« Dès le 11/09 il y a eu des théories du complot »
Inutile d’y chercher, donc, ce qui ne s’y trouve pas. Les inlassables dénicheurs de détails cachés, de vérités dissimulées, en seront pour leur frais. Le sujet s’intéresse à ceux qu’il est convenu d’appeler les complotistes, ou les conspirationnistes, cette partie de la population, de plus en plus nombreuse, selon Stéphane Malterre, qui nie la réalité des faits, rebaptisée pour l’occasion la version officielle. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il à tout prix accepter une version officielle ?
Dans un pays atteint depuis sa fondation de complotite aigüe (assassinat de JFK, premiers pas de l’homme sur la Lune, etc.), dans un pays où les groupes factieux ont droit de cité, où l’extrême droite blanche anglo-saxonne protestante s’accommode si bien du business, il n’est guère étonnant de voir des post-adolescents aculturés comme Dylan Avery, auteur du réputé Loose Change (le vrai film, à défaut d’être le film vrai, sur le 11/09), faire ami-ami avec de vieux briscards négationnistes comme Willis Carto, propriétaire d’American Free Press, organe central des lobbies d’extrême droite.
Car aux Etats-Unis, c’est lobby contre lobby. C’est comme ça que ça se passe et ceux qui n’ont que l’acronyme Aipac (lobby soutenant les intérêts d’Israël) à la bouche devraient arrêter de faire mine d’ignorer l’existence du Liberty lobby (qui nie la Shoah).
Voilà de quoi parle le documentaire de Stéphane Malterre. Un sujet bien intéressant malheureusement pollué par des scories qui ne nous apprennent rien sur tout ce petit monde épris de vérité.
C’est là que le bât blesse. Le documentaire de Stéphane Malterre maintient son cap. Son angle est clair : enquêter sur ce qui « marche », sur ce qui est populaire. Le film s’attarde longuement sur Loose change, Eric Hufschmid, David Ray Griffin, etc., bref les stars du confusionnisme ambiant.
Hélas Stéphane Malterre ne creuse pas plus avant son sujet. Il nous laisse sur notre faim. Flirte avec le sensationnalisme. S’intéresser à des individus qui font leur beurre sur l’ignorance, mettre en avant des stars du cinéma, des comiques troupiers, enrober le tout d’un commentaire sensationnaliste, il fallait sans doute ces ingrédients pour être diffusé sur une grande chaîne.
Stéphane Malterre, réalisateur du documentaire 11 septembre : enquête sur la théorie du complot (diffusion sur Canal + le 11/09 à 22h50) est interviewé par Olivier Bailly pour les Rdv de l’Agora.
Stéphane Malterre : On a fait ce film parce qu’aujourd’hui la théorie du complot sur le 11 septembre a un succès planétaire. A partir du moment où elle prend une ampleur mondiale, qu’une foultitude de gens y croient, il est intéressant d’y aller voir et de se demander si cette rumeur tient sur des faits, si l’on peut estimer effectivement que le 11 septembre est un complot et si des éléments permettent de l’attester.
OB : Votre film évacue certaines interrogations sur ce qui s’est passé le 11/09
SM : Je ne vais pas m’intéresser à des théories périphériques. Moi je veux parler de ce qui intéresse le plus, de ce qui fait le plus de bruit, des théories qui ont le plus de succès aujourd’hui. On remet en cause le scénario de l’effondrement des tours, on remet en cause ce qui s’est passé au Pentagone. Des gens sont morts. Ce qui m’intéresse c’est d’aller vérifier ça.
OB : Il y a aussi des gens qui ne remettent pas ça en cause et qui prétendent qu’Al Qaida a été manipulé par les Américains, qu’il y a de la part de ces derniers un laisser-faire. Il y a des thèses un peu plus fines que celle de Loose change...
SM : Le problème c’est que Loose change est l’un des documents qui a le plus de succès dans ce domaine. Je vais m’intéresser forcément aux leaders, aux gens qui ont le plus d’impact aujourd’hui. Cela me paraît logique.
OB : Pensez-vous que le conspirationnisme est d’abord un anti-bushisme et qu’avec l’arrivée d’Obama au pouvoir il va s’atténuer ?
SM : Ce qui est certain c’est que la présence de Bush à la tête du pouvoir américain a sans aucun doute boosté incroyablement les théories du complot. Là-dessus, pour moi, il n’y a aucun doute. Vous avez un président qui vend une guerre en Irak sur des mensonges - les liens supposés entre l’Irak et Al Qaida, la présence d’armes de destructions massives, etc. -, vous avez une administration qui a essayé d’étouffer le fait que les services secrets américains avaient foiré... Tous ces éléments-là ne plaident pas en la faveur de Bush et alimentent forcément la suspicion. Je pense que ça a été un terreau formidable pour susciter ou nourrir des interrogations, peut-être légitimes. Peut-être que l’élection d’Obama va atténuer ces théories.
