L’économique & le vivant
Le monde économique est-il fou ?
Ou bien est-il notre jouet d'apprentis-sorciers ?
Réchauffement climatique, espèces en extinction, pollutions en tout genre, crises financières, profits fabuleux, chômage, bidonvilles, luxe débridé, malnutrition, gabegie, etc, etc, etc
L’Économique, le Marché, le Libre-Échange sont-ils la source de trop de nos maux ? Ou bien leurs excès sont-ils les spasmes qui proviennent d’un malentendu plus fondamental et plus profond ?
C’est le sujet que j’aimerais aborder ici.
Le Marché et le Libre-échange sont régulièrement montrés du doigt.
Mais, qu’a-t-on appris de neuf durant ce dernier demi-siècle pour traiter les problèmes dénoncés ? En fait, pas grand-chose : ce sont toujours les mêmes idées que l’on ressort, re-taille et re-présente, agrémentées des « petits légumes de saison » du moment.
Les problématiques fondamentales ont pourtant été identifiées il y a longtemps. Mais nous sommes semble-t-il incapables de les affronter et traiter utilement.
Pour l'illustrer, j’essaie ici de « faire commenter » mon propos par une sélection de quelques auteurs (principalement René Passet), qui ont été publiés voici environ un demi-siècle ou davantage. Ce sont des auteurs de sensibilités très variées, et je n’utilise donc que les aspects de leur discours qui vont dans le sens de mon propos. Aussi, je n’utilise que les auteurs dont les idées sont exprimées explicitement : sans nécessité donc pour moi de rajouter des commentaires.
Le plan est le suivant :
A - L’ordre prédominant des choses économiques
B - Observations et critiques sur cet ordre des choses
C - Sortir des rails, changer de cap, est-ce possible ?
B1 - En annexe : quelques approfondissements sur le point « B »
A – L’ORDRE DES CHOSES ÉCONOMIQUES qui prédomine actuellement
J’ai retenu Léon Walras pour décrire cet ordre des choses économiques (Théorie mathématique de la richesse sociale – 1883) :
« Nommons RICHESSE SOCIALE l’ensemble de toutes les choses matérielles ou immatérielles, nécessaires ou superflues, qui peuvent avoir une valeur et qui peuvent S’ÉCHANGER. »
« La théorie mathématique de l’ÉCHANGE (…), c’est l’expression mathématique de ce mécanisme de la libre concurrence. »
« (…) le fait de la VALEUR d’ÉCHANGE est un FAIT NATUREL et comme tel nécessaire comme les faits de la pesanteur, de la chaleur, de la lumière, de l’électricité, du magnétisme, de la végétation, de la vie, comme tous les faits physiques et physiologiques. »
« Reconnaître les faits économiques naturels, les décrire, les analyser, les classer, EN CONSTATER LE CARACTÈRE DE FATALITÉ INÉVITABLE, tel est la partie théorique de l’économie politique ; et quant à l’application pratique de la science,elle se résume tout entière dans LA PRESCRIPTION UNIQUE DE RENDRE LA PRATIQUE SOCIALE CONFORME AUX INDICATIONS NATURELLES. »
B – OBSERVATIONS et CRITIQUES
René Passet (L’Économique et le Vivant – 1979) résume cette vision en soulignant que la croyance en un caractère "naturel" de l’économie fait que « (…) ses lois générales et universelles s’imposeraient à tous, quelle que soit la diversité des systèmes » économiques.
Et que, de ce fait, « le libéralisme (…) serait en quelque sorte DANS LA NATURE DES CHOSES . »
Passet rappelle que « Walras définit l’économie pure comme la théorie de la détermination des PRIX sous un régime hypothétique de libre concurrence absolue. »
Et que de ce fait, « (…) l’économie débouche sur une simple contemplation de ses équilibres internes, abstraction explicitement faite de tout ce qui concerne LE VIVANT. »
« Ce qui se trouve mis en cause, c’est le primat de l’économique posé comme finalité des conduites individuelles et critère ultime des grandes décisions politiques. »
« Or, l’économique (…) est par essence transformation de la nature. »
L’erreur fondamentale de raisonnement que souligne Passet est que « (…) les éléments de la sphère économique appartiennent à la biosphère et obéissent à ses lois, mais tous les éléments de la biosphère n’appartiennent pas à l’économique, et ne se plient pas à ses régulation. »
Passet le schématise très bien dans son livre :
Ouvrage « L'économique et le vivant » René Passet - 1979 / Le terme "biosphère" est à comprendre dans le sens écologique, c'est-à-dire qu'il comprend l'inanimé.
