L’affaire Little Bighorn : une légende américaine à la loupe
Les recherches modernes sur la célèbre bataille de Little Bighorn, entre les Sioux et le général Custer, transforment la bataille en affaire criminelle.
Le 25 juin 1876, au cœur du Montana, une coalition de Sioux et de Cheyennes massacre le général Custer et 263 soldats. Popularisée par le western, cette bataille mondialement célèbre conserve des zones d’ombre. Le chercheur suisse David Cornut consacre la première étude francophone aux soldats inconnus de la Frontière.
Certains Américains l’appellent « l’autre affaire Kennedy ». Il est vrai que la bataille de Little Bighorn est l’un des rares dossiers historiques qui résistent. Génération après génération, des dizaines de milliers de chercheurs se penchent sur la « dernière résistance de Custer » ; chaque année, des centaines de livres et de documentaires lui sont consacrés.
Il est vrai que le sujet a de quoi passionner : côté indien, on découvre Sitting Bull, Crazy Horse, Gall, autant de figures célèbres que le western a popularisées. Côté fédéral émergent le général Custer, le capitaine Keogh, un ancien combattant d’Afrique, ex-membre des armées papales, ou encore le lieutenant DeRudio, un révolutionnaire italien de la bande d’Orsini, coupable de tentative d’assassinat sur Napoléon III !
L’arrière-plan est tout aussi mythique : des salons victoriens aux grandes plaines du Nord-Ouest, des villages indiens aux bourgs de pionniers, ces images font toujours rêver. Dans la ligne du temps, Little Bighorn paraît surgir de nulle part. Alors que le prototype du premier téléphone était en route pour Philadelphie, afin d’être présenté pour le centenaire de l’indépendance du pays, une troupe de cavaliers combattait des Indiens dans une vallée perdue, au cœur d’une région qui n’avait pas encore de nom. Plus étrange encore, le dernier survivant de la bataille, un guerrier indien nommé Beard, est mort en 1955, alors que Clint Eastwood faisait ses premiers pas au cinéma ! Autant dire : hier.
BATAILLE IDÉOLOGIQUE La dernière résistance de Custer est devenue un mythe fondateur de l’identité américaine. Après les tournées du célèbre Wild West Show de Buffalo Bill à la fin du XIXe siècle, le cinéma s’est emparé de l’imagerie héroïque du groupe de soldats résistant jusqu’au dernier homme. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, lorsque Roosevelt cherche à faire entrer son pays en guerre, l’image de Custer, sous les traits de Ronald Reagan (La Piste de Santa Fe, 1940) ou, plus célèbre encore, d’Errol Flynn (La Charge fantastique, 1941), sert à préparer l’opinion. Dans La Charge fantastique, le meilleur ami du général Custer, en réalité canadien, devient anglais pour les besoins de la cause. Trente ans plus tard, lors de la crise du Viêtnam, le peuple américain se met à douter : la « dernière bataille » est dépeinte comme la défaite méritée d’une armée coloniale (Little Big Man, 1970).
Comme la presse le dit souvent outre-Atlantique, on peut prendre la température des Etats-Unis en regardant comment cet épisode y est traité. Chaque difficulté militaire ou politique reçoit son lot de caricatures de Little Bighorn. Les fins nez ne se trompent pas sur le potentiel de cette histoire : Oliver Stone prépare un long métrage (Le Fils de l’étoile du matin) et le présente d’ores et déjà comme un thriller politique.
SITTING BULL SE REBELLE Que s’est-il donc passé, il y a tout juste 130 ans, pour que l’Amérique ait gardé en elle un tel traumatisme ? Est-ce seulement le goût amer d’une défaite qui a eu, à l’époque, un impact émotionnel comparable au 11 Septembre, ou le massacre recèle-t-il un élément plus grave ?
L’histoire officielle est pour le moins simple : en 1876, le gouvernement américain fixe un ultimatum aux Indiens libres qui refusent de se rendre dans les réserves. Sous l’égide de Sitting Bull, les rebelles se réfugient dans le Montana, où ils sont rejoints par des centaines. L’ultimatum passé, trois colonnes de l’armée américaine sont formées pour trouver et capturer les insoumis. Parmi elles, le 7e régiment de cavalerie, sous le commandement du général Custer, est envoyé en avant, avec ordre de reconnaître le terrain.
Le 25 juin 1876, Custer découvre le repaire de Sitting Bull, qui couvre près de 5 kilomètres. Désobéissant aux ordres, ignorant les conseils de ses éclaireurs indiens et malgré une nette infériorité numérique, Custer lance l’attaque. Il divise son régiment en trois escadrons. Le premier est repoussé par les Indiens, le second vient au secours du premier et tous deux se retranchent sur une colline. Le troisième, encerclé, est anéanti. Ainsi se termine l’une des défaites les plus désastreuses de l’histoire américaine. Custer et 263 de ses hommes périssent.
CUSTER TRAHI ? Tel est le mythe... Cependant, l’un des vétérans avoue dès 1876 : « De tout ce que j’ai lu sur la bataille de Little Bighorn, la plupart des affirmations sont incorrectes et calibrées pour désinformer le public ! ». L’affaire rebondit aussitôt. Une campagne médiatique est lancée contre les subordonnés des deux escadrons ayant survécu. En 1879, une commission d’enquête est formée. Elle blanchit l’un des officiers, mais ne met pas fin aux controverses. Vingt ans plus tard, le général Nelson Miles, alors commandant en chef de l’armée américaine, livre les conclusions de son enquête personnelle : Custer aurait été trahi. Little Bighorn passe de la bataille classique à l’affaire criminelle.
La commission d’enquête, dont les archives sont restées secrètes pendant plus d’un demi-siècle, est publiée en 1951. Les chercheurs sont stupéfaits. Des témoignages accablants sont mis au jour. Un historien publie une étude sur les cartes officielles de la bataille. A la consternation générale, il démontre que l’armée américaine a secrètement demandé l’altération des croquis originaux. Plus grave encore, il établit que de fausses cartes de Little Bighorn ont été présentées à la commission d’enquête ! Le gouvernement n’échappe pas à la critique : l’administration de l’époque, menée par le président Grant, est montrée du doigt. Accusée de corruption par Custer lui-même quelques mois avant la bataille, elle s’est visiblement vengée en cachant la véritable histoire de Little Bighorn.
L’enquête s’emballe : le FBI, à qui on a demandé d’analyser une pièce à conviction de la commission d’enquête, en conclut qu’il s’agit probablement d’un faux. En 1984, les archéologues relancent le débat en fouillant le site.
FASCINATION TOUJOURS RENOUVELÉE Longtemps méprisées, la voix des témoins oculaires sioux et cheyennes est enfin prise en considération par les enquêteurs. En 1997, un historien dissèque les témoignages indiens et présente une chronologie révolutionnaire des événements. L’Amérique découvre avec étonnement que les récits des vainqueurs concordent avec les trouvailles les plus récentes.
Près de cent trente ans après les faits, les quatre heures de ce chaud dimanche de juin continuent à hanter la mémoire collective américaine. De là vient la fascination du chercheur à se risquer, une fois encore, dans les dédales du dossier « Little Bighorn ».
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