OB : Vous venez de dire que certaines interrogations pouvaient être légitimes. On ne sent pas cette nuance dans votre film
SM : A partir du moment où vous avez un gouvernement qui a menti, il y a une défiance qui s’installe. De là peuvent se développer des théories sur ce qui aurait pu se passer autour du 11 septembre. Je parle d’un contexte.
OB : Et George Bush n’aurait pas pu mentir sur les causes du 11 septembre ?
SM : Je me base sur des faits, sur ce que je sais. Après on peut faire des plans sur la comète, on peut dire ce qu’on veut, que Bush a envoyé des hommes sur Mars...
OB : Selon vous comment et pourquoi la théorie du complot est-elle née ?
SM : C’est une vaste question ! Ce qui est clair c’est qu’il y a eu un premier bouquin de Thierry Meyssan qui a eu un impact incroyable...
OB : Le livre de Meyssan est sorti en France. Dans votre documentaire vous évoquez surtout Dylan Avery, le réalisateur de Loose change, le journal fasciste American Free press ou encore Eric Hufschmid, des Américains.
SM : Oui, le livre de Thierry Meyssan est sorti en France cinq mois après. Ce qui est remarquable c’est que cinq mois après un journaliste qui n’a jamais été sur place trouve le moyen de mettre en place une enquête d’ « investigation » qui démontrerait un complot international d’une amplitude phénoménale. En si peu de temps c’est quand même très fort, je n’ai jamais vu ça. Sans aller sur place et enquêter et en ne se basant que sur des photos. Thierry Meyssan est repris par tous les conspirationnistes. Il est toujours cité. C’est le début. De toute façon le jour même où il y a eu les attentats du 11 septembre, vous aviez Lyndon LaRouche qui expliquait à la radio que tout ça n’était pas clair et que forcément il y avait un complot derrière. Dès le premier jour il y a eu des théories du complot autour du 11 septembre.
OB : Une de vos explications c’est que les complotistes sont d’abord des gens qui doutent d’abord des vérités servies par les grands médias...
SM : Tous les grands médias américains, et ça a été un peu leur faillite à une époque - il y avait la guerre en Irak et ils avaient tous le doigt sur la couture du pantalon...
OB : Est-ce illégitime de ne pas croire ces grands médias ?
SM : Absolument pas. Sauf qu’ils ont fait leur mea culpa par la suite et qu’ils enquêté sérieusement sur l’administration Bush, sur les échecs des services secrets américains. Je vous signale aussi qu’en matière d’investigation, les médias américains, quoiqu’on en dise, vont quand même beaucoup plus loin que les médias français.
OB : N’est-ce pas parce que les grands médias n’ont accordé aucun crédit à la diversité des thèses conspirationnistes que celles-ci ont pu se développer ?
SM : Je crois en tous cas que les médias n’ont pas fait leur job en prenant avec dédain ces théories-là, en n’en prenant pas compte. Je pense qu’il y a un devoir de réponse. Des gens se posent des questions sur ces événements-là, autant essayer d’apporter des réponses. Ça fait partie de notre job. Je pense aussi, on l’a évoqué avant, qu’il y a un contexte politique très favorable - Bush, le mensonge, le Patriot act, etc. - pour que ces théories se développent.
OB : Cela peut être aussi un excellent contre-pouvoir
SM : Bien entendu ! Là-dessus il n’y aucun doute.
OB : Parmi les gens qui contestent la version officielle, il y a des agents de la CIA, du FBI, des officiers, d’anciens membres de l’administration Bush ou Reagan, d’anciens ministres anglais, des hommes politiques japonais... Bref beaucoup de gens s’interrogent. Pourquoi ne pas vous être penché sur cet aspect-là ?
SM : Mon sujet c’est la théorie du complot. Une théorie qui a énormément de succès aujourd’hui et qui défend certaines thèses, très simples, qui disent que 3000 personnes ont été tuées aux Etats-Unis par leur propre gouvernement. Les gens de ReOpen911, ce qu’ils me disent, je ne l’ai pas inventé. Les Américains que j’ai rencontré à New York et ailleurs, ce qu’ils me racontent je ne l’ai pas inventé, c’est une réalité.
OB : L’an passé j’interviewais pour Agoravox Mathieu Verboud, auteur du documentaire La Cabale diffusé sur France 5, qui expliquait que « dès qu’on parle du 11-Septembre, on est forcément toujours amené à répondre à des questions sur les seuls qui sont connus pour travailler en permanence sur le 11-Septembre, c’est-à-dire « les théoriciens du complot ». Malheureusement, on n’entend personne d’autre réfléchir à la question, on ne sait pas ce que font les historiens... ». Vous n’avez pas l’impression d’être tombé dans ce travers ?
