensuite pour acheter des photos.
Quand j’ai acheté sur Fotalia ou Shutterspeed, je n’ai pas reçu une facture de cession de droits, j’ai reçu une facture d’achats de crédits.
Que j’ai ensuite décidé d’utiliser en téléchargeant des images.
Jamais je n’ai signé un contrat avec le photographe, jamais je ne suis entrée en contact avec lui.
On est donc très loin du modèle E-bay.
Alors même que E-bay, en tant qu’intermédiaire, a mis en place des procédures de règlement de litiges, les micro-stocks, vendeurs directs, tentent de s’exonérer de leur responsabilité sur la chose vendue.
Je pense d’ailleurs qu’une grande partie des profits de ces micro-stocks provient des crédits non utilisés. Pour acheter une seule image, il faut acheter au moins dix crédits… et l’arithmétique des crédits fait qu’il est bien difficile d’utiliser exactement la totalité. Je suis sûre que les photographes ne touchent rien sur cette manne.
Micro-stocks, Wikio, Fuzz et les autres
Le Web 0.5, 1.0 ou 34.2.1 est un espace qui permet un rapprochement très facile entre le consommateur final et le vendeur, une intermédiation multiple et presque sans coût (affiliation, digg, micro-stocks), une propagation et une multiplication du contenu.
C’est un formidable marchepied pour les PME et les activités individuelles, qui peuvent exister en évitant des frais de gestion et de représentation trop lourds. On peut se transformer en micro-entrepreneur en une semaine… et le web donne l’impression d’être sans frontières et sans lois.
Ce n’est pas le cas.
La loi n’est pas "inadaptée" au web, au contraire, l’affaire Fuzz par exemple, prouve que la loi sait s’adapter. Les procès en cours des majors contre Youtube et Daily Motion vont sans durer des mois ou des années, mais ils ont des chances de produire une jurisprudence intéressante.
Etre entrepreneur sur le net ne peut se faire de façon pérenne qu’en respectant le cadre juridique, et en respectant ses consommateurs. Comme n’importe quel marchand, les micro-stocks doivent s’engager sur ce qu’ils vendent.
Agoravox s’est transformé en fondation, Fuzz a décidé de fermer, YouTube et DailyMotion font la chasse aux vidéos illégales. Fotolia, Shutterstock et les autres devront suivre ce mouvement.
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