Affaire Karachi : « Nicolas Sarkozy nous a abandonnés et menti ».
Sandrine Leclerc, qui vit à Perpignan, est la fille d’une des victimes de l’attentat de Karachi en 2002. Elle réagit aux derniers événements.
Midi Libre : Quelle est votre réaction à la mise en examen de Nicolas Bazire et Thierry Gaubert, proches du chef de l’État ?
Sandrine Leclerc : Nous n’avons pas été surprises. Cela fait longtemps que nous, les familles des victimes, avons la conviction que l’attentat est lié au financement de la campagne de Balladur. Vu les entraves et les manipulations auxquelles on a eu droit, nous sommes heureuses que la justice puisse avancer. Et on enrage que des hommes aient préféré privilégier des affaires de fric et leurs carrières. On ne s’arrêtera pas tant que les auteurs de l’attentat, les commanditaires et ceux qui leur ont fourni le mobile, ne seront pas traduits au tribunal. On doit bien cela à nos pères...
Midi Libre : Votre avocat a demandé une enquête, suite aux conversations téléphoniques entre Thierry Gaubert et Brice Hortefeux...
Sandrine Leclerc : On observe un troupeau aux abois. Quand un ancien ministre de l’Intérieur a l’imprudence de parler ainsi au téléphone, on se dit vraiment qu’ils sont dans la panique et qu’ils se serrent les coudes pour ne pas couler. Si tous ces gens n’ont rien à se reprocher, qu’ils s’expriment ! Malheureusement, les obstructions auxquelles nous avons fait face nous forcent à croire qu’il y a une volonté d’étouffer l’affaire. Nous sommes face à des gens de pouvoir et d’argent qui sont prêts à tout, même à violer le secret de l’instruction et à entraver la marche de la justice. On ne peut que rendre hommage à la volonté et au travail des juges Trévidic et Van Ruymbeke.
Que demandez-vous aujourd’hui ?
On demande que Brice Hortefeux et Renaud Donnedieu de Vabres soient entendus par le juge. Et nous estimons que Nicolas Sarkozy devrait s’exprimer de lui-même sur ce dossier, puisque son immunité l’empêche d’être entendu comme témoin. Il doit bien cela aux citoyens français. Car au-delà des 11 morts, l’affaire Karachi les concerne tous. Si la piste qui se dessine est exacte, c’est le citoyen français qui a mis la main à la poche pour financer des buts partisans.
Vous reprochez à Nicolas Sarkozy de vous avoir abandonnés…
Et surtout il nous a menti. Lors de notre unique rendez-vous avec lui, à notre demande en avril 2008, il s’était engagé à trois choses. D’abord, nous informer de l’avancée de l’enquête. Promesse non tenue ! Ensuite nous recevoir chaque année pour faire le point. Quand on l’a sollicité dans ce sens, suite aux nouveaux éléments, il a refusé en évoquant la séparation des pouvoirs. Enfin, il nous avait promis son soutien total pour connaître la vérité. On ne veut pas de la compassion, on veut du soutien. On veut la levée totale du secret défense.
Le communiqué émis par l’Élysée indique que le nom du chef de l’État n’apparaît pas dans le dossier…
Comment connaît-il le dossier ? Il y a là une violation manifeste du secret de l’instruction. En outre, c’est complètement faux. Nicolas Sarkozy est cité au moins deux fois en tant que ministre du Budget pour avoir validé la création de la société offshore Heine en vue de régler des commissions à des intermédiaires dans le cadre de ventes d’armes. Pourquoi monter une société offshore alors que les commissions étaient légales ? Par ailleurs, le dossier fait état de lettres de chantage adressées à Nicolas Sarkozy par un certain M. Boivin, patron de Heine, qui demandait de l’argent pour son silence.
La vérité éclatera-t-elle un jour ?
Oui, on a de l’espoir, même si on reste prudents. Mais aujourd’hui, on a moins peur que cette affaire soit classée ou qu’un des juges soit dessaisi du dossier. Mme Gaubert et Mme Takkiedine ne sont pas venues voir le juge les mains vides. Et Renaud Van Ruymbeke n’aurait pas procédé à ces mises en examen sans biscuits. Il y a des éléments et on est en droit d’attendre de nouvelles auditions et de nouvelles mises en examen dans les semaines à venir.