SM : Il y a des questions techniques assez simples : Il y a un avion ou il n’y en avait pas ? Qu’est-ce qui a fait tomber les tours ? Moi à ce moment-là je vais voir les gens qui ont travaillé sur la question, les spécialistes, les ingénieurs, etc. Je vais voir aussi les gens dont les témoignages sont détournés dans des vidéos sur Internet. Je me base sur des faits. En ce qui concerne les historiens, j’avais parlé un historien qui s’occupait du Mémorial de Caen. Il était halluciné et consterné par ces théories-là. Il m’avait demandé de diffuser le film au Mémorial dans le cadre d’une manifestation autour du 11 septembre. Mais je pense qu’il y a un danger pour l’histoire parce qu’on est en train de la récrire. C’est le problème.
OB : Vous évoquez dans votre film Loose change, L’effroyable imposture et le Nouveau Pearl Harbor, trois « bibles » conspirationnistes. Pourquoi avoir sous-estimé le fait qu’elles représentent d’abord un gros business ?
SM : Sur le gros business, je n’avais pas accès aux infos. Je ne suis pas là pour dire que ces gens-là sont là pour faire du fric.
OB : Ils sont là pourquoi ? Votre film ne nous éclaire pas sur leurs motivations
SM : Je n’en sais rien, je ne suis pas dans leur tête. Je me base sur des faits. Jason Bermas et Dylan Avery, je ne sais pas quoi penser de leur motivation. J’ignore ce qui les motive, mais je pense qu’ils sont persuadés de ce qu’ils racontent. Est-ce qu’il y a un moment où il y a une part de cynisme lorsqu’ils commencent à en faire un business ? Il se trouve, de fait, que ça se vend et qu’aujourd’hui Dylan Avery dirige une petite entreprise. Je ne dis pas qu’ils se font du fric, mais ils vivent de ça et ça les occupe 24 heures sur 24.
OB : Success story de petits ados qui se prennent pour des journalistes, collusion avec de vieux briscards de l’extrême droite made in USA, on ne sort pas d’un schéma classique très américain, finalement ?
SM : Oui, aux Etats-Unis c’est un business. C’est vrai qu’avec le 11 septembre on retrouve des gens qui étaient sur JFK ou d’autres complots dans le même genre. Mais bon quelque chose me dérange avec l’équipe de Loose change. Je crois qu’il y a une bonne foi, mais ils se trouve que ça devient un business, en tous les cas une activité à part entière, et qu’ils vivent de ça. Je ne porte pas de jugement, je constate. Après, ce qui m’étonne, c’est que leurs sources viennent de l’extrême droite et que ça ne les dérange pas.
OB : Ce qui est aussi intéressant c’est la partie française. Vous évoquez ReOpen911 qui est carrément dans la mouvance opposée à celle des concepteurs de Loose change et des journalistes d’American free press. Quelles sont leurs motivations ?
SM : D’abord je suis extrêmement dérangé qu’un site comme ReOpen911 diffuse le film d’Eric Hufschmid en sachant que c’est un facho de première, un type qui remet en cause la Shoah et qui traduit et diffuse également Loose change avec les références à American free press. Si ça ne leur cause pas de problème, moi ça m’en pose un. Je trouve ça problématique. Et je me base sur les faits : c’est ce qu’ils font et ce qu’ils diffusent. Ils se trouvent que ces mecs sont plutôt à gauche sur l’échiquier politique.
OB : Pensez-vous qu’on sortira un jour du manichéisme, de l’antagonisme conspirationniste/anti-conspirationniste, pour vraiment chercher la vérité sur ce qui s’est passé de manière dépassionnée ?
SM : Je pense qu’il y a des journalistes qui font sérieusement leur boulot et qui font un état des lieux sur le 11 septembre et sur le fait que les services secrets américains n’ont pas su voir venir l’événement. L’opposition que vous évoquez, je pense que c’est un faux sujet. Je ne comprends pas que des gens de bonne volonté perdent autant de temps à essayer de prouver que la tour s’est effondrée non pas à cause des avions mais parce qu’il y avait des explosifs dedans. Il y a quand même des scandales politico-financiers énormes, par exemple, ça paraît plus intéressant d’enquêter là-dessus.
OB : Pourquoi consacrer un documentaire entier à des gens qui selon vous perdent leur temps ?
SM : Je suis journaliste, je n’ai pas une théorie préconçue. Je suis parti en me disant « ces gens-là prétendent ça, ça me paraît hallucinant, mais peut-être qu’il y a des fonds de vérité, des pistes, des choses que je vais apprendre et qu’on en sortira quelque chose. Le problème c’est qu’après avoir fouillé dans tous les coins vous vous apercevez que ce ne sont que des constructions intellectuelles qui ne reposent sur rien, tout ça pour essayer de prouver une idée préconçue. Il y a une mauvaise foi incroyable. A un moment, effectivement, vous vous dites « mais pourquoi tout ça ? »
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