« Le caractère déterminant (…) conféré à l’économique a pour effet de soumettre l’homme et la nature à une loi qui n’est pas la leur. »
« L’ordre cohérent de la biosphère (…) se trouve placé, en fait, sous la dépendance d’un de ses sous-systèmes. »
« C'est donc dans les limites des contraintes liées à la reproduction du vivant que se situe le champ légitime du calcul économique. »
Bien sûr, « (…) cette redécouverte de la dépendance des hommes envers les phénomènes naturels ne saurait être envisagée comme le simple retour à une soumission aveugle à des forces magiques. C’est en fait de connaissance qu’il s’agit : connaissance en vue d’une harmonisation consciente, effectuée DANS LE RESPECT DES RÉGULATIONS ET DES COHÉRENCES NATURELLES sans le maintien desquelles les sociétés humaines ne sauraient espérer de lendemain. »
René Passet n’était ni le seul ni le premier à percevoir la nécessité d’une vision intégrée et cohérente de l’économique avec le vivant :
Alfred Marshall disait que « (…) l’économique est une science de la vie, voisine de la biologie plutôt que de la mécanique. » (Principes d’économie politique – 1890).
Mais la logique qui a finalement prévalu est bien celle, mécanique, mathématique, de l’équilibre offre/demande par le prix !
Karl Marx et Friedrich Engels, eux non plus, dans leurs échanges de correspondance scientifique, ne dissocient pas l’économique de l’ensemble des phénomènes naturels (ref. par ex. lettre de Marx du 13 février 1866).
Mais, de la vision « marxienne » du théoricien, n’est resté finalement que la pensée « marxiste », plus étroite/étriquée (Marx ne disait-il pas :« moi, je ne suis pas marxiste ! »).
En fait, les formules mathématiques forment l’architecture du raisonnement économique, et emportent facilement l’adhésion, car la logique interne du raisonnement est imparable et les résultats des formules sont le plus souvent techniquement incontestables.
Cependant, là se cache pourtant la faille : nous prenons la PRÉCISION pour de l’EXACTITUDE !
Herbert Marcuse, psycho-sociologue le dit à sa manière :« Ainsi, on a eu l’illusion que la mathématisation de la science créait une ''vérité absolue, autonome’’, alors qu’en réalité (elle) donne des représentations du monde (…) et le masque en même temps. » (L’homme unidimensionnel – 1968)
C - SORTIR des RAILS, CHANGER de CAP ?
Alors, après que l’homme a intégré tous ces éléments (et bien d’autres non repris ici) est-il prêt à changer de cap ? Non, malheureusement.
Le naturaliste Américain Henry Fairfield Osborn (La planète au pillage – 1948) affirme que « (…) nous sommes en train de suivre une voie qui risque de rendre un jour ou l'autre notre bonne vieille terre aussi morte que la lune. »
A son propos, Albert Einstein écrivait : « En lisant ce livre, on sent de façon aiguë la futilité de la plupart de nos querelles politiques, comparées aux réalités profondes de la vie. »
Osborn (tout comme Vogt, aussi en 1948) proposait comme "solution" le développement de la recherche scientifique et la diffusion des connaissances. Ces deux éléments, mis au service de son intelligence, devaient amener l'humanité à prendre les mesures qui s'imposent.
C'était il y a 70 ans.
La recherche et la diffusion du savoir ont fait un bond énorme depuis. Mais ils ont été mis au service d'un "pillage" plus méthodique, plus scientifique des ressources.
Cette solution n'a donc pas fonctionné.
René Passet explique que « L’homme est réduit à ses deux fonctions de travailleur consommateur, dans une société où le pouvoir social l’incite en permanence à consommer davantage, donc à travailler plus. »
« (…) c’est l’homme qui clairement se retrouve au service de l’appareil économique. »
On peut effectivement dire que l’homme est en grande partie devenu un INGRÉDIENT du système économique qui l’alimente : il ne peut individuellement s’extraire du système sans s’exclure socialement.
Passet poursuit en expliquant qu'il faudrait définir « (...) les conditions d'une insertion durable des activités humaines dans le milieu qui les porte (...) » et respecter les régulations de la biosphère « ( ...) qui constituent donc un ensemble de contraintes dans le respect desquelles doit se maintenir le calcul économique. » C'est « l'approche bio-économique » qui permettrait « l 'intégration à la biosphère » des activités humaines.
Mais, pourquoi l'individu choisirait-il de changer radicalement son mode de vie et renoncerait-il à son intégration dans un groupe social dont les Valeurs principales -qui sont aussi les siennes- sous-tendent l'architecture et l'harmonie du-dit groupe et son imbrication dans le système économique qui le nourrit et le maintient ?
Après avoir parlé de « (…) violation commerciale de la nature », Herbert Marcuse observe qu’« (…) il ne suffit pas de comprendre que le changement est nécessaire pour rendre possible une évolution différente. »
Il poursuit en assénant que « La théorie critique de la société ne possède pas de concepts qui permettent de franchir l’écart entre le présent et le futur. » !
