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Accueil du site > Actualités > Technologies > Physique de l’Univers : au-delà de l’espace-temps (...)

Physique de l’Univers : au-delà de l’espace-temps ?

Einstein en 1905 et Minkowski en 1908 ont établi l’espace-temps comme le cadre de référence invariant de la cosmologie relativiste moderne. Ce concept implique une interchangeabilité du temps et de l’espace au travers de la constante c, la vitesse de la lumière. Mais l’espace-temps est-il vraiment une description suffisante de la nature de l’Univers ? Certains pensent que non, et notamment Lee Smolin du Perimeter Institute de Physique Théorique de Waterloo (Ont.) au Canada : il faut aller plus loin vers un espace à huit dimensions (contre quatre pour l’espace-temps) qu’il nomme espace des phases (phase space). Cet espace combine l’espace-temps de Einstein avec un “espace de momentum” où momentum veut dire “quantité de mouvement”.

Cette complexification semble nécessaire pour résoudre des problèmes sérieux du modèle actuel, notamment l’incompatibilité entre la relativité et la mécanique quantique. L’espace de momentum en soi n’a rien de particulier, il se définit par une dimension énergie et trois dimensions de momentum, à l’image de l’espace-temps qui est définit par une dimension temporelle et trois dimensions spatiales. Mais jusqu’ici on considérait l’espace de momentum comme plat, alors que l’espace-temps est courbe (et c’est cette propriété qui permet la “relativité” des points de vue d’observateurs situés à des endroits différents, d’où le nom de cette fameuse théorie. Les points de vues sont relatifs, mais la structure espace-temps est supposée être la même partout – les lois sont universelles).

Smolin et son groupe, sur les traces du physicien allemand Max Born qui en 1938 avait déjà travaillé sur ce sujet, ont alors examiné mathématiquement l’effet d’un espace de momentum non plus plat mais courbe lui aussi. Cette construction implique au moins un élément nouveau : l’espace-temps n’est plus absolu mais devient lui-même relatif : un évènement lointain n’est plus identifiable en tant qu’évènement ayant eu lieu en un lieu précis dont les coordonnées seraient valables pour n’importe quel observateur. Une supernova, par exemple, n’aura pas lieu exactement au même endroit pour un observateur proche et un observateur lointain, et plus elle est lointaine (ou puissante) plus grande sera la différence – sans pour autant qu’il y ait une erreur d’observation, c’est la réalité qui devient diffuse. Ce phénomène est baptisé “localité relative”, et il pose une question fondamentale : si l’espace-temps n’est plus le décor invariant de l’univers mais est lui-même relatif, que devient la notion de réalité ? Le fait que le même évènement puisse avoir des coordonnées absolues différentes selon l’endroit d’où on le mesure implique une fondamentale nébulosité de la notion de réalité.

Néanmoins et malgré cette question, la notion de localité relative se révèle bien utile pour affronter le fameux paradoxe de l’information perdue des trous noirs, point de friction entre la mécanique quantique et la relativité générale et auquel Stephen Hawking s’est particulièrement attaqué. En deux mots, la relativité dit que l’information qui tombe dans un trou noir ne peut pas en ressortir, et la mécanique quantique dit que l’information est obligatoirement conservée - donc elle doit ressortir du trou noir quand ce dernier s’évapore via le rayonnement de Hawking. Pour Smolin & Co., utilisant le concept de localité relative, on peut s’en sortir facilement : supposons qu’un vaisseau spatial tombe dans un trou noir. Ce trou noir s’évapore lentement du fait du rayonnement de Hawking. Après un temps très long le trou noir s’évapore complètement mais on est alors tellement loin de l’évènement originel que, du fait de la relativité de l’espace-temps, on ne peut plus être certain que le vaisseau est vraiment tombé dans le trou noir du point de vue de la réalité locale actuelle. Il est peut être passé à côté, et cette indéterminisme permet d’éliminer le paradoxe.

J’avoue que ça semble relativement capilo-tracté mais il faut arriver à visualiser un espace-temps relatif, de plus en plus diffus plus on s’éloigne de l’évènement originel. Un peu comme si un évènement concret à l’instant t se transformait en une vague d’information de plus en plus diffuse, l’observateur éloigné ne percevant à jamais qu’une petite partie de l’information d’origine.

