Les anglicismes rampants
L'auteur entend par anglicismes rampants un envahissement par des mots anglo-américains issus en général du français et qui, revenant en français, sont utilisés tels quels, et ne sont pas rendus dans leur sens exact, comme « copie » (exemplaire), « futur » (avenir), « opportunité » (occasion). Ou bien ce sont des mots français ressemblants pris pour équivalents de mots anglo-américains, comme « fichier » pour file, ou « ultime » pour ultimate. Les anglicismes rampants constituent une sous-espèce de barbarismes, ils recouvrent partiellement la notion de « faux-amis », sans tout à fait coïncider avec eux car le sens peut parfois être assez proche, mais avec une nuance propre aux idiotismes anglo-américains. Cela aurait valu autrefois un zéro pointé à l'élève qui se serait hasardé à employer ce type de mots. On les appelle, en termes scientifiques, des anglicismes sémantiques.
Les personnes qui utilisent le plus souvent ces anglicismes rampants sont celles qui ont affaire à la presse anglo-saxonne (journalistes, rédacteurs), à l'informatique et toutes sortes de personnes que leur métier oblige à lire ou à parler l'anglo-américain, langue dont elles transfèrent de nombreux termes en français directement, sans passer par la case réflexion, ou par la case dictionnaire.
De la liste des anglicismes rampants ont été exclus les néo-anglicismes comme booster, customiser, liker qui feront l'objet d'une autre étude. On a cependant maintenu glamour.
1. SUBSTANTIFS
L'auteur présente ici quelques dizaines de ces anglicismes rampants qui polluent les discours et les écrits de nos contemporains. On va d’abord prendre par exemple le mot « sexe », qui désigne physiquement les organes génitaux. Dans les fiches d'identité, le mot sexe désigne l'appartenance à l'un des deux représentants de l'espèce humaine : homme ou femme (il n'est pas tenu compte ici des extravagantes théories du « genre »). Mais de nos jours, en imitant les Anglo-Saxons, beaucoup de personnes parlent de « sexe » dans les sens de rapports physiques, de relations sexuelles, voire dans le sens d'amour. Exemples : Entre elle et moi, ce n'est que du sexe : ce n'est que physique. […] dans certaines sociétés, le sexe avant 16 ans est interdit : les rapports sexuels avant 16 ans sont interdits. Scène de sexe : scène érotique, scène pornographique. Phrase pêchée dans un article sur internet : […] se livrer à des actes politiquement incorrects (fumer en public ou même en privé, boire, se droguer, et peut-être même faire du sexe). « Faire du sexe » : faire l'amour. Ou bien encore : Le taux de sexe prénuptial chez les femmes en 1987 était de 30,2%. « Sexe prénuptial » : avoir des rapports avant le mariage. Lu dans une chronique : […] il y a tout un tas de gens qui décident ensuite si vous êtes marrant, dans les limites de l'humour de C. : pas de mort, pas de politique, pas de sujet grave et pas le moindre sexe. « Pas le moindre sexe » : pas la moindre allusion sexuelle.
Et quand il s'agit de relations orales (fellations ou cunnilingus), certains n'hésitent pas à écrire : « sexe oral ». Une allusion à la « vagina dentata » (vagin denté) ? Et, évidemment, la sodomie est devenue le « sexe anal ».
Les hommes sont plus touchés que les femmes par les cancers
liés au « sexe oral ». Qu’on se le dise !
Lu dans une chronique web : Une pause sexe au bureau : osée et risquée ! Une « pause-sexe », comme une pause-café ? L'auteur aurait plutôt écrit : une pause érotique, une pause amoureuse, ou même faire crac-crac. Le français ne manque pas d'équivalents savoureux ; lire par exemple Rabelais. Entendu dans une réplique d'une saynète (Scènes de ménage sur la chaîne M6), où une actrice demande à son partenaire : « Et tu pourrais vivre sans sexe ? », dans le sens de : vivre sans femme, vivre sans faire l'amour. « Vivre sans sexe », en français, cela signifie : vivre en étant privé de ses organes génitaux. Effroyable perspective !
Réduire l'amour et les rapprochements physiques au seul mot « sexe » est limité et vulgaire. Quiconque a aimé une femme sait que l'amour et l'érotisme ne se bornent pas à la simple pénétration sexuelle. Il y a d'abord les yeux et le regard, pour contempler le visage et le corps de son aimée, pour voir dans ses yeux la profondeur du ciel ou de l'enfer ; il y a le nez, appendice prodigieux, pour humer avec délice le corps de celle qu'on désire, plein de tous les parfums de la terre ; il y a les oreilles, pour entendre le son divin de sa voix ; il y a les lèvres et la langue pour embrasser, pour trouver dans sa bouche le goût exquis du « lait et du miel » ; il y a les mains pour carresser, et finalement tout son être pour sentir la douceur, la chaleur de la peau de la femme aimée, l'insoutenable légèreté d'un corps qui se donne. « Cristallisation » stendhalienne ? L'auteur, pudiquement, passe tous les autres détails, car il n'est pas dans ses intentions de récrire le Cantique des Cantiques. Le sexe n'intervient qu'à la fin de cette lente exploration, de cette lente exaltation du corps de l'autre. Le corps entier est érotique. Entre la rencontre par les yeux et la rencontre charnelle, un petit détour par le cœur – qui se trouve juste au milieu – est nécessaire. L'amour exige l'adhésion du cœur et la fusion de tous les sens. Le mot « sexe » est très réducteur, car ainsi on confond sexe et érotisme, sexe et amour. Il est donc à bannir vigoureusement : ce mot dépoétise totalement le corps humain, et l'on en arrive à un simple acte physique brutal et animal. C'est presque de la pornographie.
Dans les articles suivants, l’auteur présentera trois séries d’« anglicismes rampants » très usuels : d’abord des substantifs, puis des adjectifs et des adverbes, et enfin des verbes et des expressions courantes empruntées aux Anglo-Américains, à partir de mots français, qui nous reviennent détournés de leur sens initial. Ces anglicismes non seulement polluent la langue, mais encore entraînent une confusion déplorable – et dangeureuse. Quand on dit désormais de quelqu’un qu'il est gai, on ne sait plus s’il est gai, c’est-à-dire joyeux, ou s’il est gay, c'est-à-dire homosexuel.
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