En effet, un monde futur, réellement respectueux de la biosphère, fonctionnerait nécessairement avec des ressorts TRÈS différents de ceux, actuels en occident, qui expriment des VALEURS qui nous semblent aujourd’hui belles et bonnes. Ces Valeurs qui sont les nôtres sont toutes issues d'un passé plus ou moins lointain, et sont différentes de celles adoptées en d'autres points du globe. Pourquoi nos valeurs occidentales d'aujourd'hui seraient-elles toutes adaptées à un monde futur très différent ?
Les Valeurs évoluent lentement avec les siècles. Les changements infligés à la biosphère se sont accélérés de manière exponentielle : l’arc temporel disponible est très court, avant d’arriver à un « mur » de non-retour pour les écosystèmes. Les sociétés ne pourront voir évoluer leurs Valeurs « naturellement » en si peu de temps.
Pourtant, certains ont rêvé de nouveaux rivages….
Frédéric Bastiat assure que « La véritable richesse des hommes est constituée par les avantages que leur dispense gratuitement la nature et non par les efforts qu’ils doivent assumer pour se les procurer. » ( Les Harmonies Économiques – 1850)
‘Témoignage Chrétien’, dans son commentaire sur l’ouvrage de Passet dit : « Voilà un ouvrage sans précédent, qui rétablit enfin le lien entre la vie et une économie qui, par une curieuse déviation de son sens, est devenue une fin en soi, au lieu d’être outil au service du vivant. »
Commentaire resté bien sûr sans effet sur le cours des choses…
Les rivages de Raison et d’Harmonie semblent effectivement bien inaccessibles… puisque pour les atteindre, il aurait fallu trouver un moyen d’adhérer progressivement à des Valeurs autres, cohérentes avec une structure sociale/économique respectueuse des mécanismes et des rythmes de la biosphère.
Nous ferons donc comme l'humanité a toujours fait : un ajustement subi, devant des modifications importantes de l'environnement.
Il n'y a pas à s'en plaindre : c'est le processus normal de l’Évolution, qui concerne tous les êtres vivants, et qui poursuit sa marche inexorable.
L'évolution , n'a pas de "sens" ni de "but", et elle s'éteindra avec le dernier être vivant.
JPCiron (sept. 2013)
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B1 – Quelques brefs Approfondissements
En réaction aux problèmes induits par l’économique, une pratique fréquente consiste en l’érection de réglementations et de régulations.
Cependant, ces régulations visent plus à réduire les inconvénients, sans toucher au fondement de la problématique (le problème de fond est que la biosphère se trouve placée sous la dépendance d’un de ses sous-systèmes : l’économie).
Au mieux, les régulations freinent un peu les processus dans le court terme humain, sans en changer le flux ni les impacts fondamentaux au niveau biosphère. Aussi, ces régulation ne sont généralement mises en place qu'après que le problème se soit "installé dans la place".
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L’expression mathématique de la théorie économique est construite sur une hypothèse implicite : la rationalité de l’homme. Or, les différentes zones du cerveau agissent comme « (…) sous-systèmes d’une machine polycentrique. » (E. Morin- 1973) « De telle sorte que toutes, alternativement ou simultanément, influencent les actes. Dès lors, les comportements économiques sont faits de raison, de pulsions, d’arguments vrais et d’alibis, de logique et de contradictions, de calculs et d’affectivité, de lucidité et de soumission à des tabous, manifestations de l’esprit humain qui sont toutes également inhérentes à l’expression de l’être. » (Passet – 1983).
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L’Economique et la Biosphère fonctionnent en modes contradictoires :
· La biosphère va maximiser les flux d’énergie venant du soleil pour fabriquer un stock de biomasse. (flux >> stock)
L’économique va optimiser les flux de production en provenance d’un stock de biomasse. (stock >> flux)
· Enfin, au niveau temporel, il faut très peu de temps à l’économique pour exploiter un stock issu de la biomasse (vivant ou fossile), tandis que la construction de ce stock est beaucoup plus long et est conditionné par toute une série de limitations propres aux êtres vivants.
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L’économique dégrade nécessairement le rendement de la biosphère :
· L’aptitude d’un écosystème à se reproduire dans le temps est fonction de sa diversité.
· Or, la loi économique du rendement conduit à la sélection et à la spécialisation.
En outre, la rupture de régulations dans la biosphère entraîne le dérèglement de mécanismes dont dépend la survie des espèces. Un économique fort dégrade le rendement de la biosphère.
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L’économie a des effets négatifs sur la biosphère (pesticides, engrais, plastiques, toxiques,…).
Cependant, ces effets ne touchent pas (ou peu) le bilan des entreprises : il est donc normal qu’elles n’en tiennent pas compte. De ce fait, les coûts sont supportés par la collectivité humaine quand il y a réparation/nettoyage.
Sinon, cela affecte durablement la biomasse.
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1979
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