Il faut maintenant arriver à tester la réalité de cette notion d’espace de momentum courbe. Une proposition est de se servir des jets de rayons gamma d’étoiles lointaines : si l’espace de momentum est courbe, les photons de haute énergie arriveront avec un peu de retard sur les photons de basse énergie (vu que dans cet espace, à distance égale, l’effet de localité relative est lié au niveau d’énergie). Et en effet ce type de phénomène à été observé par un télescope aux îles Canaries en 2005 puis confirmé en 2008 par le télescope rayons gamma Fermi de la NASA. Il semble exister une corrélation indéniable entre le niveau d’énergie des photons et leur temps de passage, mais cela ne constitue pas pour autant une preuve, juste un indice. En effet d”autres phénomènes pourraient causer ce décalage.

Dans le cas où l’existence d’un espace de momentum courbe serait mis en évidence de manière expérimentale, reste à comprendre pourquoi il est courbe. Le mathématicienShahn Majid, de la Queen Mary University à Londres, démontrait dans les années 90 que l’espace de momentum est équivalent à un espace-temps non commutatif, c’est-à-dire dans lequel la transposition de coordonnées (effet miroir) n’est pas réversible. Ce qui donne un espace-temps diffus, et cette diffusion (fuzziness) est très compatible avec la notion quantique d’indétermination associé au principe d’incertitude de Heisenberg : si on fixe le momentum d’une particule sa position devient incertaine, et vice-versa. L’ordre des mesure intervenant dans le résultat (la particule ayant bougé), ce type de mesure n’est pas commutative. Pour Majid, l’espace de momentum est en fait un espace-temps quantique sous un autre nom. Et le jour où les physiciens auront intégré la gravitation dans ce modèle, on observera que l’espace-temps et l’espace de momentum sont tous les deux relatifs et que la notion même de mesure objective n’aura plus de sens.

Pour Smolin, l’espace-temps et l’esapce de momentum sont les deux faces d’une même pièce. Nous existons à l’interface des deux mondes, au sein de huit dimensions. Selon sa position, ce qu’un observateur voit comme étant de l’espace sera considéré par un autre comme étant du temps, ce que l’un perçoit comme l’espace-temps sera perçu par un autre comme l’espace de momentum. La réalité existerait alors à un niveau supérieur combinant ces deux espaces, qu’il appelle l’espace des phases et qui, lui, serait invariant. Peut être.

Source : New Scientist


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22 réactions à cet article    


  • Gargantua 29 août 2011 23:53

    Il y n’ a pas besoin Einstein pour savoir que c’est l’éternité qu’il s’agit, alors que le temps est une motion terrestre.


  • chapoutier 30 août 2011 00:39

    Je dirais simplement que le temps est un paramètre utilisé pour classifier des observations. Comme le mètre de bois est utilisé pour mesurer la distance entre des objets à un moment donné, la seconde peut être utilisée pour mesurer ce qui sépare des événements se produisant en un endroit donné.

    Grâce à la relativité, on réalise qu’il y a une symétrie entre temps et espace. C’est-à-dire qu’on peut considérer que deux événements se produisant au même moment à des endroits différents peuvent, à la limite, être considérés comme se produisant au même endroit mais en des temps différents.

    Quand on pousse plus loin l’analyse, on rencontre encore des difficultés. Tout le monde a déjà entendu dire "Le temps c’est le changement". Ce qui n’est pas faux. Il est impossible de mesurer le temps à l’aide d’un système qui ne subit aucun changement. On pourrait peut-être définir le temps comme étant un compteur de changements.


  • Gasty Gasty 29 août 2011 12:29

    Une vue de l’esprit :

    Un événement spatial se diffuse en courbe comme pourrait le faire une pierre tombant dans l’eau. L’événement de la pierre se propage en cercle à la surface et viendra à se réfléchir sur son environnement. Si l’événement en un point de l’univers est interrompu, absorbé ou réfléchi, la perturbation et l’existence de l’évènement n’est plus du tout dans l’observation qu’on est supposé attendre.

