Peu importe que le président de la République soit de
droite ou de gauche. Pour résister à l’hégémonie néolibérale,
l’essentiel n’est pas de voter mais de lutter. Lutter contre le pouvoir,
quel qu’il soit, car il corrompt les mieux intentionnés. Lutter pour
l’émergence d’une société plus juste, plus libre et, pourquoi pas,
égalitaire. Toutes les expériences socialistes de gouvernement, en
France et ailleurs, sont des échecs au regard du socialisme. Ne parlons
pas des dérives du communisme d’Etat. Quant à la gauche antilibérale,
elle a montré combien les stratégies électoralistes sont destructrices
de l’action collective.
Alors, faut-il rêver de prendre le
pouvoir ou agir pour le rendre inutile , plutôt que de nous trouver en
situation d’incapables majeurs pour avoir délégué notre autonomie de
décision à un président, un député, un maire ? Tous incontrôlables et
incontrôlés, utilisons nos intelligences et nos compétences multiples
pour organiser les luttes économiques et sociales. « Agir au lieu d’élire »
est un slogan qui fait son chemin partout dans le monde. Qui ne l’a
compris, ici, avec la révolte contre le CPE menée par une foule certes
peu structurée mais autonome et déterminée, derrière laquelle couraient
politiciens et bureaucrates, toujours prêts à récupérer le mouvement, à
négocier en son nom ! Au-delà de l’action au quotidien, par l’éducation,
par la formation, par un fonctionnement et une pratique
antiautoritaires, par une discipline collectivement voulue et respectée,
le mouvement social organisé préparera une société sans exploitation
qui remplacera, par la démocratie directe, la démocratie représentative
ou sa doublure, la démocratie participative.
L’abstention politique n’a donc rien à voir avec la « démocratie impolitique »
décrite par Pierre Rosanvallon. Pour beaucoup d’abstentionnistes, leur
prise de position n’est pas une simple protestation mais s’inscrit, bien
au contraire, dans un projet politique : celui d’une critique radicale
de toutes les formes de pouvoir et de la construction d’un autre futur
ne passant pas par les urnes.
Il est rassurant, et de l’ordre de
la pensée unique, de mettre l’abstentionniste au rang de l’incivique, du
populiste ou de l’utopiste, alors que, souvent il milite pour des
causes autrement engageantes que de mettre un papier dans une boîte pour
désigner, sur une longue période, un mandataire sans mandat. Est-il
incivique de ne pas se résigner, de penser que l’on peut subvertir la
société par sa propre activité sociale plutôt que se complaire dans la
passivité électorale ?
L’irresponsabilité n’est-elle pas, par
exemple, de faire croire aux jeunes des banlieues qu’ils trouveront la
solution de leurs problèmes par le vote ? Est-il populiste de douter du
parlementarisme ? Le populisme comme le fascisme se nourrissent toujours
à la mamelle électorale. Est-il utopique de rêver encore de la
Sociale ? Moins que de croire en un dieu, en un sauveur ou une sauveuse
suprême ; pas plus que de se satisfaire d’une fiction de représentation
pour vaincre l’injustice. Refuser d’exercer son droit de vote, c’est
casser la légitimité du pouvoir fondée sur un épisodique lien électoral
et affirmer sa souveraineté individuelle dans un avenir collectif.
Il
y aura bientôt cent cinquante ans, la Première Internationale
proclamait que l’émancipation des travailleurs serait l’oeuvre des
travailleurs eux-mêmes. Le mot d’ordre est toujours actuel, plus vrai
encore. A travers la planète, les travailleurs victimes du capitalisme,
comme la composante autogestionnaire du mouvement altermondialiste, ne
pensent pas autrement quand ils entrent en résistance contre l’hégémonie
néolibérale. Le capitalisme triomphant sera éternel si l’histoire se
fossilise dans l’urne ! un
article