Les mafias de l’édition
Don Quichotte contre les héros des grandes familles.
Amis lecteurs, Marc Lévy, Guillaume Musso et Anna Gavalda font rêver des dizaines de milliers de noircisseurs de papier... mais se faire publier relève de l’exploit, mais avant que son livre ne soit connu... Il faut souvent dix ans à un auteur pour commencer à voir le fruit de ses efforts et voici pourquoi : il existe en France environ 1 200 éditeurs répertoriés, environ 100 appartiennent à six grosses machines parisiennes et monopolisent 80 % du marché. Une petite centaine en province tentent de subsister comme elles peuvent et occupent 10 % encore. Moralité, les 1 000 restants font ce qu’ils peuvent avec les 10 % restants, la plupart sans distributeur, obligés alors de démarcher les libraires un par un : véritable travail de fourmi.
Et l’écho médiatique ? Nul. Les radios, les chaînes télé et la presse sont contrôlées par les mêmes groupes ou roulent pour eux, donc... Très peu d’écrivains vivent de leur plume, dans le monde anglo-saxon tout comme en France. Quelques centaines tout au plus. Parmi ceux-ci, la plupart parviennent péniblement à se faire l’équivalent d’un Smic mensuel. De surcroît, 80 % de ce Smic est composé d’activités annexes à l’écriture (résidence d’auteurs, animations en librairies et bibliothèques, mais aussi en milieu scolaire et carcéral, bourses et subventions diverses). Leurs seuls droits d’auteur représentent les 20 % restants.
Il arrive aussi qu’ils écrivent « à la commande », jusqu’à 3 ou 4 livres par an, souvent très éloignés de ce qu’ils écrivent d’ordinaire ou aimeraient écrire. Cette dernière catégorie s’apparente à des « esclaves », fatigués et aigris, complètement pris en otage par l’écriture. Ils s’attendaient sûrement à plus de bonheur en s’embarquant dans cette galère... Une très mince poignée touche effectivement le gros lot. C’est un tout petit monde, fait de relations et d’entregent. Les bonnes études, Normale Sup., Sciences Po., une école de journalisme quelconque, être membre du club privé qu’il faut, connaître celui ou celle qui connaît et ainsi de suite. Le monde de l’édition ressemble à un circuit hydraulique avec plein de tuyaux dans lesquels circulent les mots. Celui qui actionne les valves des collecteurs récolte des espèces sonnantes et trébuchantes, il a à sa disposition des micros et surtout des commerciaux, bac moins 5, représentants un jour en aspirateur, le lendemain en photocopieurs, aujourd’hui en bouquins, qui sillonnent la France et harcèlent les libraires pour avoir la meilleure et asphyxier la concurrence.
Mais revenons aux heureux élus des opérateurs de valves. Ces écrivains sont épaulés et relayés par d’énormes machines éditoriales, qui contrôlent les circuits commerciaux et les médias. Ce sont les seuls dont on nous parle dans la presse et à la télé, en nous abreuvant de leurs mirobolants chiffres de ventes. Ils représentent 0,1 % des écrivains. Conséquence logique du point précédent : tous les écrivains travaillent en marge de leur activité d’écriture. Ou ne travaillent pas, mais c’est alors un choix volontaire, quasiment un vœu de pauvreté : ils ne peuvent plus compter que sur les allocations solidarité (j’en connais beaucoup, néanmoins...).
Le grand public ne connaît pas les chiffres réels de l’édition, puisque ne circulent dans les médias que ceux des best-sellers. Les voici : vente moyenne d’un livre de littérature (sans les BD, les livres people, les guides pour maigrir ou guérir du cancer par les plantes de son jardin, etc.) en France en 2007 : 350 exemplaires. Ce chiffre est à prendre toutes catégories d’éditeurs confondues, Hachette, Gallimard, et les éditeurs de province qui tirent la langue. 1 000 exemplaires est déjà un petit succès. Entre 3 000 et 5 000 ex., l’auteur peut déjà prétendre à une édition en poche ou quelques traductions à l’étranger. A 15 000 ex., on parle d’un très joli succès. 50 000 et au-delà, on les compte sur les doigts de deux mains, à peine. Les grands éditeurs, dans le cas d’auteurs inconnus (premiers romans, par exemple) font preuve d’une bienveillance modérée : les droits oscillent entre 5 et 7 %, jamais plus (et plutôt 5 que 7, d’ailleurs). Cas d’école : un auteur publie un premier livre qui marche gentiment, à hauteur de 1 000 ex. Il se vend 15 euros. 1 000 x 15 x 7 % = 1 050 euros ! Les grands éditeurs versent à l’auteur des à-valoir lors de la parution du livre (une avance sur les ventes futures). La moyenne est de l’ordre de 1 000 / 1 500 euros. A ce tarif-là, difficile de plaquer toute autre activité rémunérée et l’éditeur perd de l’argent. Conséquence logique : les petits et moyens éditeurs, sauf exception, ne versent pas d’à-valoir, mais fonctionnent sur relevés de ventes réelles, environ un an après la parution du livre. C’est à donc à l’auteur de continuer son activité salariale ou libérale, tout en démarchant les passeurs de plats, avec des fortunes diverses.
Question : comment alors trouver le temps et l’énergie d’écrire au moins 100 pages avec une histoire à peu près cohérente, démarcher des centaines d’éditeurs, ne pas perdre la foi, la santé, le moral, son emploi ? L’édition est en crise. Crise économique majeure, qui va redessiner à court ou moyen terme le paysage éditorial. Il est à prévoir, dans les 5 à 10 années qui viennent, un grand balayage, qui va dégager une grosse partie des éditeurs. L’économie de marché est gourmande et insatiable. La durée de vie moyenne d’un livre est aujourd’hui de 3 mois.
Dans le cas des livres parus lors de la fameuse « rentrée littéraire » de septembre (720 en 2007 pour les seuls romans), la durée de vie moyenne n’excède pas un mois. Il a paru en 2007 en France 71 000 nouveautés, dont 23 000 pour la seule littérature. Alors que faire ? Système D : trouver un petit éditeur (après des années de recherche systématique), obtenir des copies gratuitement que l’on envoie à des "haut-parleurs", célébrités, journalistes, après une lettre (ou plusieurs) pour nouer un vague début de complicité, ouvrir un ou plusieurs blogs, assurer sa propre publicité sur Youtube ou Dailymotion et attendre, recommencer, se désespérer, repartir à la charge et vivre assez longtemps pour ne pas regretter de s’être lancé dans pareille aventure ! Mon père, lui, n’a pas survécu... Alors, en sa mémoire, je continue le combat.
Bien cordialement, Bérénice
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