    L’explosion d’une super nova peut très bien avoir été absorbé dans l’alignement d’un trou noir mais nous pouvons en percevoir les reflets de son existence.

    Le centre de l’univers n’est que l’observation d’un événement qui nous est parvenu et pas nécessairement le centre absolu.


    • bingofuel 29 août 2011 13:20

      Il faudrait arrêter de nous faire prendre des modèles mathématiques pour de la physique !!
      En résumé : la vitesse de la lumière constante :
      -> oui mathématiquement c’est pratique car cela réduit le nombre de paramètres variables et cela a permis d’aller plus loin dans leur développement, mais c’est aussi porteur de limitations
      -> non physiquement, c’est une hérésie de considérer une valeur physique dépendante de paramètres du milieu.

      Encore une folie contemporaine qui nous a été imposée par le terrorisme idéologique ambiant, car de nombreux physiciens honnêtes se sont élevés contre cette débilité de constante universelle, mais cela va à l’encontre de l’establishement. Pourquoi ?

      1 => parce que c’est la meilleure façon de brouiller les cartes, rendre la physique compliquée et inaccessible alors que les travaux de JJ Thomson et de H. Aspden démontrent clairement l’origne électromagnétique de la masse et de la structure du milieu

      2 => parce qu’une fois établie la réalité électrique de l’univers, les possibilités d’accès à une énergie d’espace propres et inépuisable est ouverte. Mais les banquiers sont contre car de l’énergie qu’on ne peut rendre payante : voila la vraie hérésie.

      La politique, l’alimentation, la monnaie, la culture, la religion sont pilotés par l’ordre mondial -qui n’a rien de nouveau : c’est le contrôle du pouvoir, mais cela inclut également la physique. Le plus grave est que la doctrine étant tellement bien établie dans la tête des scientifiques, que la science est réputée la science de la vérité (une sorte de théologie moderne), qu’il est impossible de faire changer de paradigme. Ô combien pourtant cela pourrait cependant être salutaire à bien des égards.

      En conclusion, on est en train de vous faire croire que votre voiture marche aux mathématiques (comme votre argent d’ailleurs). Réveillons-nous !! Refaisons marcher la machine à réfléchir et n’acceptons plus les débilités que l’on nous sert quotidiennement.


      • Dudule 29 août 2011 14:39

        N’importe quoi...

        Bien sûr, la vitesse de la lumière dépend de l’indice du milieu de propagation. Les physiciens tiennent parfaitement compte de tout ça et il n’y a aucune simplification abusive. Le simple fait que la vitesse de la lumière soit INVARIANTE QUEL QUE SOIT LE RÉFÉRENTIEL CONSIDÉRÉ suffit a établir les équations de Lorentz-Poincarré. Personne n’a jamais parlé de vitesse de la lumière constante : ça n’a pas de sens !

        D’ailleurs, la vitesse de la lumière n’est pas constante, c’est pire que ça : elle est invariante. Que vous courriez vers une source lumineuse ou que vous vous en éloigniez, la lumière vous parvient à la même vitesse, et ce quelque soit l’indice de réfraction du milieu considéré, c’est ça le point crucial. Jusqu’à preuve du contraire bien sûr, mais ça n’a jamais été fait.

        Tandis que les preuves expérimentales de l’invariance de la vitesse de la lumière, ou plus précisément que la vitesse de la lumière ne dépend pas du référentiel considéré, abondent, à commencer historiquement par la première d’entre elles : l’expérience de Michelson et Morlay, qui mettra Poincarré sur la piste que suivra ensuite Einstein.

        Après, libre à vous de raconter n’importe quelle bêtise sur des choses dont vous ne comprenez manifestement pas le premier mot...


      • bingofuel 29 août 2011 16:54

        et toi un bon couillon, mouton de Panurge de 1ière ligne.
        Il est facile de jeter l’anathème lorsque l’on se protège derrière des décennies d’obscurantisme. Vous ressassez ce que l’on vous a enseigné et vous n’avez aucun recul sur les débilités que vous nous resservez en bon perroquet.
        Lisez donc plutôt :
        http://allais.maurice.free.fr/Science.htm
        http://www.aetherscience.org/www-energyscience-org-uk/le/le02.htm

        Et faites-vous avis par vous-même. Oh que c’est dur de réfléchir par soi-même !!

