Bonjour Micnet,
Contrairement aux apparences, j’apprécie la contradiction ainsi que les
réponses argumentées et développées. Je regrette d’avoir postulé votre
malhonnêteté intellectuelle et vous accorde « le bénéfice d’avoir de
réelles convictions, fussent-elles complètement erronées à mes yeux ».
Je conviens que les philosophes, au moins Platon et Socrate, étaient critiques
vis-à-vis de la démocratie. Se considérant comme les « meilleurs »,
il est logique que ces philosophes aspirent à une aristocratie.
Je continue de penser que votre raisonnement est inadéquat. Vous partez de
symptômes :
- La liberté individuelle considérée comme le bien le plus précieux.
(= individualisme)
- La perte de crédibilité des gouvernants.
- Une inversion des valeurs traditionnelles.
- Une critique du « métèque » devenant « l’égal »
du citoyen.
Pour conclure que notre système politique est une « démocratie dans
l’esprit » de la démocratie athénienne.
Selon moi, votre raisonnement est critiquable car :
1) L’interprétation que vous livrez des textes de Platon est
incorrecte.
2) Un système politique n’est pas ce qu’il semble être mais ce qu’il
est intrinsèquement. (En cela, il ne se définit pas par les symptômes qu’il
paraît engendrer.)
La liberté individuelle considérée comme le bien le plus précieux. (=
individualisme) :
« La liberté ? En effet, dans une cité démocratique, tu
entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme
né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité. (…) Lorsqu’une cité
démocratique, altérée de liberté, […] »
Dans cet
extrait, ce n’est pas la démocratie mais la liberté qu’elle engendre qui est
critiquée. Or, si je reconnais que notre système politique a érigé la liberté
individuelle en bien suprême, cela n’implique pas que notre système politique
soit démocratique.
La perte de crédibilité des gouvernants :
« Elle loue et honore, dans le privé comme en public, les
gouvernants qui ont l’air d’être gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air
d’être gouvernants. »
Dans notre système actuel, le
paradoxe de la « perte de crédibilité des gouvernants » tient au fait
que les gouvernants n’ont absolument pas l’air d’être gouvernés par les
gouvernés. Il donne même l’impression de se foutre complètement de leurs
opinions (Cf traité constitutionnel européen)… En cela, notre système politique
actuel est l’exact opposé de la démocratie athénienne.
Une inversion des valeurs traditionnelles :
Dans notre société, je n’ai pas
l’impression que les gouvernés « dominent » les gouvernants. [Par
ailleurs, la problématique de « l’enfant-roi » est tout aussi
présente en Chine dont l’aspect démocratique est encore plus contestable que le
notre…]
Selon moi, c’est encore la liberté individuelle en
tant que bien suprême qui est en cause. Par essence, la liberté individuelle
s’oppose au jugement moral. Or, lorsque la liberté individuelle est érigée
comme un « bien suprême », elle affaiblit et dégrade le jugement
moral. A mon sens, il n’est pas pertinent de parler d’une « inversion des
valeurs traditionnelles ». Cela ressemble davantage à une érosion,
c’est-à-dire une lente détérioration, de la morale traditionnelle. Cette
érosion s’incarne, par exemple, dans les mouvements étudiants de mai 68 qui
proclament la liberté comme « bien suprême ».
Une critique du « métèque » devenant « l’égal » du
citoyen :
Ici, je crois qu’il faut
relativiser les propos de Platon : sauf erreur de ma part, dans la
démocratie athénienne les métèques n’ont jamais eut les mêmes droits que les
citoyens… Ainsi, lorsque Platon déclare « l’anarchie gagne
jusqu’aux animaux », « le fils s’égale à son père », « le
métèque devient l’égal du citoyen », le philosophe use simplement
d’ironie dans sa dialectique.
Par ailleurs, je crois que
transposer cela en une « immigration massive et incontrôlée » est
abusif. La problématique de notre immigration tient au dogme du néolibéralisme
économique (déployé dans les années 80 par Reagan et Tatcher) qui aspire à la
« mise en concurrence des travailleurs et nivellement par le bas des
salaires et des droits sociaux ». Selon moi, le renoncement partiel à la
maîtrise de nos flux migratoires n’est pas lié à un excès de démocratie mais à
un manque de démocratie : 70% des Français se sentent proches de l’idée
selon laquelle « il y a trop d’étrangers en France » [Cf http://www.ipsos.fr/ipsos-public-af...]
Enfin, je préfère penser que je
crois en « l’Homme » plutôt que « aux hommes ».
Ma vision de la démocratie n’a rien
d’intégriste, elle est relativement souple et conduit à une souveraineté
populaire plus marquée. Selon moi, la démocratie n’est pas un
« absolu » politique à conquérir mais un système politique qui se
construira pierre après pierre. Les systèmes politiques ne sont pas seulement
le fruit de conquêtes politiques mais également l’avènement d’un désir social
(pour moi, ce n’est pas un hasard si la démocratie s’est déployée dans les
sociétés occidentales au cours de ces 200 dernières années.). Or, le désir
social est lui-même fonction de notre société qui est parfois elle-même amenée
à évoluer suite à des mutations média.
A ce titre, je vous recommande les
conférences de Benjamin Bayart : http://www.youtube.com/watch?v=yBmz29_5ffA
Me concernant, la démocratie
(réelle) est plus qu’une ambition politique de jeunes gens idéalistes… elle est
le sens de l’histoire.
Il y a un véritable danger à songer
que le problème viendrait d’un excès de démocratie plutôt que d’un manque de
démocratie. La démocratie et le libéralisme ne sont que des idéaux nobles qui,
servant à légitimer les pires exactions commises par les classes dominantes
(« guerre pour la justice ou la démocratie », « servitude volontaire »…),
sont dévoyés et corrompus au dernier degré. C’est ici que se noue le
drame : quoi de mieux qu’un idéal dévoyé pour justifier son strict
contraire : « Notre démocratie libérale est corrompue ? Zut,
c’est de la faute du libéralisme et de la démocratie, faisons donc une
dictature ! »