Henri Potier et le mystère du rayonnement disparu
Quel subtile instrumentation scientifique est donc nécessaire pour détecter, à l’étranger, le mythique rayonnement culturel de la France ?
Ceux d’entre vous qui étaient en caisson cryogénique au fond d’une mine de sel ces deux dernières semaines sont peut-être ignorants du fait que le dernier tome de la série Harry Potter est sorti le 21 juillet dans toutes les bonnes librairies, ainsi que les librairies passables, les pas terribles, les franchement mal tenues, mais aussi les buralistes, supermarchés, stations services, épiceries, drogueries, merceries... S’il est trop tôt pour avancer des chiffres, il semble qu’il faille s’attendre à des ventes de l’ordre de 200 000 exemplaires en France (le tome 5 s’était écoulé à 150 000 exemplaires).
C’est donc un gros succès de librairie, l’équivalent d’un "petit" Goncourt. Mais ce qui est surprenant, c’est que nous ne parlons là que de la version originale du titre, la version anglaise ! Aussi curieux que ça puisse sembler au premier abord, il se trouve en France un vaste public populaire pour lire un pavé de 900 pages écrit dans un anglais qui, sans être du Shakespeare, n’en est pas moins littéraire. L’ampleur du phénomène est stupéfiante. Il est impossible de prendre les transports en commun sans rencontrer quelqu’un qui se potasse des muggles, il n’y a pas un open-space de la Défense qui n’arbore son Deathly Hallows sur un bureau. Le phénomène du reste ne se circonscrit pas à la France, on s’attend à des ventes de l’ordre de 400 000 unités en Allemagne. Et il ne faut pas oublier que la cible principale du sorcier à lunettes, ce sont les enfants. Combien de parents ont-ils eu la surprise de voir leur cancre rejeton les tirer par la manche pour qu’ils lui achètent un livre en anglais ? Combien de bambins ont-ils donc passé des nuits blanches, Potter sur un genou, Harraps sur l’autre, pour finir l’ouvrage avant les autres ? La plupart des gens s’émerveillent devant ce spectacle, héberlués que des enfants fassent l’effort de lire, et qu’en plus, ils pratiquent les langues, et ce sans qu’on doive les y forcer à coups de trique. Quelques autres poussent les hauts cris devant cette manoeuvre grossière du lobby anglo-saxon visant à pourrir les cervelles tendres de nos petits en prélude à l’invasion rosbive de la sous-culture Mac Donald’s.
Mais si l’on retient cette hypothèse, comment expliquer le phénomène Tokio Hotel ? Ceux d’entre vous qui subissent des adolescentes à la maison ont probablement déjà entendu parler de ce groupe de jeunes rockers chevelus qui traînent partout en Europe des sillages de midinettes hystériques. Ce type de phénomène n’est d’ailleurs pas récent, on se souvient des Beatles, des Stones et de bien d’autres. Or, il se trouve que ce groupe est allemand, et chante dans sa langue. Il en résulte que depuis un an, les classes d’allemand des lycées et collèges sont prises d’assaut par des légions de gamines avides d’ouir sans traduction aucune les divines paroles. On ne peut guère imputer aux manigances de la CIA le fait que les jeunes se mettent à parler l’allemand. Il est tout de même assez paradoxal de constater que si l’Education nationale, Arte et toute l’intelligentsia culturelle européenne ont échoué à enrayer le déclin de la langue germanique dans nos écoles, un groupe sans prétention d’alolescents débraillés y est parvenu en deux ans, par inadvertance et sans effort apparent.
J’ai moi-même connu, voici quelques années, le phénomène manga à son apogée. S’il est commun aujourd’hui de trouver des bandes dessinées nippones dans toutes les gares, à l’époque, il n’y avait que quelques librairies parisiennes très spécialisées qui importaient quelques opuscules directement du pays du Soleil Levant, ou bien les rares traductions américaines. Autant dire que les amateurs étaient condamnés à apprendre le japonais. Et pour se taper des kana et des kanji à tire-larigot, il faut vraiment avoir l’amour de la bande dessinée ! Ils sont aujourd’hui plus nombreux qu’on ne croit, ceux qui ont gardé de leurs jeunes années quelques notions de japonais, quelques ouvertures sur la culture nippone. Là encore, on a beau écarquiller les yeux, on cherche en vain le complot de la NSA et du British Council pour ruiner le crédit de la langue française et le rayonnement culturel de notre pays.
Mais à quoi sont-elles dues, ces frénésies juvéniles sporadiques autant que violentes ? Et pourquoi ne sont-elles pas réciproques ? Pourquoi personne n’apprend-il le français pour lire Houellebecq ou Beigbeder ? Si les jeunes filles apprennent l’allemand pour Tokio Hotel, comment expliquer que les Allemandes n’apprennent pas le français pour pouvoir se délecter des bredouillements séniles de sarkozystes cacochymes tels que Polnareff ou Johnny ? Pourquoi n’exportons-nous pas au Japon les oeuvres psychanalytico-artistiques furieusement déstructurées de nos pédants vainqueurs du Festival d’Angoulême ? Pourquoi diable la jeunesse de France va-t-elle chercher ailleurs ce que la jeunesse étrangère ne vient pas chercher chez nous ? C’est un mystère.
Il semble néanmoins au regard de ces exemples qu’une langue ne se diffuse pas parce qu’elle est facile, pratique, utile ou belle. Elle se diffuse lorsqu’elle est illustrée, de telle sorte que des gens ont envie de la parler. Bien sûr, la France a une riche culture. Mais ça intéresse qui ? Hormis quelques équivalents bobos de Greenwich Village, le cinéma français n’est guère hors de l’Hexagone. La République des lettres est trop occupée à ses billevesées germanopratines pour s’être aperçue que son influence était inexistante dès qu’on s’éloigne du périphérique. En somme, le fameux rayonnement culturel de la France est difficilement perceptible ailleurs qu’en France. Car ce qui compte en ces matières, ce n’est pas la richesse de la culture préconisée par le ministère et les Inrockuptibles, c’est la richesse la culture populaire, celle qui se manifeste spontanément, et qui par chez nous, n’est guère encouragée ni par l’Etat ni par les mentalités ni par les "milieux autorisés à parler". La triste vérité est que si Harry Potter avait été français, il prendrait sans doute encore la poussière dans les placards à balais des éditeurs parisiens.
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