        Les expériences de Shapiro, l’effet Sagnac, les expériences de Miller, etc... Il existe milles preuves de la variance de l’invariant.

        Alors pourquoi cet aveuglément à persister dans un système stérile ? La joie d’imposer à la physique des lois mystiques fondamentales : la relativité du temps et de l’espace ? Belle vision obscurantiste n’est-ce pas ? Belle façon de laisser la physique aux tartuffes et d’éviter de découvrir la réalité fondamentale de notre monde : la polarisation électrique du vide...

        Bon allez, j’arrête là. Vos remarques de prof m’énervent au plus haut point.


      • luluberlu luluberlu 29 août 2011 14:21

        Prendre des véssies pour des lanternes, n’empèche pas d’être éclairé.


        • ffi ffi 29 août 2011 14:40

          Mr Vershoore,
          Etudiez David Hestenes et pondez-nous un article sur le sujet, cela vous évitera de vouloir paraître savant en ne disant rien de concret. La physique moderne ne veut vraiment plus rien dire...


          • Serpico Serpico 29 août 2011 19:49

            Le temps n’a jamais existé : c’est la seule notion qui ne correspond qu’à une pratique commode de l’être humain pour se situer par rapport aux évènements.

            Les moments, la seconde, la minute, l’année ne sont que des vues de l’esprit. Ils n’ont aucune réalité. Ce n’est pas parce que la trottinette court sur le cadran qu’on doit en déduire qu’il y a un « temps ».


            • RUE1793 29 août 2011 21:13

              Ne parlez vous pas plutôt de la mesure de la durée plutôt que du temps ?

              On m’avait déjà enseigné que le temps n’a pas toujours existé dans l’univers, ce qui est assez perturbant pour un pt’tit gars au niveau des pâquerettes.Je découvre maintenant que l’espace-temps est une autre pâquerette. C’est déstabilisant.

              Après tout, nos plus grandes faiblesses sont nos certitudes.

              En tout cas, merci à l’auteur et aux participants qui me permettent de creuser cette histoire de variance de l’invariant (J’aime bien les pâquerettes).


            • Thorgal 29 août 2011 21:37

              pas de mémoire -> pas de concept de temps. Très simple non ? J’imagine que si nous avions une mémoire ne nous permettant que 2 secondes de souvenirs, nous aurions une vue bien différente de la réalité ;)


            • Bardamor Bardamor 29 août 2011 21:47

              Je crois, RUE1793, que vous devriez approfondir d’abord, plutôt que la notion du temps, qui ne se mesure que par ses effets, celle de vide ou plutôt d’espace. De là dérivent des conceptions physiques, voire métaphysiques, différentes, selon qu’on conçoit l’espace comme une topographie purgée de la matière, une « réalité virtuelle », ou bien l’espace entre deux objets, planètes, etc. plein d’une matière plus ou moins éthérée et meuble, ou encore comme c’est souvent le cas, l’espace aérien comme un mélange d’espace/vide et de particules de matière.

              La plus ancienne conception d’un vide mêlé à la matière, déduit le vide du mouvement, posant en principe que, sans espace pour se mouvoir, la matière demeurerait immobile.

            • Bardamor Bardamor 29 août 2011 21:16

              - J’approuve l’esprit critique de Bingofuel. Sous prétexte que la théorie d’Einstein ne colle pas avec la physique quantique, on se défausse sur une nouvelle thèse, celle de Lee Smolin, qui a pour seul effet d’accroître le brouillard mathématique.

              - On peut penser que le caractère spéculatif de la théorie d’Einstein est en effet bien accordé avec les préjugés en vigueur dans les milieux financiers. Les catastrophes engendrées par l’application de modèles mathématiques dans le domaine économique présentent bien l’inconvénient majeur de réduire la réalité économique à de pures statistiques.
              - La science d’Einstein n’est pas une science mais une religion. L’hypothèse d’un point de coïncidence entre deux événements ou deux vecteurs, l’un représentant le temps, l’autre l’espace dématérialisé, n’a rien d’expérimental. C’est un postulat de principe, utile sur le plan balistique, technologique, mais qui n’a pas de réalité physique. On peut tout réduire ainsi à des principes. Le seul principe qui reste absolu, en définitive, c’est le principe énoncé par Einstein.
              - La prétendue expérience de Michelson et Morley est complètement bidon. Compte tenu de la vitesse extrême de déplacement qu’elle attribue à la lumière, l’expérimentateur le moins sérieux sera obligé d’admettre que des expériences complémentaires s’imposent, et que quelque chose, à ce train d’enfer là, a bien pu passer inaperçu. L’idée même que la lumière est d’une nature unique, et qu’il n’y a pas plusieurs lumières de natures différentes, paraît un peu trop bien faire le jeu des équations mathématiques pour ne pas être scrutée plus profondément, de façon expérimentale.
              - S’il est un peu abusif de dire que « le temps n’existe pas » (est-ce que le temps n’est pas de l’argent ?), du moins est-il vrai que le temps ne peut être appréhendé que par ses conséquences (biologiques). Dans cette perspective, l’espace-temps humain n’est pas le même que celui des montagnes. La spéculation mathématique, mesurant la chaîne des causes et des conséquences, a vite fait de faire du temps la cause primordiale, et de signifier cette cause par un point, un trou noir, l’antimatière. La matière sort ainsi du néant, et la conception de l’univers qui s’impose de lui est qu’il ne serait que l’effet du temps, épousant ses différentes formules, une sorte de pâte à modeler.

              • progressiste94 29 août 2011 21:35

                La conjuration des imbéciles, des charlatans et des Sages a parfaitement réussi.

                Cette conjuration avait pour objet de cacher la vérité.

                Les uns et les autres ont servi cette grande cause, chacun selon ses moyens : les imbéciles par le moyen de l’ignorance, les charlatans par le moyen du mensonge, les Sages par le moyen du secret.


                Les imbéciles ne veulent pas qu’on découvre la vérité. Ils soupçonnent, d’instinct, qu’elle les dérangerait. Si on la leur montrait, ils détourneraient les yeux ; si on la leur mettait dans la main, ils la laisseraient tomber ; si on les forçait au face à face, ils hurleraient d’horreur et courraient se cacher sous terre.


                Les charlatans ne veulent pas qu’on découvre la vérité car elle ruinerait leurs artifices, empêcherait leur profit, étalerait leur honte.


                Les Sages qui possédant la vérité ne veulent pas qu’on la découvre. Ils l’ont toujours tenue cachée pour quatre raisons.


                La première c’est qu’ils savent que Savoir c’est pouvoir et veulent en écarter les indignes. Car le Savoir chez l’indigne devient malice, le Pouvoir danger public et fléau. C’est pourquoi les réserves de connaissance accumulées pendant les millénaires dans les temples d’Egypte demeuraient inaccessibles à celui qui n’avait pas passé tous les degrés de purification et des épreuves. Plus tard, les philosophes inconnus, les nobles voyageurs, les Alchimistes, se sont légués les restes du mystérieux héritage de la même manière, c’est-à-dire de bouche à oreille, ou plutôt par la présence et par l’exemple, en symboles et en énigmes, et toujours sous le sceau du secret. S’ils ont vécu dans l’intimité des formidables forces de la nature ils se sont bien gardés d’en faire part aux étourdis.


                Où êtes-vous, ô Sages qui savez vous taire ? Vous méritez que tous les vivants vous crient leur gratitude, ô Sages.


                O Sages qui saviez vous taire, nous avons appris maintenant la valeur de votre prudence, la grandeur de votre humilité, la profondeur de votre charité.


                Maintenant que les profanes se sont avisés d’acquérir de la science et d’en répandre tant qu’ils peuvent, maintenant qu’ils se glorifient de leurs découvertes avec autant de zèle que vous en avez mis à cacher les votres, nous avons bien vu ce qu’il en est résulté.


                C’est pourtant une bien petite science que la leur, extérieure, superficielle, précaire et limitée, et déjà nous voyons ce qu’il en est résulté.


                Il en est résulté qu’ils ont empoisonné les sources, miné la terre, éclaboussé le ciel, bouleversé et perverti les peuples, gâté la paix, déshonnoré la guerre, fourni aux hommes du commun tant d’instrument de destruction et d’oppression que toute la famille des vivants en est menacée, tandis que continue le progrès de ce chancre.


                La seconde raison des Sages pour tenir cachée la Vérité c’est que connaître est une opération de Vie et une manière de naître. Et rien ne peut naître que dans une enveloppe. Dans une enveloppe de chair ou d’écorce, de terre ou de mystère. Une graine, si vous l’ouvrez, elle ne germera plus ; un lézard, si vous l’ouvrez pour voir ce qui est dedans, vous n’y trouverez que les résidus du cadavre et non le dedans du lézard, et non le dedans qui est parti, le lézard étant mort. De même la science ouverte, répandue, vulgarisée est science morte et fruit de mort. C’est un désert de sable et non une poignée de semence. Elle ne peut être approfondie mais seulement étendue, restant extérieure et la vie lui échappe. Elle ne peut mener à la conscience qui est naissance à soi-même, ni à la vie intérieure. Mais la connaissance des Sages est un gai-savoir qui a saveur de joie et souffle d’esprit. Et comme tout être vivant, fut-ce une mouche, elle défend sa forme et refuse de s’étaler. 


                La troisième raison des Sages pour tenir cachée la vérité c’est leur respect de la dignité de la connaissance. Ils savent qu’elle est la voie royale qui mène au Dieu de vérité. Elle doit conduire à la contemplation, à l’admiration de la nature, à l’adoration du créateur.


                Elle doit apporter la lumière dans les âmes, la justesse dans les pensées, la justice dans les actes. Elle doit apporter la santé et le salut. Les Sages l’ont défendue tant qu’ils l’ont pu contre les hommes vulgaires, de crainte qu’elle ne fut détournée de son but, dénaturée et avilie. Ce que n’ont pas manqué de faire les hommes vulgaires dès qu’ils ont mis la main sur elle. Ils l’ont renversée en l’utilisant. En se servant au lieu de la servir. Elle était là pour les délivrer de leurs désirs et ils l’ont attelé à leurs besognes, ils l’ont forcée à grossir leurs possessions. Elle était là pour leur donner la conscience et ils en ont tiré la machine. Ils ont pris le ciboire pour s’en faire une tirelire ; ils ont pris le crucifix pour s’en faire une massue. Ils ont attelé la science à leurs moteurs, ils l’ont emprisonnée dans leurs bombes. Mais les trop malins se sont pris à leurs propres pièges, se sont laissés happer par l’engrenage de la machine. Maintenant, elle les rogne tout doucement en temps de paix, et les dévore à grands coups de gueule en temps de guerre. Les Sages ont tout fait pour éviter celà.


                La quatrième raison des Sages pour tenir cachée la Vérité, c’est qu’ils aiment la Vérité et qu’il n’y a pas d’amour sans pudeur, c’est-à-dire sans voile de beauté. Voilà pourquoi ils ne veulent pas la découvrir mais la révéler, c’est-à-dire recouvrir d’un voile lumineux. Aussi n’ont-ils enseigné qu’en paraboles, pour que ceux qui ont des oreilles pour ne pas entendre, demeurent à l’écart, mais aussi pour ceux qui le méritent apprennent les tons et les clefs de la musique totale. Car leurs allégories, leurs fables, leur blasons n’expliquent pas l’enchainement mécanique des apparences mais les affinités secrètes et les analogies des puissances et des vertus, les correspondances du nombre avec le son, des figures avec les lois, de l’eau avec la plante, avec la femme, avec l’âme, du feu avec le lion et l’homme armé, avec l’esprit, des astres avec les yeux, avec les fleurs, avec les cristaux des métaux et des gemmes, de la germination de l’or dans les mines, avec celle de la vérité dans le coeur de l’homme. Dans leurs textes obscurs, où les recettes du Grand Art sont entrecoupées d’avertissements pieux, les sentences solennelles de cris d’émerveillement et de prières, luisent les fils dont est tissé le manteau du Roi des Rois.


                Les Sages ayant caché leur savoir par scrupule, les charlatans en ont profité pour cacher leur ignorance sous les mêmes signes mystérieux. Les imbéciles les ont longtemps confondus, croyant aux uns comme aux autres.


                Mais à présent a surgi, à mi-chemin entre les charlatans et les imbéciles, une nouvelle espèce qui assure le triomphe définitif de la conjuration.


                La nouvelle espèce est celle des universitaires et savants officiels. Ceux-ci le jour de leur avènement ont déclaré nul et non avenu le mystère philosophal. Chimère, à la recherche des anciens maîtres, jeu d’enfants leur science, attrape-nigauds leur art. Les imbéciles instruits par les nouveaux savants ont, une fois de plus confondu les Sages avec les charlatans, mais cette fois pour ne croire ni aux uns ni aux autres.


                Ils ne croient plus qu’à la science des nouveaux-venus, lesquels enseignent tout simplement que la vérité est dans leur science et que tout ce qu’ils ne peuvent découvrir ni démontrer n’existe pas.


                Or ils n’ont rien enseigné, rien découvert, rien démontré touchant la vie et la mort, le péché et le jugement, touchant l’amour, la douceur et le rachat, touchant la conduite de l’homme et le destin de l’âme, touchant le sens, l’essence et le salut. A mesure qu’ils découvrent de nouvelles nébuleuses ou de nouveaux électrons, de nouvelles vitamines ou de nouveaux explosifs, ils s’éloignent et nous détournent de l’essentiel. Et maintenant la vérité est si bien cachés qu’on ne la cherche plus. 


                Elle serait même tout à fait perdue, s’il ne survivait pas quelques simples d’esprit pour qui la vérité existe. Ils ne peuvent se résigner à penser que personne ne l’ait ou ne l’ait eu. Ils courent le monde interrogeant les gens, interrogeant les astres et les herbes, interrogeant le grand livre de la nature et feuilletant les textes oubliés, interrogeant leur coeur et Dieu dans la prière. Ils savent qu’ils n’ont pas la vérité mais ils savent qu’elle est. Ils en ont tant faim et soif qu’ils savent la suivre à la trace et la reconnaître à l’odeur. Devant un homme diffamé, devant un événement absurde, devant un grimoire illisible ils se mettent en arrêt et ils crient : Elle est là !


                Ils gouteront ce livre. C’est pour eux qu’il est écrit, bien que leur confrérie soit peu nombreuse.


                Et toi, Cattiaux mon ami, as-tu trouvé la Pierre ?


                Assis dans la boutique ou tu peins et médites entre les filtres et les fioles, as-tu trouvé l’escarboucle et la violette ?


                Assis entre ta femme et ton chat, Cattiaux mon ami, as-tu trouvé l’or vif et l’élixir ?


                As-tu visité les intérieurs de la terre, et rectifiant, trouvé l’occulte joyau et la vraie médecine ?


                Je ne sais et je ne peux pas dire si la substance des anciens textes se cache dans ces pages. Mais comment se fait-il qu’on en retrouve le parfum ?


                Dans quel oeuf et quel alambic, Cattiaux mon ami, as-tu distillé cette essence subtile qui s’appelle le Parfum ?


                D’où vient cette poésie qui a nom Parfum de Vérité ?



                LANZA DEL VASTO

                Novembre 1945


                • Marge 29 août 2011 22:09

                  Ah , merci progressiste94 pour ce texte !
                  Je le trouve merveilleusement rafraichissant en cette période si morose.


                  • Bardamor Bardamor 29 août 2011 22:17

                    Il faut ajouter à ce poème de Lanza Del Vasto que le premier des ressorts de ce qu’il nomme « conjuration » est la nécessité pour l’organe politique de développer des moyens d’action, afin de procurer, pour les politiques les mieux intentionnés, un certain équilibre à la nation qu’ils gouvernent. De là vient que les rois de la terre privilégient les inventions qui procurent des moyens, sur la science proprement dite, qui s’efforce d’élucider les mystères entourant la vérité, science que l’Antiquité pour cette raison ne distingue pas de l’art.

                    Ne voit-on pas l’art affecté du même mal que la science, les artistes plus préoccupés par la fabrication de fétiches, c’est-à-dire d’objets de culte qui contribuent à l’art de vivre, mais laissent l’homme sur sa faim de choses spirituelles ?


                    • Bardamor Bardamor 29 août 2011 22:24

                      Oui, rafraîchissant comme une douche froide déversée sur l’arrogance invraisemblable de la technocratie.


                      • joelim joelim 29 août 2011 22:52

                        Le temps est une dimension supplémentaire de l’« espace » dans laquelle on marche au pas cadencé. Hop. Hop. Pas le choix. smiley 


                        • lacenaire 30 août 2011 00:26

                          l’univers n’est PAS en expension , c’est nous qui rapetissons !


                          • gaijin gaijin 30 août 2011 10:06

                            a tous
                            bardamor a dit :
                            « S’il est un peu abusif de dire que »le temps n’existe pas" (est-ce que le temps n’est pas de l’argent ?).....’
                            je dirais ça dépend du point de vue le chômeur a du temps et pas d’argent ........

                            c’est la tout le problème de ce dont il est question : parle t’ on de la nature de la réalité où de celle de l’ observateur ?
                            la science qui postule la connaissance de l’objet et l’ignorance de l’observateur est auto réflexive elle croit décrire l’objet alors qu’elle ne décrit que l’expérimentateur
                            la prétention a l’objectivité est la véritable hérésie
                            tant que la science ne sera pas capable d’inclure le point de vue de l’observateur dans ses équations les mystères de l’univers resteront des mystères et la science restera une scolastique mathématique

                            progressiste94
                            merci pour ce texte


                            • joelim joelim 30 août 2011 20:16

                              Bien vu. L’acte d’observation est tout ce qui nous relie à la réalité, laquelle est inconnaissable « directement ».


                            • Bardamor Bardamor 30 août 2011 20:16

                              Plus exactement c’est la prétention à une description TOTALE des modèles mathématiques qui est absurde. Entre une description totale et la réalité physique étudiée, il ne devrait pas y avoir de différence (ou de vide). Cette idée s’est d’ailleurs parfois insinuée dans la cervelle de mathématiciens un peu dérangés, comme l’abbé Berkeley, qui ont fini parfois par croire leurs mises en perspective SUBJECTIVES de la réalité plus réelles que la matière ou le cosmos lui-même (le mot « objectif » est piégé).

                              Une telle dérive est notamment observable quand les caractéristiques de l’outil mathématique commencent à déteindre sur l’idée qu’on se fait de la réalité : infini, zéro, point, signes abstraits étrangers au domaine de l’expérience (Je cite exprès Berkeley, étant donné qu’on lui voue un culte aux Etats-Unis, sur des campus qui fournissent des modèles mathématiques et des nuages d’équation à ne plus savoir qu’en faire, sauf peut-être trouver des martingales au poker ou au black-jack.)

                              - D’ailleurs le processus d’excroissance et de développement des mathématiques, quasiment végétal, est le suivant : une fois un modèle mathématique paradoxal posé, dont le paradoxe vient de ce que le langage mathématique est paradoxal, un nouveau modèle mathématique est proposé pour tenter de résoudre le paradoxe du précédent, et ainsi de suite. La perte de contact avec la réalité est nette dès la fin du XIXe siècle, quand des mathématiciens admirés pour leur capacité à additionner des petits pois avec des carottes sans que personne ne s’en aperçoive, s’avouent incapables d’expliquer le sens de leurs théories. Je pense qu’un magicien professionnel peut assez bien comprendre le rôle de la prestidigitation dans les mathématiques modernes.

                              - Les théories oiseuses d’Einstein sur la relativité, relative, absolue, triplement infinie ou tout ce qu’on voudra, sont décrites par leurs fans comme des « théories statistiques » : est-ce qu’une seule crise ne suffit pas pour admettre définitivement les statistiques comme la forme du mensonge moderne ? (mensonge d’ordre moral et politique)

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